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Gustave Flaubert, Madame Bovary (1856)

I, chapitre 4

Flaubert C’était sous le hangar de la charretterie que la table était dressée. Il y avait dessus quatre aloyaux, six fricassées de poulets, du veau à la casserole, trois gigots et, au milieu, un joli cochon de lait rôti, flanqué de quatre andouilles à l’oseille. Aux angles, se dressait l’eau-de-vie, dans des carafes. Le cidre doux en bouteilles poussait sa mousse épaisse autour des bouchons et tous les verres, d’avance, avaient été remplis de vin jusqu’au bord. De grands plats de crème jaune, qui flottaient d’eux-mêmes au moindre choc de la table, présentaient, dessinés sur leur surface unie, les chiffres des nouveaux époux en arabesques de nonpareille. On avait été chercher un pâtissier à Yvetot pour les tourtes et les nougats. Comme il débutait dans le pays, il avait soigné les choses ; et il apporta, lui-même, au dessert, une pièce montée qui fit pousser des cris. À la base, d’abord c’était un carré de carton bleu figurant un temple avec portiques, colonnades et statuettes de stuc tout autour dans des niches constellées d’étoiles en papier doré ; puis se tenait au second étage un donjon en gâteau de Savoie, entouré de menues fortifications en angélique, amandes, raisins secs, quartiers d’oranges ; et enfin, sur la plate-forme supérieure, qui était une prairie verte où il y avait des rochers avec des lacs de confiture et des bateaux en écales de noisettes, on voyait un petit Amour, se balançant à une escarpolette de chocolat, dont les deux poteaux étaient terminés par deux boutons de rose naturelle, en guise de boules, au sommet.

Étude de la description

Une syntaxe fondée sur l’énumération

On note deux descriptions successives (la table, la pièce montée) articulées par une séquence narrative. Il s’agit de l’évocation du repas de noces d’Emma Bovary, et il y a ellipse significative sur le repas. Il y a effacement de toute présence humaine, par le biais du pronom « on », de tournures présentatives, et par une périphrase actantielle (ou factitive) : « une pièce montée qui fit pousser des cris » → effacement des sujets. Au contraire, il y a animation de la matière.

La structure des descriptions

La description de la table est constituée par des compléments circonstanciels qui situent dans l’espace, relativement les uns par rapport aux autres : la description de la pièce montée se fait de bas en haut. Les indices spatiaux sont couplés avec des organisateurs temporels. Le regard de l’observateur se fait dans un ordre ; il y a temporalisation de la description (cf. Philippe Hamon).

Étude du lexique

On note le lexique spécialisé (charcuterie) afin de produire un effet de réel. Des termes techniques sont sollicités. On trouve aussi un lexique de l’abondance. Le lexique spécialisé est combiné à une isotopie lexicale de l’architecture.

Qui voit ?

Il s’agit d’une description en partie ironique : celui qui parle est un rural (« comme il débutait dans le pays », « on avait été chercher… »), d’où les critères qui concernent plus l’abondance que l’élégance. Le caractère des noces d’Emma est prosaïquement rural. La dérision des rêves d’Emma est remarquable : la pièce montée est décrite d’abord avec des termes de l’architecture de l’Antiquité, du Moyen Âge et, enfin, comme un paysage romantique (kitsch).

Voir aussi :