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Dans quelle mesure le spectateur est-il partie prenante de la représentation théâtrale ?

Bac de français 2009, séries S et ES

Corrigé de la dissertation

Objet d’étude : le théâtre : texte et représentation

Dans quelle mesure le spectateur est-il partie prenante de la représentation théâtrale ?

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

Introduction

La particularité du texte théâtral est sa vocation fondamentale à être représenté en public. C’est pourquoi la prise en compte du spectateur par l’auteur dramatique et le dramaturge est essentielle.
Dans quelle mesure le spectateur est-il donc partie prenante de la représentation théâtrale ?
À quel moment faut-il faire intervenir ce témoin ? Est-il seulement une chambre d’enregistrement ? Peut-on imaginer des représentations sans public ? Quelle différence existe-t-il entre une vraie représentation et un spectacle filmé ? Toutes ces questions renvoient au rôle que le spectateur est appelé à tenir dans la création théâtrale, à la participation plus ou moins active qui est attendue de lui.
S’il est vrai que le spectateur reste un concept difficile à définir, il apparaît très vite que ce destinataire du spectacle est naturellement partagé entre passivité et implication. C’est pourquoi l’auteur dramatique et le metteur en scène doivent le placer au cœur de leurs préoccupations.

I. Le spectateur reste un concept difficile à définir

  • La première question qui vient immédiatement à l’esprit est de se demander si LE spectateur existe. Celui qui vient à la représentation théâtrale est d’abord un homme ou une femme, il peut avoir tous les âges. Il est triste ou joyeux, préoccupé ou libre. Avant d’être un spectateur, celui qui assiste à une pièce est un être réel enraciné, marqué par le contexte culturel, sociologique, historique. Au XVIIe siècle, les attentes et les comportements variaient en fonction de la classe sociale. Le public du parterre était meilleur enfant que les marquis qui pavoisaient sur scène. Pour les premiers, il s’agissait d’éprouver d’intenses émotions ou de se réjouir des ridicules représentés en scène tandis que pour les seconds le spectacle était dans la salle. Les premiers aimaient regarder alors que les seconds jouissaient d’être regardés. Pour les premiers, la pièce était un bon moment ; pour les seconds, un exercice de style et l’occasion d’arguties à propos des règles.
  • Les auteurs dramatiques ont donc très vite compris que leur public était bigarré, qu’il était illusoire de prétendre s’adresser à un spectateur idéal. Molière savait que les attentes des petits marquis de Mascarille n’étaient pas celles du parterre. Pourtant il a dû garder l’homogénéité de ses pièces. Hugo en revanche, dans la préface de Ruy Blas, a compris tout l’intérêt de segmenter son public, d’identifier ses composantes pour offrir à chacune une réponse partielle à ses attentes. « La foule demande au théâtre des sensations, la femme, des émotions ; le penseur, des méditations. Tous veulent un plaisir ; mais beaucoup, le plaisir des yeux ; celles-là, le plaisir du cœur ; les derniers, le plaisir de l’esprit. » Cette approche nouvelle permise par le drame romantique a autorisé la banalisation des usages du théâtre, son embourgeoisement, fût-ce au prix d’un manque d’unité. D’autres auteurs ont spécialisé leur production pour toucher un public ciblé. On peut citer le théâtre de boulevard, le vaudeville, le café-théâtre, le théâtre de l’absurde…
  • Outre le manque d’homogénéité du public, il existe d’autres obstacles à l’immersion du spectateur dans le spectacle. Citons en premier lieu les usages sociaux : du XVIIe au XIXe siècle, le théâtre est d’abord un lieu où l’on se montre comme dans la représentation à l’Hôtel de Bourgogne de Cyrano de Bergerac, où l’on entretient une vie sociale, où l’on noue des aventures amoureuses. Ces regards distraits par l’environnement ne suivent pas vraiment la pièce, sauf si l’objet de leur convoitise est une actrice… Il existe aussi les codes culturels qui dictent des conduites. La Critique de L’École des femmes nous montre les préventions de l’aristocratie à l’encontre de la comédie et des « continuels éclats de rire que le parterre y fait ». Outre le fait que les marquis ne sauraient mêler leur voix à celle du peuple ou des bourgeois, il faut y voir leur préférence pour la tragédie plus relevée, plus cultivée, plus élitiste.
  • Si l’on s’essaie à une histoire sociologique du théâtre, on peut brosser à grands traits quelques évolutions caractéristiques. Dans l’Antiquité, la tragédie grecque appelle le spectateur à fortement s’impliquer en raison de ses origines religieuses. En assistant à la représentation, le public est invité à s’agréger à un culte. À Athènes, le théâtre est de plus une activité politique. La participation des citoyens est encouragée au point que la cité les dédommage afin qu’ils puissent assister aux représentations de sujets politiques. Le théâtre est alors un lieu public de célébration et de réflexion. Au XVIIe siècle, le théâtre est devenu une activité littéraire cultivée, corsetée par des règles, pensionnée en partie par le pouvoir, ce qui la réserve à une élite fortunée. En même temps le lieu de la représentation devient un univers sociologique clos dont il faut apprendre les règles de savoir-vivre. En effet, dans le milieu urbain d’alors, le théâtre et les fêtes restent les seules distractions et les seuls lieux d’initiation sociale. Au XXe siècle, avec l’avènement des loisirs de masse, le théâtre devient de plus en plus un lieu mystérieux pour la majorité de nos contemporains. On peut donc lire dans cette courbe un désinvestissement progressif de la part des spectateurs déroutés par l’intellectualisation des pièces et désireux de sujets faciles et plaisants. C’est sans doute la raison pour laquelle le Prologue de l’Antigone d’Anouilh et l’annoncier du Soulier de satin de Claudel se livrent à des explications (parfois provocantes) pour attirer à nouveau l’attention d’un public désorienté et restant sur sa réserve.

