Aller au contenu

Bac français 2011, séries S et ES, corrigé du commentaire

Bac de français 2011, séries S et ES

Corrigé du commentaire

Émile Zola (1840-1902), La Fortune des Rougon, chapitre I, 1871.

Le coup d’État du 2 décembre 1851, organisé par Louis-Napoléon Bonaparte, a suscité en Provence des insurrections républicaines, notamment dans le département du Var. C’est cette révolte que décrit Zola au début de La Fortune des Rougon.

Émile Zola La bande descendait avec un élan superbe, irrésistible. Rien de plus terriblement grandiose que l’irruption de ces quelques milliers d’hommes dans la paix morte et glacée de l’horizon. La route, devenue torrent, roulait des flots vivants qui semblaient ne pas devoir s’épuiser ; toujours, au coude du chemin, se montraient de nouvelles masses noires, dont les chants enflaient de plus en plus la grande voix de cette tempête humaine. Quand les derniers bataillons apparurent, il y eut un éclat assourdissant. La Marseillaise emplit le ciel, comme soufflée par des bouches géantes dans de monstrueuses trompettes qui la jetaient, vibrante, avec des sécheresses de cuivre, à tous les coins de la vallée. Et la campagne endormie s’éveilla en sursaut ; elle frissonna tout entière, ainsi qu’un tambour que frappent les baguettes ; elle retentit jusqu’aux entrailles, répétant par tous ses échos les notes ardentes du chant national. Alors ce ne fut plus seulement la bande qui chanta ; des bouts de l’horizon, des rochers lointains, des pièces de terre labourées, des prairies, des bouquets d’arbres, des moindres broussailles, semblèrent sortir des voix humaines ; le large amphithéâtre qui monte de la rivière à Plassans, la cascade gigantesque sur laquelle coulaient les bleuâtres clartés de la lune, étaient comme couverts par un peuple invisible et innombrable acclamant les insurgés ; et, au fond des creux de la Viorne1, le long des eaux rayées de mystérieux reflets d’étain fondu, il n’y avait pas un trou de ténèbres où des hommes cachés ne parussent reprendre chaque refrain avec une colère plus haute. La campagne, dans l’ébranlement de l’air et du sol, criait vengeance et liberté. Tant que la petite armée descendit la côte, le rugissement populaire roula ainsi par ondes sonores traversées de brusques éclats, secouant jusqu’aux pierres du chemin.


1 Rivière qui coule près de la ville de Plassans.

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

Introduction

La Fortune des Rougon est un roman de Zola qui ouvre le cycle des Rougon-Macquart. La vie de cette famille va être bouleversée par la révolution de 1848 survenue à Paris. En effet, les Rougon vont devenir animateurs du mouvement conservateur qui s’installe à Plassans. Puis Eugène qui a espionné pour le compte des bonapartistes fait adhérer ses parents à la cause napoléonienne avant le coup d’État du 2 décembre 1851. Ainsi commence sa fortune.
Cet extrait relate la descente des révoltés républicains vers Plassans, ville de province que l’on assimile souvent à Aix-en-Provence où Zola a passé son enfance.
Il s’agit de la description romanesque d’une bande de révoltés provençaux républicains.
Zola semble y abandonner ses vues naturalistes en magnifiant la relation de faits historiques mineurs en un tableau fantastique et épique.
Il s’agit donc d’abord de l’évocation d’une scène nocturne propice aux illusions. Zola passe insensiblement à une vision épique en développant la métaphore d’un cours d’eau torrentueux pour finir sur les accents guerriers d’une Marseillaise, symbole de cette révolte.

Développement

A – Une scène nocturne propice aux illusions

Zola évoque une scène nocturne d’hiver à peine éclairée par « les bleuâtres clartés de la lune », parsemée de « trou[s] de ténèbres » qui pourraient cacher des hommes. « La bande » n’est perceptible que comme d’indistinctes « masses noires ». De plus comme le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte a eu lieu le 2 décembre, nous avons un repère temporel qui explique « la paix morte et glacée de l’horizon » et « la campagne endormie »,
Cette atmosphère nocturne et funèbre permet à l’esprit effrayé d’assister à un spectacle fantastique. Zola produit donc une scène onirique par des grossissements successifs, Nous notons l’invasion du paysage par « de nouvelles masses noires » inquiétantes, « qui semblaient ne pas devoir s’épuiser », comme dans un cauchemar où l’esprit assiste impuissant et fasciné à la projection de ses peurs. Ainsi que dans la plupart des scènes d’angoisse, la lune diffuse sur l’eau « de mystérieux reflets d’étain fondu », le paysage laisse échapper « des voix humaines », « un peuple invisible et innombrable ».
Sous la plume de Zola, la nature devient anthropomorphique : à plusieurs reprises nous pouvons noter des personnifications. Les « rochers », les « pièces de terre labourées », les « prairies », les « bouquets d’arbres », les « moindres broussailles », laissent « sortir des voix humaines » si bien que « la campagne » tout entière « cri[e] vengeance et liberté. »

