Berceuse de la Mère-Dieu
Marie Noël (1883-1967), de son vrai nom Marie Rouget, est une poétesse française passionnée et tourmentée, déchirée entre foi et désespoir.
Elle a obtenu en 1962 le Grand Prix de poésie de l’Académie française.Berceuse de la Mère-Dieu
Mon Dieu qui dormez faible entre mes bras,
Mon enfant tout chaud sur mon cœur qui bat
J’adore en mes mains et berce étonnée
La merveille, ô Dieu, que m’avez donnéeDe fils, ô mon Dieu, je n’en avais pas
Vierge que je suis, en cet humble état
Quelle joie en fleur de moi serait née ?
Mais Vous, Tout-Puissant, me l’avez donnée.Que rendrai-je à Vous, moi sur qui tomba
Votre grâce ? Ô Dieu, je souris tout bas
Car j’avais aussi, petite et bornée,
J’avais une grâce et Vous l’ai donnée.De bouche, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour parler aux gens perdus d’ici-bas…
Ta Bouche de lait vers mon sein tournée
Ô mon fils, c’est moi qui te l’ai donnée.De main, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour guérir du doigt leurs pauvres corps las…
Ta main, bouton clos, rose encor gênée
Ô mon fils, c’est moi qui te l’ai donnée.De chair, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour rompre avec eux le pain du repas…
Ta chair au printemps de moi façonnée,
Ô mon fils, c’est moi qui te l’ai donnée.De mort, ô mon Dieu, Vous n’en aviez pas
Pour sauver le monde… Ô douleur ! là-bas,
Ta mort d’homme, un soir, noire, abandonnée,
Mon petit, c’est moi qui te l’ai donnée.Marie Noël, Le Rosaire des joies