Le spectateur a donc beaucoup évolué en raison des transformations du lieu de spectacle mais aussi de la dramaturgie et de la mise en scène.

II. Le spectateur d’aujourd’hui naturellement partagé entre passivité et implication

La disposition du théâtre occidental a conduit à une conséquence majeure. La place des spectateurs par rapport à l’espace scénique oblige les acteurs à ne jamais tourner le dos au public. Face à cette présence imposée dans ce milieu inhabituel, le spectateur peut réagir de deux manières opposées.

  • Il peut rester extérieur à l’espace théâtral. Enfoncé dans son fauteuil confortable (mais pas toujours, surtout dans les enceintes des siècles passés), le spectateur n’est pas mêlé à ce qui se déroule sur scène. Il peut se comporter comme au cinéma qu’il a l’habitude de consommer. Les acteurs qui s’agitent devant lui sont certes plus réels que les images du 7e art, mais les conventions du théâtre rendent cette représentation factice. Il peut éprouver la situation ambiguë du témoin assistant à une action se déroulant dans une salle dont le mur situé face à lui serait transparent (mais mur quand même). Il peut être dérangé par cette ambiance fausse, pâle copie de la réalité. Les spectateurs représentés dans Cyrano de Bergerac considèrent sans aucun doute que le plus intéressant se passe dans la salle. Ils ont choisi les menus incidents de la réalité au détriment des boursouflures de la fiction pastorale.
  • Le spectateur peut aussi accepter l’illusion théâtrale pour ce qu’elle est. Réinterprétant les informations fournies par ses sens, il admet cet univers conventionnel où tout n’est que jeu, simulacre, représentation symbolique de l’existence. L’annoncier du Soulier de satin veut aider le public dans cette démystification des objets scéniques. « On a parfaitement bien représenté ici l’épave d’un navire démâté qui flotte au gré des courants. » La toile peinte et les accessoires ont une valeur d’évocation pour fixer l’imagination et au besoin la solliciter. Si « toutes les grandes constellations » apparaissent en scène, elles « sont suspendues en bon ordre comme d’énormes girandoles ». Elles ne sauraient être confondues avec un ciel étoilé. D’ailleurs l’annoncier dégonfle l’effet en faisant remarquer qu’il « pourrai[t] les toucher avec [sa] canne. » De même, mais en sens contraire, le Prologue d’Antigone invite les spectateurs à ne pas se tromper. Le « décor neutre », les personnages qui « bavardent, tricotent, jouent aux cartes » n’appartiennent pas à leur univers familier. « Ces personnages vont […] jouer l’histoire d’Antigone. »

Si le spectateur peut indifféremment emprunter deux voies opposées : celle de l’implication ou celle du refus, c’est que l’habileté de l’auteur dramatique, les choix artistiques du metteur en scène auront su séduire ou non le public, et lui faire admettre les artifices du lieu. Hugo l’avait bien compris qui s’exprimait ainsi dans Le Tas de pierres : « Le théâtre n’est pas le pays du réel : il y a des arbres en carton, des palais de toiles, un ciel de haillons, des diamants de verre, du rouge sur la joue, du soleil qui sort de dessous la terre. C’est le pays du vrai : il y a des corps humain sur la scène, des cœurs d’humain sur la scène, dans la salle, dans les coulisses. »

