Bac de français 2009, séries technologiques
Corrigé des questions
Objet d’étude : le théâtre : texte et représentation
À qui s’adressent les personnages dans les différents monologues du corpus ?
Le propre du théâtre est de mettre en scène des personnages qui dialoguent entre eux. Il arrive cependant qu’à certains moments rares un des acteurs laissé seul sur scène soliloque. C’est bien ce qui se produit dans les quatre extraits proposés dans le corpus.
Le paysan George Dandin, de Molière et le valet Figaro de Beaumarchais se plaignent de leur sort. Perdican de Musset hésite sur la conduite à tenir à l’égard de sa cousine tandis que l’extravagant détective de Jean Tardieu décline ses états de service. Privés d’interlocuteurs, à qui donc s’adressent ils ?
Apparemment ils se parlent à eux-mêmes, exprimant à haute voix les pensées qui les habitent. Cependant l’abondance des propos, le caractère construit de la pensée, le trouble qui est souvent manifesté devraient nous inviter à y regarder de plus près.
Dandin se parle à lui-même, ce qui est indiqué par l’apostrophe située à la fin de son monologue : « George Dandin ! George Dandin ! vous avez fait une sottise, la plus grande du monde ». Figaro s’adresse à des interlocuteurs absents, d’abord à Suzanne, son épouse, qu’il englobe volontairement dans la gent féminine trompeuse par la triple interpellation : « Ô femme ! ». Puis il vitupère son maître, le « perfide », « Monsieur le comte » Almaviva, qui prétend abuser de ses droits, avant de revenir s’apitoyer sur son propre sort. Perdican converse exclusivement avec lui-même en dépit de son évocation de Camille, la jeune femme qui le déroute. En effet il se contente d’examiner aussi objectivement que possible les réactions qu’elle produit en lui. Le détective Dubois-Dupont, quant à lui, vient se « présenter » au public qu’il interpelle nommément par ses « Vous avez entendu ? », « Vous voyez ? ». Cependant lui aussi s’adresse parfois à lui-même dans la contemplation narcissique de ses états de service : « J’ai tellement d’identités différentes ! C’est-à-dire que l’on me prend pour ce que je ne suis pas. » De même il s’émerveille de sa prescience du crime.
À quoi servent, selon vous, les monologues proposés ?
Ces divers monologues remplissent plusieurs fonctions dramatiques.
Les premier et quatrième, situés au début de la pièce, jouent le rôle d’une scène d’exposition : les personnages qui s’y expriment doivent informer les spectateurs du cadre spatio-temporel, « nous nous trouvons, par un beau soir de printemps […] dans le manoir du baron de Z… », des personnages, de l’intrigue. Georges Dandin nous apprend ainsi ses déboires matrimoniaux tandis que le détective de Tardieu sollicite notre curiosité par l’annonce d’un meurtre programmé. Plus subtilement encore, ils nous donnent des indices sur le climat de la pièce : comédie de mœurs sur les risques des mésalliances pour la première, loufoquerie désopilante et absurde pour la seconde.
Figaro et Perdican expriment à haute voix leur trouble intérieur, cherchant à mettre une certaine distance avec les pulsions qui les agitent pour pouvoir choisir le parti à prendre sans être victime de sentiments irrationnels. C’est ce qu’on appelle le monologue délibératif par lequel le personnage unique utilise plusieurs voix intimes normalement muettes comme dans un tribunal (le for intérieur) où s’exerce l’expression des diverses parties. Ces monologues remplissent une fonction d’élucidation psychologique pour faire connaître aux spectateurs ce qui leur serait normalement caché.
Ces monologues soulignent une particularité du langage théâtral, à savoir la double énonciation :
- La présence de deux émetteurs : le personnage qui parle et le dramaturge, auteur de la pièce, qui, utilise la scène comme une tribune. Cette finalité est apparente dans le premier texte où Molière s’attaque par la comédie de mœurs aux mariages d’argent et au ridicule du parvenu. Dans le second, Beaumarchais dénonce les privilèges et l’arrogance de l’aristocratie.
- La présence de plusieurs destinataires : si, dans ces monologues, les propos d’un protagoniste paraissent d’abord destinés à lui-même, pour lui permettre d’objectiver sa souffrance (pour Georges Dandin), son ressentiment (pour Figaro), ses doutes (pour Perdican) ou sa mission (pour le détective), ils visent aussi le lecteur ou le public, notamment pour l’informer de la situation ou des états d’âme du personnage.