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Le texte poétique

Ces pages donnent des informations sur la nature du texte poétique : à l’aide d’exemples littéraires, il s’agit de se poser les questions suivantes : en quoi un texte est-il poétique ? Sur quoi se fonde le caractère poétique d’un texte ?

Apollinaire, « L’Adieu »

Apollinaire J’ai cueilli ce brin de bruyère
L’automne est morte souviens-t’en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t’attends

Il s’agit ici d’un quintil composé d’octosyllabes. Ce texte est poétique pour plusieurs raisons :

  • On note tout d’abord un effet de disposition : le texte est présenté visuellement d’une manière particulière. Selon Max Jacob, dans la préface du Cornet à dés, « Le poème est un objet construit […]. ».
  • La construction de cet objet poétique obéit à des règles qui nous sont familières : la versification est apparente. Les règles du vers français reposent sur un triple système de retour :
    • il y a retour d’un certain nombre de syllabes (le mètre) ;
    • il y a retour de certaines homophonies en fin de vers (la rime) ;
    • il y a retour régulier de l’accent (le rythme).
  • Nous observons ici deux rimes dont une est dominante : [ɛR] et [tã].
  • Le texte est composé de réseaux phonétiques :
    • retour des dentales et o ouvert (l’automne connote la mort → réseau funèbre : « automne », « morte », « temps ») ;
    • réseau lexical du souvenir : « cueilli », « bruyère », « souviens » (le brin de bruyère connote la tombe).
  • La phonétique présente donc une importance considérable : le signe est doté d’une importance matérielle. Cf. Sartre : « L’homme qui parle est au-delà des mots, près de l’objet ; le poète est en deçà. Pour le premier, ils sont domestiques ; pour le second, ils restent à l’état sauvage. Pour celui-là, ce sont des conventions utiles, des outils qui s’usent peu à peu et qu’on jette quand ils ne peuvent plus servir ; pour le second, ce sont des choses naturelles qui croissent naturellement sur la terre comme l’herbe et les arbres. »
  • La rime [ã] enrichit le texte car on la retrouve à l’intérieur du poème (« Odeur du temps »). On observe par ailleurs, grâce à une lecture verticale, une opposition entre la terre (c’est-à-dire le globe) et la terre où pousse la bruyère.

Quel est le sens du poème ?

Remarques préliminaires :

  • Notre texte ne comporte pas de ponctuation : il n’y a donc pas d’arrêt du sens → fluidité.
  • On ne trouve pas de liens logiques et temporels entre les énoncés. Il s’agit du « silence des articulations » dont parlait Barthes et de l’« abolition de la chaîne causale » (Houellebecq).

Il existe des ambiguïtés dans notre poème : dans les vers 2 et 3, il est question d’un deuil mais on ne sait pas de quel deuil il s’agit. S’agit-il du deuil de la saison ? De la femme ? La saison est-elle une métaphore de la femme ? Le sens n’est donc pas arrêté, il est problématique. L’une des caractéristiques du texte poétique, et c’est le cas ici, est qu’il dit une chose littéralement et qu’il signifie autre chose. On doit donc distinguer le sens et la signifiance (c’est-à-dire le sens profond, plus riche et problématique).

Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, Funérailles de La Fayette

Chateaubriand J’étais dans la foule, à l’entrée de la rue Grange-Batelière, quand le convoi de M. de La Fayette défila : au haut de la montée du boulevard le corbillard s’arrêta ; je le vis, tout doré d’un rayon fugitif du soleil, briller au-dessus des casques et des armes : puis l’ombre revint et il disparut.
La multitude s’écoula ; des vendeuses de plaisirs crièrent leurs oublies, des vendeurs d’amusettes portèrent çà et là des moulins de papier qui tournaient au même vent dont le souffle avait agité les plumes du char funèbre.

On oppose couramment la prose et la poésie. Mais il existe une prose poétique.

  • Le premier paragraphe de notre texte est un témoignage. Le réseau des sèmes communs (isotopie) est signalé en gras : il s’agit d’un jeu entre la lumière et l’ombre.
  • On note l’impression lumineuse : il s’agit de la vie, de l’honneur et de la gloire de La Fayette et de la mort (« l’ombre »). Dans le domaine des beaux-arts, la « gloire » a un sens spécifique : il s’agit du cercle lumineux qui entoure la tête des saints et des personnages illustres.
  • Le deuxième paragraphe présente des termes qu’il faut éclairer : « crier + complément d’objet direct » signifie « en donner le prix ». Les « plaisirs » sont des pâtisseries en forme de cornets et les « oublies » sont des biscuits ronds et minces. En raison de la présence des termes « amusettes », « moulins » et « vent », il y a activation de l’autre sens de plaisir et d’oubli → le divertissement et la légèreté sont juxtaposés à la mort.
  • On observe la métaphore du temps dans « la multitude s’écoula » (foule / eau / temps).
  • En conclusion, la prose impose la sélection d’un sens, contrairement à la poésie.

Le texte poétique : texte de Baudelaire »

Voir aussi :