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Bac français 2014 – Sujets Amérique du Nord (série L)

Sujets du bac de français 2014

Centres étrangers : Amérique du Nord, série L

Objet d’étude : écriture poétique et quête du sens, du Moyen Âge à nos jours.

Corpus :

  • Texte A – Pierre de Ronsard, Les Amours, « Des sonnets pour Hélène », XI, 1578.
  • Texte B – Victor Hugo, Les Quatre vents de l’esprit, section « Le Livre lyrique », poème « Exil », XXXVII, 1875.
  • Texte C – Pierre Seghers, Le Futur antérieur, « À ceux du 25 août 1944 », 1945.
  • Texte D – Hélène Cadou, Le Bonheur du jour, « Déjà je ne trouve plus ton visage », 1956.

Pierre de Ronsard, Les Amours, « Des sonnets pour Hélène », XI, 1578.

Ronsard a quarante-six ans quand il tombe amoureux d’Hélène de Surgères, beaucoup plus jeune que lui. Elle lui inspire de nombreux sonnets.

Pierre de Ronsard Trois jours ont jà1 passé que je suis affamé
De votre doux regard, et qu’à l’enfant je semble2
Que sa nourrice laisse, et qui crie et qui tremble
De faim en son berceau, dont il est consommé3.

Puisque mon œil ne voit le vôtre tant aimé
Qui ma vie et ma mort en un regard assemble,
Vous deviez, pour le moins, m’écrire, ce me semble ;
Mais vous avez le cœur d’un rocher enfermé.

Fière4, ingrate beauté, trop hautement superbe5,
Votre courage dur n’a pitié de l’amour,
Ni de mon pâle teint jà flétri comme une herbe.

Si je suis sans vous voir deux heures à séjour
Par épreuve je sens ce qu’on dit en proverbe :
L’amoureux qui attend se vieillit en un jour.


1 Jà : déjà.
2 Semble : ressemble.
3 Dont il est consommé : dont il souffre.
4 Fière : cruelle.
5 Superbe : belle, admirable mais aussi hautaine.

Victor Hugo, Les Quatre vents de l’esprit, section « Le Livre lyrique », poème « Exil », XXXVII, 1875.

Le poète évoque son exil hors de France. Ses parents, ses frères et sa fille aînée sont morts depuis plusieurs années. Ils sont enterrés en France.

Victor Hugo Si je pouvais voir, ô patrie,
Tes amandiers et tes lilas,
Et fouler ton herbe fleurie,
      Hélas !

Si je pouvais, – mais, ô mon père,
O ma mère, je ne peux pas, –
Prendre pour chevet1 votre pierre,
      Hélas !

Dans le froid cercueil qui vous gêne,
Si je pouvais vous parler bas,
Mon frère Abel, mon frère Eugène,
      Hélas !

Si je pouvais, ô ma colombe2,
Et toi, mère, qui t’envolas,
M’agenouiller sur votre tombe,
      Hélas !

Oh ! Vers l’étoile solitaire,
Comme je lèverais les bras !
Comme je baiserais la terre,
      Hélas !

Loin de vous, ô morts que je pleure,
Des flots noirs j’écoute le glas3 ;
Je voudrais fuir, mais je demeure,
      Hélas !

Pourtant le sort, caché dans l’ombre,
Se trompe si, comptant mes pas
Il croit que le vieux marcheur sombre
   Est las.


1 Chevet : tête du lit.
2 Colombe : allusion à sa fille défunte.
3 Le glas : son des cloches pour un enterrement.

Pierre Seghers, Le Futur antérieur, « À ceux du 25 août 1944 », 1945.

Le 25 août 1944, alors que Paris se libérait, un groupe de jeunes résistants a été fusillé par des soldats allemands.

Beaux enfants gravés dans le marbre
De votre ville, beaux enfants
Qui vivez parmi les vivants
Les yeux aussi gris que le vent

Beaux enfants de pierre et de pluie
Saints Sébastien1 de la Cité
Criblés aux murs de l’autre été
Pour vivre votre vérité

Vous n’êtes pas morts à la terre
Votre sang ne s’est point gelé
Sur nos pavés il s’est mêlé
Avec la cendre des brûlés

Visages sans noms de la rue
Graine anonyme des chaussées
Rue aux cent noms vous fleurissez
L’avenir avec le passé

La vie, le monde vous regarde
Vous ressemblez étrangement
À des amants, à des déments
Aux trompettes du Jugement2

Témoins aux fronts insaisissables
Si pareils à chacun de nous
Foule aux garçons toujours debout
Pour se battre, le vingt-cinq Août…

Paris vous porte en sa poitrine
Et vous, votre mort dans vos mains,
Saints des chemins les plus humains
Vous lui offrez vos lendemains.


1 Saint Sébastien : martyr chrétien criblé de flèches.
2 Aux trompettes du Jugement : dans la Bible, à la fin du monde, des trompettes annoncent le jugement divin des âmes.

Hélène Cadou, Le Bonheur du jour, « Déjà je ne trouve plus ton visage », 1956.

