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Siècle des Lumières

Siècle des Lumières

L’expression « siècle des Lumières » désigne le XVIIIe siècle.
Les Lumières sont un mouvement littéraire et philosophique européen du XVIIIe siècle fondé sur la raison qui permet, selon les philosophes des Lumières, de sortir des préjugés et de l’intolérance, et de faire progresser les hommes vers le bonheur, la liberté et le savoir.

Les thèmes essentiels et les grands principes de la philosophie des Lumières

  • La contestation sociale et politique : après la révocation de l’édit de Nantes en 1685 et après la mort de Louis XIV en 1715, les philosophes des Lumières remettent en question l’autorité politique. Au XVIIIe siècle, le roi détient en effet les trois pouvoirs (les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire → absolutisme) et sa fonction est héréditaire. Les philosophes dénoncent également les inégalités sociales.
  • Le combat contre l’injustice et l’ignorance : les philosophes et les écrivains des Lumières défendent les libertés individuelles et collectives, notamment la liberté d’expression. C’est par l’éducation et grâce à la diffusion du savoir que les hommes accéderont à la liberté et au bonheur, c’est pourquoi les philosophes entreprennent la rédaction de l’œuvre majeure du XVIIIe siècle qu’est l’Encyclopédie (1751-1772), un dictionnaire qui constitue la somme des savoirs et des idées nouvelles de l’époque.
  • L’hostilité à l’esclavage : les philosophes des Lumières n’acceptent pas que l’homme puisse asservir son semblable.
  • La dénonciation de l’intolérance et du fanatisme religieux : certains philosophes1 dénoncent les privilèges du clergé et l’obscurantisme.

Principaux auteurs des Lumières

Quelques textes

Montesquieu, Lettres persanes (1721), 24 (extrait)

Montesquieu Ne crois pas que je puisse, quant à présent, te parler à fond des mœurs et des coutumes européennes : je n’en ai moi-même qu’une légère idée, et je n’ai eu à peine que le temps de m’étonner.
Le roi de France est le plus puissant prince de l’Europe. Il n’a point de mines d’or comme le roi d’Espagne, son voisin ; mais il a plus de richesses que lui, parce qu’il les tire de la vanité de ses sujets, plus inépuisable que les mines. On lui a vu entreprendre ou soutenir de grandes guerres, n’ayant d’autres fonds que des titres d’honneur à vendre, et, par un prodige de l’orgueil humain, ses troupes se trouvaient payées, ses placesa munies, et ses flottes équipées.
D’ailleurs ce roi est un grand magicien : il exerce son empire sur l’esprit même de ses sujets ; il les fait penser comme il veut. S’il n’a qu’un million d’écus dans son trésor, et qu’il en ait besoin de deux, il n’a qu’à leur persuader qu’un écu en vaut deux, et ils le croient. S’il a une guerre difficile à soutenir, et qu’il n’ait point d’argent, il n’a qu’à leur mettre dans la tête qu’un morceau de papier est de l’argent, et ils en sont aussitôt convaincus. Il va même jusqu’à leur faire croire qu’il les guérit de toutes sortes de maux en les touchant, tant est grande la force et la puissance qu’il a sur les esprits.

a Places fortes.

Montesquieu, De l’esprit des lois (1748), livre IV (extrait)