III. L’auteur dramatique et le metteur en scène sont obligés de placer le spectateur au cœur de leurs préoccupations

  • Il faut bien commencer par ce truisme : le succès commercial d’une pièce dépend du spectateur. Tout commence donc par la tentative de séduire le parterre. Bons mots, coups de bâton, vieillard libidineux puni, jeunes amoureux qui surmontent tous les obstacles, tromperies en tout genre pour la bonne cause, les recettes « faciles » sont légion. De Guignol aux Fourberies de Scapin, on retrouve les mêmes moyens pour faire réagir les grands enfants que nous sommes restés. A contrario il existe d’excellentes pièces qui n’ont pas su trouver leur public. Par exemple Dom Juan de Molière fut vivement applaudi lors de sa première représentation, puis retiré de la scène après la quinzième. Malgré ses attraits de pièce à machine, cette œuvre novatrice et provocante avait indisposé une partie des spectateurs bien-pensants. Il a fallu attendre le XIXe siècle, pour que la Comédie-Française la reprît. Lorenzaccio de Musset en est un autre exemple. Son texte touffu, ses références shakespeariennes, sa longueur, sa complexité ont rebuté les professionnels. C’est seulement au XXe siècle que la pièce fut proposée dans son intégralité. Il en est allé de même pour Le Soulier de satin de Claudel, drame aux dimensions extravagantes d’ « action espagnole en quatre Journées » à la manière des dramaturges du Siècle d’or, indifférent aux unités de temps, de lieu et de ton, qui a d’abord dérouté et risquait de lasser.
  • Ce spectateur qu’il faut intéresser à l’action jouée sous ses yeux est particulièrement pris en compte dans la dramaturgie. Le texte théâtral dispose de caractéristiques propres qui, pour la plupart, renvoient aux besoins du public. D’abord les scènes d’exposition sont chargées de renseigner le plus précisément possible sur l’intrigue, les personnages, ce qui a précédé le lever de rideau, la tonalité de la pièce… Le Prologue d’Antigone nous rapporte le conflit qui est train d’advenir entre Créon et sa nièce. Le parterre comprend qu’il entre dans la tragédie avec cette jeune fille qui va « se dresser seule en face du monde », qui « pense qu’elle va mourir », et qu’ « il n’y a rien à faire ». Issue fatale, mécanique implacable, tout est annoncé dès le début. Ce texte particulier est ensuite marqué par les didascalies dont la fonction n’est pas seulement de guider le jeu de l’acteur, mais encore de renforcer le sens des propos, de rendre tangibles des personnalités. Il faudrait réserver une attention toute spéciale à la double énonciation, qui réintroduit le public dans le jeu scénique. Le texte théâtral révèle la présence de deux émetteurs : le personnage qui parle et le dramaturge, auteur de la pièce, qui, utilise la scène comme une tribune. Cette finalité est apparente dans La Critique de L’École des femmes où Dorante donne son avis au marquis, ce qui permet à Molière d’exprimer haut et fort ses critiques à l’encontre des comportements sottement prétentieux et du pédantisme, ce mélange d’ignorance et de bêtise. Le parterre est plus finement associé par tous ces procédés qui créent la complicité avec lui. C’est que la double énonciation révèle aussi la présence de plusieurs destinataires : dans les monologues en particulier, si les propos d’un acteur paraissent d’abord destinés à lui-même, ils visent aussi le public, notamment pour l’informer de la situation ou des états d’âme du personnage. Quand Figaro, dans son Mariage, se plaint de son sort, de l’infidélité supposée de sa femme Suzanne, des abus de pouvoir de son maître, c’est pour mieux apitoyer les spectateurs et les inviter à se solidariser avec lui dans sa révolte contre l’ordre établi. L’aparté joue également avec la présence de témoins dans la salle, il est souvent un commentaire direct de l’action à destination des spectateurs. Ainsi les valets de Molière font-ils souvent des clins d’œil au public. Les metteurs en scène peuvent recourir aussi à ces allusions qui actualisent un sujet, à ces connivences qui font sourire ou touchent le spectateur. M. Jourdain peut à certains moments faire penser à l’entrepreneur contemporain avide d’honorabilité et de reconnaissance. Des mises en scène suggèrent l’homosexualité de Lorenzaccio…
  • Dans les procédés d’illusion destinés à impliquer la salle, il faudrait citer plus particulièrement les jeux de miroir du théâtre en abyme. Ce théâtre dans le théâtre crée pour le spectateur le simulacre d’une plus grande réalité par l’emboîtement de plusieurs intrigues parallèles et correspondantes. En outre, le public est invité à découvrir les artifices signifiants du lieu par la distanciation qui résulte de ce regard complexe. La « représentation à l’Hôtel de Bourgogne » enchâssée dans Cyrano de Bergerac est bien destinée à mettre en valeur la « réalité » de l’intrigue principale qui va se détacher sur les boursouflures de l’arrière-plan. Le spectateur se demande alors où se situe la « vraie vie », il est un peu plus enclin à admettre la fiction.
    Ajoutons à ce procédé baroque du miroir la tentative moderne de faire tomber le quatrième mur par l’intervention des acteurs au milieu du public. Cet effet surprenant qui vise à rapprocher les spectateurs des acteurs, qui les fait sortir de leur léthargie de témoins par réduction brutale de la distance de sécurité, a perdu beaucoup de sa force en raison d’un recours presque systématique dans les mises en scène actuelles.
  • Enfin le théâtre s’attache son public par les émotions qu’il entend susciter. Dans ses Témoignages sur le théâtre (1952), Louis Jouvet écrivait : « le théâtre ne peut pas être une recherche d’ordre intellectuel, mais plutôt une révélation d’ordre émotionnel ». Les conventions et les artifices doivent stimuler la sensibilité. En premier lieu, le théâtre doit être un lieu de plaisir où l’on vient rire et pleurer. Plus subtilement, il est aussi l’endroit où l’on vient rassasier sa jouissance esthétique d’une parole travaillée. Corneille peut nous ravir par sa langue dynamique, ses antithèses, Racine nous séduit par les troubles de la passion qui brûle ses personnages. L’annoncier du Soulier de satin fait surgir par la seule force de son langage le pont dévasté d’un galion. Depuis Aristote et sa catharsis jamais totalement élucidée, les auteurs dramatiques cultivent la terreur et la pitié, la répulsion ou la sympathie, le dégoût ou l’admiration. Peu à peu, le spectateur s’ouvre par l’ébranlement de sa sensibilité à des questions existentielles. Le spectateur est invité à vivre par procuration grâce aux acteurs qui simulent une existence possible. Shakespeare met dans la bouche d’Hamlet qui apostrophe un comédien, des propos lumineux : « Mettez l’action en accord avec la parole, la parole en accord avec l’action. Et respectez toujours cette règle : soyez vrai. Tout ce qui est exagéré s’écarte du propos du théâtre qui, depuis l’origine jusqu’à nos jours, a pour objet d’être le miroir du monde, de montrer à la vertu son propre visage, à l’infamie sa propre image et à notre société ce qu’elle est le plus exactement. » Ainsi la mission artistique du théâtre est-elle d’abstraire quelque chose du réel, de le donner à voir, à sentir, à goûter, à entendre. Sa spécificité est de pouvoir montrer l’homme dans sa globalité.

