Bac de français 2011, séries S et ES
Corrigé de la question
Quelles visions du peuple les trois extraits du corpus donnent-ils ?
Les trois textes du corpus extraits de romans du XIXe siècle nous présentent des scènes de soulèvement populaire, Victor Hugo, dans Les Misérables, rapporte l’édification d’une barricade à Paris au cours de l’émeute républicaine de juin 1832 à l’occasion des obsèques du général Lamarque. Gustave Flaubert, dans L’Éducation sentimentale, évoque le saccage des Tuileries au cours de la Révolution de 1848 qui instaura la IIe République tandis qu’Émile Zola, dans La Fortune des Rougon, relate les insurrections républicaines que le coup d’État du 2 décembre 1851, organisé par Louis-Napoléon Bonaparte, a suscitées en Provence. Chacun des extraits manifeste une appréciation particulière du peuple révolté.
Les trois auteurs s’entendent pour souligner la force qui se dégage de ces masses rassemblées. Hugo accentue l’idée de foule par l’accumulation de ses composantes disparates : « flâneurs », « paresseux », « fatigués », « pensifs », « étudiant », « ouvrier » qui se confondent dans « l’immense Coche révolutionnaire ». Flaubert utilise l’image du mascaret à l’« impulsion irrésistible », aux « flots vertigineux » des individus mêlés en une « masse grouillante » indistincte et effrayante. Zola se sert d’une métaphore voisine, celle du « torrent » qui « roul[e] des flots vivants », emportant tout dans son « élan superbe, irrésistible ». Lui aussi souligne les « masses noires » terrifiantes comme une « tempête ».
Mais les trois auteurs divergent dans leur appréciation. Pour Hugo, les personnes ont gardé leur individualité, ne semblent pas s’être fondues dans un ensemble, ne pas être poussées par un idéal commun. C’est un agrégat atonique que le petit Gavroche cherche à mettre en mouvement1, comme dans la fable de La Fontaine, « le Coche et la mouche », En revanche, chez Flaubert et Zola, les masses populaires sont animées par le républicanisme. Elles entonnent une Marseillaise, « retenti[ssante] » aux Tuileries, « vibrante » dans la plaine provençale, chant guerrier qui rythme leur monstrueux écoulement. Pourtant ces deux derniers auteurs se séparent au sujet de l’élan qui pousse la foule. Flaubert ironise sur la « joie frénétique » des émeutiers congestionnés, suant « à larges gouttes », malpropres, saccageant des œuvres d’art, se comportant de manière « stupide » comme dans un jeu de massacre forain. Il condamne les débordements d’un troupeau sauvage ou de grands enfants irresponsables. À l’opposé, Zola souligne la magnifique détermination des insurgés qui manifestent d’un seul cœur une « colère plus haute » en raison de la « liberté » bafouée. La justice de leur déferlement est rehaussée par l’évidente complicité épique de la nature.
Ces trois romans du XIXe siècle rendent bien compte des soubresauts révolutionnaires qui ont agité leur époque, mais leurs auteurs y coulent aussi leur propre vision du monde. Ainsi Hugo nous livre-t-il un socialisme romantique et républicain, tandis que Flaubert dénonce la bêtise du peuple livré à lui-même2, et que Zola, héritier de Victor Hugo, s’érige en contempteur du Second Empire.
Notes
1 Notons les nombreux verbes d’action.
2 Ces pages lui vaudront une fâcherie avec son amie socialiste George Sand.
Voir aussi :
- Le bac de français
- Lire aussi le corrigé du commentaire