Montesquieu Aujourd’hui, nous recevons trois éducations différentes ou contraires : celle de nos pères, celle de nos maîtres, celle du monde. Ce qu’on nous dit dans la dernière renverse toutes les idées des premières. Cela vient, en quelque partie, du contraste qu’il y a parmi nous entre les engagementsb de la religion et ceux du monde ; chose que les anciens ne connaissaient pas.
C’est dans le gouvernement républicain que l’on a besoin de toute la puissance de l’éducation. La crainte des gouvernements despotiques naît d’elle-même parmi les menaces et les châtiments ; l’honneur des monarchies est favorisé par les passions, et les favorise à son tour : mais la vertu politique est un renoncement à soi-même, qui est toujours une chose très pénible.
On peut définir cette vertu, l’amour des lois et de la patrie. Cet amour, demandant une préférence continuelle de l’intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières ; elles ne sont que cette préférence.
Cet amour est singulièrement affecté aux démocraties. Dans elles seules le gouvernement est confié à chaque citoyen. Or, le gouvernement est comme toutes les choses du monde : pour le conserver, il faut l’aimer.
On n’a jamais ouï dire que les rois n’aimassent pas la monarchie, et que les despotes haïssent le despotisme.
Tout dépend donc d’établir dans la république cet amour ; et c’est à l’inspirer que l’éducation doit être attentive. Mais, pour que les enfants puissent l’avoir, il y a un moyen sûr : c’est que les pères l’aient eux-mêmes.
On est ordinairement le maître de donner à ses enfants ses connaissances ; on l’est encore plus de leur donner ses passions.
Si cela n’arrive pas, c’est que ce qui a été fait dans la maison paternelle est détruit par les impressions du dehors.
Ce n’est point le peuple naissant qui dégénère ; il ne se perd que lorsque les hommes faits sont déjà corrompus.

b Contraintes.

Voltaire, Dictionnaire philosophique (1764), article « Torture » (extrait)

Voltaire Lorsque le chevalier de La Barre, petit-fils d’un lieutenant-général des armées, jeune homme de beaucoup d’esprit et d’une grande espérance, mais ayant toute l’étourderie d’une jeunesse effrénée, fut convaincu d’avoir chanté des chansons impiesc, et même d’avoir passé devant une procession de capucins sans avoir ôté son chapeau, les juges d’Abbeville, gens comparables aux sénateurs romains, ordonnèrent, non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour savoir précisément combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vues passer, le chapeau sur la tête.
Ce n’est pas dans le XIIIe ou dans le XIVe siècle que cette aventure est arrivée, c’est dans le XVIIIe. Les nations étrangères jugent de la France par les spectacles, par les romans, par les jolis vers, par les filles d’Opéra, qui ont les mœurs fort douces, par nos danseurs d’Opéra, qui ont de la grâce, par Mlle Clairon , qui déclame des vers à ravir. Elles ne savent pas qu’il n’y a point au fond de nation plus cruelle que la française.

c C’est-à-dire des chansons qui offensent la religion.

Beaumarchais, Le Mariage de Figaro (1784), acte V, scène 3 (extrait)

