Lexicologie
Éléments pour l’étude de l’évolution sémantique
Avez-vous lu l’introduction à la lexicologie et à la lexicographie ?
L’étude de l’évolution sémantique :
- Rend compte de la polysémie d’un mot (la lexicologie, de façon diachronique ; la lexicographie, de façon synchronique) ;
- Permet de comprendre les mécanismes qui font passer d’un sens à un autre. Ces mécanismes sont toujours les mêmes :
- Les mécanismes objectifs
- mécanisme de la métaphore (sens propore → sens figuré)
- mécanisme de la métonymie (glissement par contiguïté)
- mécanisme analogique (le mot passe d’un sens 1 au sens 2)
- mécanisme de la spécialisation du sens (sens large d’un mot → sens restreint)
- mécanisme inverse de la spécialisation du sens (sens particulier → sens général)
- Les mécanismes subjectifs
- passage du sens neutre au sens péjoratif
- passage du sens neutre au sens mélioratif
- passage du sens fort au sens neutre (par affadissement de sens ; exemple : charme)
- Les mécanismes objectifs
Exemple du mot « bourgeois »
Il s’agit d’un mot de formation française, à partir du substantif « bourg » et par adjonction du suffixe -ois, -oise qui signifie « relatif à ».
Succession des sens dans les dictionnaires
- Moyen-Âge
- C’est un habitant de villes commerçantes soustraites par des chartes de franchise1 à l’influence du seigneur.
- C’est un habitant des villes qui a une certaine aisance, et qui possède des droits ou des biens immobiliers sur le territoire de la cité.
- XVIIe siècle
- C’est un individu appartenant à la classe moyenne (classe intermédiaire entre les nobles et les manants)
- Se dit quelquefois en mauvaise part, par opposition à un homme de la Cour, pour signifier un homme peu galant, peu spirituel, qui vit et raisonne à la manière du bas peuple.
- Révolution : le bourgeois s’oppose à l’ouvrier.
- XIXe siècle : c’est un individu préoccupé de réussite matérielle fermé sur des valeurs esthétiques et à l’évolution.
Analyse
Le sens originel ne subsiste plus que dans les noms de rue (« rue des Francs Bourgeois », franc signifiant « exempt de charges »). Sous l’influence des conflits sociaux du XIIIe siècle, le terme en vient à désigner, par glissement métonymique de l’état civil à l’état social, les habitants des villes ayant une certaine aisance. Puis, par généralisation, le mot se détache de son cadre social. Les emplois péjoratifs commencent alors à se développer et le terme est rattaché aux personnes sans goût et sans culture. Avec la Révolution, le mot n’est plus opposé aux nobles mais aux ouvriers. Le terme prend alors une valeur symbolique et devient synonyme de conformiste dans un emploi adjectival. Au XIXe siècle, le bourgeois est l’individu qui est préoccupé de réussite matérielle, fermé aux valeurs esthétiques. Pour l’artiste, c’est un contre-modèle. Le mot « bourgeois » a donné naissance à une famille morphologique très riche : « s’embourgeoiser » et « embourgeoisement » (dérivation parasynthétique), « bourgeoiserie » (péjoratif), « petit-bourgeois » (Marx).
Exemple avec le mot « souffrir » (perspective synchronique)
- Le sens étymologique du mot est « supporter ». Le sens figuré s’est développé.
- Le sens de ce mot varie selon la construction :
- en construction transitive directe :
- objet animé (souffrir quelqu’un : résister à quelqu’un)
- objet inanimé
- en construction pronominale
- objet réfléchi (se souffrir : se supporter (se tenir debout))
- objet réciproque : se soutenir mutuellement
- en construction transitive directe :
Dès la fin du Moyen-Âge, la construction pronominale disparaît. Elle est remplacée par « porter ». L’emploi transitif disparaît plus tard, il est remplacé par « soutenir », « résister à ». Le sens figuré, lui, va faire fortune.
- Constructions encore existantes :
- avec une complétive introduite par que : Je souffre que tu viennes. (= je le permets)
- en construction indirecte : souffrir de quelqu’un, en supporter des choses désagréables.
- en construction double : souffrir quelque chose à quelqu’un, le lui accorder ; souffrir à quelqu’un de + infinitif : lui permettre de.
Mots de conclusion
Le lexicographe fait une étude du mot en synchronie, le lexicologue en diachronie.
Le lexicographe s’intéresse surtout au mot hors du contexte, et le lexicologue s’intéresse au sens du mot en contexte.
1 Les chartes de franchise précisent à une communauté villageoise ou urbaine la nature exacte d’un certain nombre de devoirs, fiscaux notamment, vis-à-vis du seigneur. En contrepartie, elles garantissent aux bourgeois la liberté et aux serfs l’affranchissement.
Voir aussi :
- Introduction à la lexicographie et à la lexicologie
- Synthèse sur l’histoire des dictionnaires
- Entrevue avec Alain Rey (le dictionnaire, le mot bourgeois, etc.)