Hélène Cadou est la veuve du poète René-Guy Cadou, mort à trente et un ans en 1951. Il a consacré de nombreux poèmes à sa femme.

Déjà je ne trouve plus ton visage
Qui dérive sous l’épaisseur des jours
Et déjà ta voix m’arrive si basse
Que je ne sais plus écouter ton chant
Me faudra-t-il oublier ton image
Me perdre sans toi dans une autre nuit
Pour qu’au fond de l’ombre et de la souffrance
Naisse le printemps qui nous est promis.

Tu m’es revenu ce matin
Le soleil est sur la maison
Si je savais le retenir
Dans la corbeille d’un beau jour
Peut-être viendrais-tu parfois
Faire halte au milieu de ta nuit
Et dormir encore avec moi
Dans la paille de ses rayons.

Il y avait tant de silence
Tant de présence dans cette chambre
Toutes les lampes
Sur nos lèvres le même sourire
Que lorsqu’Elle est venue vers toi
Elle avait le visage du printemps.

Je sais que tu m’as inventée
Que je suis née de ton regard
Toi qui donnais lumière aux arbres
Mais depuis que tu m’as quittée
Pour un sommeil qui te dévore
Je m’applique à te redonner
Dans le nid tremblant de mes mains
Une part de jour assez douce
Pour t’obliger à vivre encore.

I. Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

Comment ces poèmes rendent-ils présents les êtres et les choses dont ils évoquent l’absence ?

Proposition de corrigé

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

La poésie a souvent exploité le registre du lyrisme élégiaque pour évoquer des choses ou des êtres éloignés ou disparus. Les quatre textes du corpus nous montrent la persistance de ces affections qui veulent survivre à l’indifférence, au temps et à l’oubli. Ils s’étalent du XVIe au XXe siècle. Pierre de Ronsard, dans le XIe « sonnet pour Hélène » des Amours, se plaint de l’indifférence d’Hélène de Surgères. Victor Hugo, dans le poème « Exil » des Quatre vents de l’esprit, montre combien il a souffert de son bannissement qui l’a éloigné des tombes familiales. Pierre Seghers, célèbre la mémoire des martyrs de la guerre par « À ceux du 25 août 1944 » du recueil Futur antérieur. Enfin Hélène Cadou, par « Déjà je ne trouve plus ton visage » du recueil Bonheur du jour, veut rappeler la présence de son mari mort cinq ans plus tôt.

Ce travail de mémoire qui répond à des besoins différents utilise des procédés littéraires variés. Ronsard qui veut apitoyer la jeune et belle Hélène se sert de la comparaison avec « l’enfant » qui dépérit loin de sa « nourrice ». Il se sert aussi de reproches vifs tirés de la langue précieuse :

« Fière, ingrate beauté, trop hautement superbe,
Votre courage dur n’a pitié de l’amour »

très ambivalents car s’ils manifestent un désir violent déçu, ils renvoient aussi à un compliment pour une déesse guerrière. Enfin avec habileté, Ronsard culpabilise son amante tout en s’exonérant des signes de sa vieillesse sur la dureté de cœur de la jeune femme. Victor Hugo recourt à un lexique funèbre renforcé par l’anaphore des « si » soulignant l’irréalité du souhait et celle des « hélas » ponctuant les strophes. Mais la véritable intention réside dans la chute, un jeu sur les mots pour dénoncer la violente et douloureuse injustice du tyran qui a exilé le poète. Pierre Seghers écrit dans le registre épique religieux. Le monument aux morts devient un autel. Les jeunes fusillés sont élevés à la gloire des « saints […] humains », leurs restes seront semence de vie dans la mesure où la mémoire populaire conservera leur exemple. Hélène Cadou s’exprime dans une tonalité plus intimiste. La muse « inventée » par son mari devient à son tour poétesse afin que sa voix ténue maintienne la présence du cher disparu. Il lui appartient à son tour de redonner la vie au défunt par la célébration impressionniste d’une chaude lumière printanière mêlée à une nuit complice. Elle réinvente en femme, à l’école de son mari, le mythe orphique.

Ainsi le manque cruel, qu’il s’agisse de la passion sénile insatisfaite, de la caution des morts, de l’exaltation patriotique de héros morts trop tôt ou d’une tentative de résurrection par une parole fidèle, trouve dans les variations de la plainte toute une palette de sentiments capables de toucher le lecteur. Il cherche surtout par la force incantatoire du verbe poétique à soumettre le temps et l’espace au désir fusionnel de proximité.

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (16 points) :

Commentaire

Vous commenterez le poème d’Hélène Cadou, tiré du recueil Le Bonheur du jour (texte D).

Dissertation

Selon vous, l’absence de l’être aimé est-elle la seule source d’inspiration poétique ?
Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur le corpus, les œuvres étudiées en classe et vos lectures personnelles.

Écriture d’invention

Dans la préface d’une anthologie, c’est-à-dire d’un recueil constitué d’une sélection de textes, un éditeur justifie son choix de regrouper uniquement des poèmes inspirés par l’éloignement, le manque ou les vides de la vie.
Vous rédigerez cette préface solidement argumentée.

Voir aussi :

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