B – La métaphore du cours d’eau

Il semble pourtant que Zola ne veuille pas laisser son lecteur sur cette impression d’effroi instinctif. Il ne veut pas rendre la force des insurgés repoussante : elle est simplement le résultat d’un phénomène naturel.
Les masses s’organisent, la « bande » devient « bataillons », mais surtout la « route » se transforme en « fleuve ». Pour rendre compte de la force des révoltés, Zola utilise le rassemblement des petits ruisseaux. Les groupes sont collectés pour devenir un « torrent » qui grossit, « roul[e] des flots vivants », dévale la pente vers la ville en contrebas. La métaphore veut rendre compte de l’« élan superbe, irrésistible ». Les insurgés sont un cataclysme impressionnant. La référence est d’autant plus juste que le climat méditerranéen est connu pour ses torrents dévastateurs qui ravinent brusquement les terres arides en hiver. Ce grossissement impétueux est rendu par un allongement des phrases de la première à l’antépénultième.
Ainsi Zola associe-t-il la révolte des hommes aux événements naturels perturbateurs, il va même plus loin en réveillant la nature endormie dans la mort hivernale par un printemps anticipé. Cet anachronisme renforce l’insupportable injustice, et la juste colère du peuple.

C – La Marseillaise, chant républicain, condense l’âme de cette révolte, contribue à magnifier les misérables.

Plus qu’aux éléments visuels, Zola va donner de l’importance aux sons. Ce qui rend particulièrement terrifiant le groupe en marche, c’est le bruit qu’il produit. De tous temps, les armées lancées à l’assaut ont cherché à se donner du courage et à paralyser leur ennemi par les coups, les sonneries et les hurlements. Les révoltés reproduisent instinctivement ces comportements guerriers.
De même qu’au début, les groupes étaient épars avant de se regrouper en une masse compacte, de même « les chants » du début sont disparates, puis vont « enfl[er] » pour devenir « la grande voix de cette tempête humaine », équivalent sonore du torrent visuel, et s’unifier dans l’« éclat assourdissant [de] la Marseillaise ». Le terme d’éclat connote un point culminant et la sauvage beauté de l’hymne révolutionnaire.
Rappelons qu’avant d’être le « chant national » de la République française, la musique attribuée à Rouget de l’Isle fut justement le chant de marche des volontaires marseillais. C’est donc en référence à leurs illustres parents que les Provençaux reprennent doublement à leur compte la défense de l’idéal révolutionnaire.
Zola évoque cette Marseillaise comme un chant de guerre, les voix s’expriment comme des instruments de musique martiaux : « trompettes », « cuivre », « tambour que frappent les baguettes ». L’auteur amplifie l’impression sonore par des expressions hyperboliques. La clameur est « monstrueuse », elle « emplit le ciel », elle est « soufflée par des bouches géantes ». Le spectre acoustique est saturé des basses aux aigus par des voix « vibrante[s] » et « sèche[s] ».
L’hymne barbare entre en accord avec les éléments : l’écho est poétiquement transformé en voix de la nature, comme pour signifier que la cause des révoltés est légitime au point que plantes et minéraux prennent fait et cause pour elle. Une accumulation de composants du paysage crée l’« innombrable » et l’unanimité. Les phrases, qui jusqu’alors s’allongeaient progressivement, reviennent à une expression plus ramassée, au rythme binaire affectif, en guise de point d’orgue. L’avant-dernier membre met en valeur les deux termes conclusifs : « la campagne1, dans l’ébranlement de l’air et du sol, criait vengeance et liberté ».
La dernière phrase, quant à elle, produit un retournement inattendu. Le « tant que » initial met une borne temporelle à l’impression de force et de férocité léonines. Les « masses noires » sont devenues seulement une « petite armée ». Zola laisserait-il planer le doute sur la possibilité que « le rugissement populaire » puisse sérieusement inquiéter l’ordre établi, ou serait-ce que l’élan généreux initial ait perdu de son dynamisme lorsqu’il parvient en terrain découvert et plat ?

Conclusion

La nuit de l’hiver provençal produit des fantasmagories qui prennent forme en se rapprochant de l’observateur. Ces bandes d’insurgés qui descendent sur Plassans deviennent pendant un long moment un cours d’eau torrentueux. Cet agrandissement épique culmine dans les accents guerriers de la Marseillaise qui réveille la campagne endormie dans son somme hivernal. Zola signifie ainsi que ce chant est le symbole de la révolte populaire.
Cet extrait peut étonner de la part d’un écrivain naturaliste épris de rigueur scientifique. Les évocations fantastiques de la nature se retrouvent dans d’autres romans, pensons au Voreux de Germinal. Zola se montre disciple de Victor Hugo dans ce type de description : il peut reprendre à son compte la fameuse profession de foi des Contemplations : « vents, ondes, flammes, / Arbres, roseaux, rochers, tout vit ! / Tout est plein d’âme. » De même Zola, comme Hugo, a souvent peint des mouvements de foule épiques, qu’on se rappelle par exemple la révolte des mineurs dans le même Germinal. Zola est comme son prédécesseur un républicain, un socialiste épris de justice et de progrès. Ils ont été tous deux des contempteurs du Second Empire, à la nuance près que les critiques de Zola se sont exprimées après la chute du régime alors que Victor Hugo a payé son engagement d’un long exil. Nous avons ici la preuve que le naturalisme de Zola a aussi des racines romantiques.


Note

1 Il est possible que Zola utilise ici implicitement un jeu de mots fondé sur la polysémie de campagne : « terre façonnée par l’homme » et « campagne militaire, entrée en guerre ».

Voir aussi :

creative commons