Portrait de Beaumarchais par Jean-Marc Nattier Figaro. […] (Il s’assied sur un banc.) Est-il rien de plus bizarre que ma destinée ! Fils de je ne sais pas qui, volé par des bandits, élevé dans leurs mœurs, je m’en dégoûte et veux courir une carrière honnête ; et partout je suis repoussé ! J’apprends la chimie, la pharmacie, la chirurgie, et tout le crédit d’un grand seigneur peut à peine me mettre à la main une lancette vétérinaire ! – Las d’attrister des bêtes malades, et pour faire un métier contraire, je me jette à corps perdu dans le théâtre ; me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broched une comédie dans les mœurs du sérail ; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule : à l’instant un envoyé… de je ne sais où se plaint que j’offense dans mes vers la Sublime Porte, la Perse, une partie de la presqu’île de l’Inde, toute l’Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d’Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l’omoplate, en nous disant : Chiens de chrétiens ! – Ne pouvant avilir l’esprit, on se venge en le maltraitant. – Mes joues creusaient, mon terme était échu ; je voyais de loin arriver l’affreux recorse, la plume fichée dans sa perruque ; en frémissant je m’évertue. Il s’élève une question sur la nature des richesses ; et comme il n’est pas nécessaire de tenir les choses pour en raisonner, n’ayant pas un sou, j’écris sur la valeur de l’argent et sur son produit net ; sitôt je vois, du fond d’un fiacre, baisser pour moi le pont d’un château fort, à l’entrée duquel je laissai l’espérance et la liberté. (Il se lève.) Que je voudrais bien tenir un de ces puissants de quatre jours, si légers sur le mal qu’ils ordonnent, quand une bonne disgrâce a cuvé son orgueil ! Je lui dirais… que les sottises imprimées n’ont d’importance qu’aux lieux où l’on en gêne le cours ; que sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur ; et qu’il n’y a que les petits hommes qui redoutent les petits écrits. (Il se rassied.) Las de nourrir un obscur pensionnaire, on me met un jour dans la rue ; et comme il faut dîner, quoiqu’on ne soit plus en prison, je taille encore ma plume, et demande à chacun de quoi il est question : on me dit que, pendant ma retraite économique, il s’est établi dans Madrid un système de liberté sur la vente des productions qui s’étend même à celles de la presse ; et que, pourvu que je ne parle, en mes écrits, ni de l’autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l’Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, je puis tout imprimer librement sous l’inspection de deux ou trois censeurs. Pour profiter de cette douce liberté, j’annonce un écrit périodique, et, croyant n’aller sur les brisées d’aucun autre, je le nomme Journal inutile. Pou-ou ! je vois s’élever contre moi mille pauvres diables à la feuille ; on me supprime ; et me voilà derecheff sans emploi ! – Le désespoir m’allait saisir ; on pense à moi pour une place, mais par malheur j’y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l’obtint. Il ne me restait plus qu’à voler ; je me fais banquier de pharaon : alors, bonnes gens ! je soupe en ville et les personnes dites comme il faut m’ouvrent poliment leur maison, en retenant pour elles les trois quarts du profit. J’aurais bien pu me remonter ; je commençais même à comprendre que pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir. Mais comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. Pour le coup je quittais le monde ; et vingt brasses d’eau m’en allaient séparer, lorsqu’un dieu bienfaisant m’appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse et mon cuir anglais ; puis laissant la fuméeg aux sots qui s’en nourrissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci. Un grand seigneur passe à Séville ; il me reconnaît, je le marie ; et pour prix d’avoir eu par mes soins son épouse, il veut intercepter la mienne ! Intrigues, orage à ce sujet. Prêt à tomber dans un abîme au moment d’épouser ma mère, mes parents m’arrivent à la file . (Il se lève en s’échauffant.) On se débat ; c’est vous, c’est lui, c’est moi, c’est toi ; non, ce n’est pas nous ; eh ! mais qui donc ? (Il retombe assis.) Ô bizarre suite d’événements ! Comment cela m’est-il arrivé ? Pourquoi ces choses et non pas d’autres ? Qui les a fixées sur ma tête ? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j’en sortirai sans le vouloir, je l’ai jonchée d’autant de fleurs que ma gaieté me l’a permis ; encore je dis ma gaieté, sans savoir si elle est à moi plus que le reste, ni même quel est ce moi dont je m’occupe : un assemblage informe de parties inconnues ; puis un chétif être imbécile ; un petit animal folâtre ; un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous les métiers pour vivre ; maître ici, valet là, selon qu’il plaît à la fortune ! ambitieux par vanité, laborieux par nécessité, mais paresseux… avec délices ! orateur selon le danger, poète par délassement, musicien par occasion, amoureux par folles bouffées, j’ai tout vu, tout fait, tout usé. Puis l’illusion s’est détruite, et, trop désabusé… Désabusé !… Désabusé !… Suzonh, Suzon, Suzon ! que tu me donnes de tourments !

d Bâcler.
e Personne qui accompagne un huissier.
f Encore une fois.
g C’est-à-dire les illusions.
h Fiancée de Figaro.

1 Pour J.-L. Tritter dans Les Lumières (page 50), « on ne peut pas dire qu’il y ait une seule prise de position des philosophes à propos de la religion, mais environ quatre : le maintien du statu quo, le déisme, une religion par l’émotion et enfin l’athéisme ».

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