Conclusion

Le spectateur est bien un élément essentiel de la représentation théâtrale. Il vaudrait mieux dire les spectateurs tant les participants au spectacle sont divers, tant ils représentent des attentes variées. Ce destinataire du spectacle, placé dans une position ambiguë par la disposition des lieux, est partagé entre passivité et implication. C’est pourquoi l’auteur dramatique et le metteur en scène doivent déployer des trésors d’ingéniosité pour le réintroduire dans le jeu qui se déroule sous ses yeux. À cette fin, ils utilisent toutes les ressources potentielles du langage théâtral et des conventions de la dramaturgie. C’est surtout le recours aux émotions essentielles du rire et des pleurs qui permet d’impliquer le public, de le faire participer.
Cette réflexion sur la prise en compte des attentes du public et sur les conditions de leur mise en œuvre est bien d’actualité. Si l’on examine les programmes proposés dans les salles, on découvre des dérives bien dangereuses, voire mortifères. Outre la théâtralisation de textes non prévus à cet effet, on discerne des one-man-show, des recours à des technologies étrangères… Plus grave est l’intellectualisation du spectacle. Antoine Vitez a enfanté une génération de metteurs en scène qui proposent, « une pensée sur la pièce plutôt que la réalité de la pièce elle-même » ainsi que l’écrit Georges Banu. Il est peut-être urgent de quitter ce théâtre « distancié » trop systématique pour goûter à nouveau aux saveurs des émotions.

Voir aussi :

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