Sujets du bac de français 2014
Corrigé des questions (séries technologiques)
Questions
1. Qu’est-ce qui permet de rapprocher ces portraits de personnages ?
Le récit romanesque conduit une intrigue dans laquelle les personnages sont des éléments essentiels. Pour les rendre présents les romanciers leur donnent un caractère et une apparence physique qui sont rarement laissés au hasard. Le lecteur apprend à connaître ces êtres de papier d’abord par le portrait que leur auteur brosse d’eux. Les quatre extraits du corpus sont issus de romans des XIXe et XXe siècles. Honoré de Balzac, dans Eugénie Grandet, nous présente la Grande Nanon, une servante herculéenne. Victor Hugo, dans L’Homme qui rit, met en scène un étrange bateleur. Albert Cohen, anime l’inénarrable Mangeclous, héros du roman éponyme, tandis que Marc Dugain, fait découvrir à Adrien Fournier la terrible vérité de son apparence dans l’univers clos de La Chambre des officiers.
Ces personnages présentent tous des caractéristiques hors du commun.
– On ne peut que les remarquer. Ils attirent le regard ou le repoussent. La Grande Nanon offre une « figure repoussante », c’est une « créature femelle taillée en Hercule » qui effraie. Gwynplaine présente « un visage qu’on ne pouvait regarder sans rire ». Mangeclous est « célèbre dans tout l’Orient » en raison de ses comportements bestiaux relevés par une saleté repoussante, son costume, étrange mélange de laisser-aller et de cérémonial hors de propos, et des particularités anatomiques écœurantes : pétomanie, pilosité, toux ou sillon crânien démesuré… au point de devenir un épouvantail. Quant à Adrien Fournier, il nous est présenté de manière indirecte par la découverte de ses compagnons d’infortune affreusement défigurés par la guerre. Ils créent donc une certaine gêne car leur laideur est vite insupportable.
– Mais leur apparence physique ne semble pas coïncider avec leur nature intérieure. La virago (« femme d’allure masculine, aux manières rudes et autoritaires. » – Le Petit Robert) de Balzac est en fait une douce créature capable d’affection fidèle. L’observateur attentif du bateleur de Victor Hugo se rend vite compte que « le rire [n’est pas] le synonyme de la joie ». Le laisser-aller et la saleté de Mangeclous cachent une personnalité égoïste, roublarde et calculatrice. Quant aux « gueules cassées » de la Grande Guerre, ils ne sont sûrement pas les monstres qu’évoquent leurs visages mutilés.
– De ce fait, ils sollicitent le lecteur pour des interrogations ultérieures. Ces divergences ne manquent pas d’intriguer. Balzac remarque combien Grandet a abusé « féodalement » du rejet de Nanon par la rumeur publique. Hugo laisse sous-entendre que les traits de Gwynplaine ont une origine criminelle. Mangeclous cache son « apostolat » derrière les défroques d’un clochard énergumène. Le soldat défiguré se rend compte qu’il va devenir « le miroir des autres », qu’il est entré dans une communauté créée par le malheur, confrérie improbable de lépreux des temps modernes.
2. Quels effets ces portraits cherchent-ils à produire selon vous sur le lecteur ?
Il est évident que dans un premier temps tous ces romanciers ont voulu frapper le lecteur, retenir son attention.
Mais ensuite leur visée diverge. Marc Dugain veut apitoyer sur les malheurs injustes de ces soldats dévoués qui sont tenus à l’écart. Balzac fustige la bêtise des provinciaux qui confondent l’apparence et l’être, qui excluent ceux qui sont différents. Hugo nous met en garde contre le jugement rapide porté sur les masques. Cohen jubile devant son truculent personnage de pied nickelé oriental.
Cependant ces portraits révèlent un ou plusieurs fils conducteurs communs : ces personnages marqués par leur laideur repoussante appartiennent-ils toujours à l’humanité ? Leur apparence monstrueuse est-elle la punition de fautes cachées ? Avons-nous le droit de les exclure de la communauté ? Hugo va même plus loin en remettant en cause les catégories esthétiques du beau et du laid associées un peu hâtivement au bien et au mal.