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Stendhal, La Chartreuse de Parme

L’image de la prison dans La Chartreuse de Parme

Une étude rédigée par Jean-Luc

Stendhal Lorsqu’il écrit La Chartreuse de Parme en 1838, Stendhal se bâtit un décor de théâtre où il pourra animer ses rêves, retrouver sa chère Italie et vivre par personnages interposés une existence exaltante. Pourtant la réalité politique de son temps ne pouvait que s’opposer à de tels désirs et son roman témoigne de cette Europe conservatrice et bigote, née de la Sainte-Alliance et du congrès de Vienne, qui a une peur obsédante de la liberté, de la Révolution et dont l’arme de dissuasion est la prison.

Tout le roman se passe à l’ombre menaçante du Spielberg et de la Tour Farnèse. Bien sûr, au cours de ses lectures, Stendhal avait pu se rendre compte de l’omniprésence des prisons dans l’Italie de la renaissance ou du XIXe siècle. C’est le Château Saint-Ange où ont été enfermés Benvenuto Cellini et Alexandre Farnèse, c’est le Spielberg où a moisi Andryane, ce sont les Plombs de Venise de Silvio Pellico, l’auteur de Mes prisons. Cependant la présence de la forteresse répond à une logique interne à l’œuvre même.

La prison apparaît sous la forme de la forteresse qui domine le paysage parce qu’elle est d’abord un symbole de l’absolutisme dont la haute présence rappelle à chacun que sa liberté voire sa vie est menacée. Elle est sans arrêt dans les pensées de Fabrice et par contraste permet de mieux mettre en valeur le courage, la "virtu" de l’âme italienne. Elle justifie aussi le recours à des actions désespérées comme le vol imprudent du cheval par Fabrice lors de son incursion à Grianta ou comme son retour dans les états autrichiens après le meurtre de Giletti.

Ainsi toute la vie de Fabrice est une tentative pour échapper au cachot, c’est en quelque sorte le moteur des aventures que va vivre le héros. D’ailleurs Fabrice est persuadé qu’il est voué à être enfermé. Les présages de l’abbé Blanès renforceront son intime conviction. Son séjour dans le clocher de Grianta est d’ailleurs une préfiguration de son avenir. Nous trouvons déjà les aspects essentiels tels que l’élévation du local, la méditation et la sensation de bonheur intense comme hors du temps.

Plus tard nous apprendrons que la prison est un lieu où les prisonniers sont livrés à des personnages aussi inquiétants que Barbone, commis servile et insolent, cherchant à abuser de son pouvoir, que le général Conti, soucieux avant tout de ne pas se compromettre. C’est donc un lieu retiré propice aux intrigues, où l’on décide de l’extérieur des destinées des prisonniers. C’est presque "l’antichambre de la mort", puisque quelques pièces d’or autorisent l’entrée du poison qui mettra fin à l’existence d’un reclus encombrant. Cette menace du poison favorisera d’ailleurs les amours de Clélia et de Fabrice en faisant tomber les dernières réticences.

Là où cependant Stendhal est le plus original, c’est dans le renouvellement du vieux mythe du prisonnier et de la fille du geôlier. Déjà Fabrice connaissait une préfiguration de son destin lors de son escapade en France. Il avait apprécié l’accueil peu amène des militaires qui le prendront pour un espion et le feront enfermer. Il devra seulement son salut à l’attendrissement qui saisit la geôlière à la vue de sa bonne mine.

L’image de la prison prend tout son développement lors de l’internement de Fabrice à la citadelle de Parme. Le fougueux, l’impétueux Fabrice aurait dû souffrir de la privation de sa liberté, c’est tout le contraire qui se produit. La prison conduit Fabrice au bonheur. Ce haut lieu qu’est la tour Farnèse permet au héros la contemplation d’un magnifique panorama (que la réalité d’ailleurs rend impossible). Ce spectacle le conduit très vite à une élévation spirituelle très proche de l’état d’esprit d’un religieux qui fait retraite : "dans cette solitude aérienne, on est ici à mille lieues au-dessus des petitesses et des méchancetés"… Mais au-delà de ce retour sur soi-même puisque l’action n’est plus autorisée, il y a la présence de Clélia et de l’amour. D’ailleurs l’image repoussante du cachot est alors tempérée par celle de la volière avec ses orangers et ses oiseaux. Petit à petit Fabrice devient lui aussi, tout du moins symboliquement, un oiseau privé de liberté, objet de tous les soins de la part de la femme aimée. Curieusement la prison permet entre ces deux êtres l’établissement de relations d’une intimité délicieuse que la liberté retrouvée détruira. Ainsi nous le voyons l’image de la prison appelle immanquablement celle du bonheur si bien que le prisonnier sera tenté de refuser sa liberté pour avoir touché au paradis.

Par la suite, Clélia et Fabrice ne poursuivront leurs relations qu’au travers de la claustration voulue dans un lieu retiré (palais ou orangerie), dans l’obscurité, comme si la prison seule pouvait leur redonner l’intimité, l’impression de ne pas transgresser le vœu de Clélia. Lorsque Clélia mourra de sa passion fautive, Fabrice se retirera à la Chartreuse de Parme. Si la prison avait des allures de retraite, cette retraite ressemble fort à une prison, celle où l’on attend la mort, loin du monde, replié sur soi et ses souvenirs avec l’espoir fou de retrouver celle que l’on aime.

Déjà dans Le Rouge et le Noir, Julien Sorel, dans sa cellule, avait éprouvé ce même sentiment intense de bonheur et il avait été alors illuminé par sa vérité intérieure : il aimait éperdument Mme de Rénal. Comme on le voit, Stendhal a récidivé dans La Chartreuse de Parme, preuve que cette image et les symboles qu’elle évoquait lui tenaient à cœur. Sans doute le désir de se consacrer à une âme dans un amour tendrement partagé, protégé par une intimité sans faille paraît être pour notre auteur l’image la plus sublime du bonheur.

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