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Bac français 2015 – Sujets Amérique du Nord

Sujets du bac de français 2015

Centres étrangers : Amérique du Nord, séries S et ES

Objet d’étude : la question de l’homme dans les genres de l’argumentation, du XVIe siècle à nos jours

Corpus :

  • Document A : Victor Hugo, Les Châtiments, « Lux », 1853.
  • Document B : Jean Jaurès, Discours à la jeunesse, 1903.
  • Document C : Henri Barbusse, Le Feu, 1915.
  • Document D : Robert Capa, « Mort d’un soldat républicain près de Cerro Muriano », 1936.

Victor Hugo, Les Châtiments, « Lux », 1853.

Victor Hugo Dans le recueil Les Châtiments, rédigé en exil, Hugo accable de critiques celui qu’il considère comme un tyran : Napoléon III. À la fin du recueil, dans le poème « Lux » (en latin : « lumière »), il prédit la chute du tyran. Mais cette prédiction va plus loin.

Bannis1 ! bannis ! bannis ! c’est là la destinée.
Ce qu’apporte le flux sera dans la journée
Repris par le reflux.
Les jours mauvais fuiront sans qu’on sache leur nombre,
Et les peuples joyeux et se penchant sur l’ombre
Diront : Cela n’est plus !

Les temps heureux luiront, non pour la seule France,
Mais pour tous. On verra dans cette délivrance,
Funeste au seul passé,
Toute l’humanité chanter, de fleurs couverte,
Comme un maître qui rentre en sa maison déserte
Dont on l’avait chassé.

Les tyrans s’éteindront comme des météores.
Et, comme s’il naissait de la nuit deux aurores
Dans le même ciel bleu,
Nous vous verrons sortir de ce gouffre où nous sommes,
Mêlant vos deux rayons, fraternité des hommes,
Paternité de Dieu !

Oui, je vous le déclare, oui, je vous le répète,
Car le clairon redit ce que dit la trompette,
Tout sera paix et jour !
Liberté ! plus de serf2 et plus de prolétaire3 !
Ô sourire d’en haut ! ô du ciel pour la terre
Majestueux amour !

L’arbre saint du Progrès, autrefois chimérique,
Croîtra, couvrant l’Europe et couvrant l’Amérique,
Sur le passé détruit,
Et, laissant l’éther4 pur luire à travers ses branches,
Le jour, apparaîtra plein de colombes blanches,
Plein d’étoiles, la nuit.

Et nous qui serons morts, morts dans l’exil peut-être,
Martyrs saignants, pendant que les hommes, sans maître,
Vivront, plus fiers, plus beaux,
Sous ce grand arbre, amour des cieux qu’il avoisine,
Nous nous réveillerons pour baiser sa racine
Au fond de nos tombeaux !

Jersey, septembre 1853.


1 Bannis : ceux que Napoléon III a condamnés à quitter le territoire français parce qu’ils s’opposaient à lui.
2 Serf : esclave.
3 Prolétaire : travailleur manuel de la grande industrie, ouvrier.
4 Éther : ciel.

Jean Jaurès, Discours à la jeunesse, 1903.

Orateur et parlementaire socialiste, Jaurès s’est notamment illustré par son pacifisme et son opposition au déclenchement de la Première Guerre mondiale. Dans ce discours, Jaurès s’adresse aux élèves du lycée d’Albi, où il a lui-même été élève, puis professeur quelques décennies plus tôt.

Quoi donc ? La paix nous fuira-t-elle toujours ? Et la clameur des hommes, toujours forcenés et toujours déçus, continuera-t-elle à monter vers les étoiles d’or, des capitales modernes incendiées par les obus, comme de l’antique palais de Priam incendié par les torches1 ? Non ! Non ! et malgré les conseils de prudence que nous donnent ces grandioses déceptions, j’ose dire, avec des millions d’hommes, que maintenant la grande paix humaine est possible, et si nous le voulons, elle est prochaine. Des forces neuves y travaillent : la démocratie, la science méthodique, l’universel prolétariat solidaire. La guerre devient plus difficile, parce qu’avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel. La guerre devient plus difficile, parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, d’échanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d’aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif.

Enfin, le commun idéal qui exalte et unit les prolétaires de tous les pays les rend plus réfractaires tous les jours à l’ivresse guerrière, aux haines et aux rivalités de nations et de races. Oui, comme l’histoire a donné le dernier mot à la République si souvent bafouée et piétinée, elle donnera le dernier mot à la paix, si souvent raillée par les hommes et les choses, si souvent piétinée par la fureur des événements et des passions. Je ne vous dis pas : c’est une certitude toute faite. Il n’y a pas de certitude toute faite en histoire. Je sais combien sont nombreux encore aux jointures des nations les points malades d’où peut naître soudain une passagère inflammation générale. Mais je sais aussi qu’il y a vers la paix des tendances si fortes, si profondes, si essentielles, qu’il dépend de vous, par une volonté consciente, délibérée, infatigable, de systématiser ces tendances et de réaliser enfin le paradoxe de la grande paix humaine, comme vos pères ont réalisé le paradoxe de la grande liberté républicaine. Œuvre difficile, mais non plus œuvre impossible. Apaisement des préjugés et des haines, alliances et fédérations toujours plus vastes, conventions internationales d’ordre économique et social, arbitrage international et désarmement simultané, union des hommes dans le travail et dans la lumière : ce sera, jeunes gens, le plus haut effort et la plus haute gloire de la génération qui se lève.


1 Priam est le roi de Troie, cité ravagée par l’armée des Grecs dans L’Iliade d’Homère (VIIIe siècle avant J. C.).

Henri Barbusse, Le Feu, 1915.

Henri Barbusse À la fin de ce roman, le jour se lève sur le champ de bataille inondé par la pluie et dévasté par les bombardements terribles de la nuit.

— C’est vrai, c’qu’i’ dit, fit un homme sans remuer la tête dans sa cangue1. Quand j’sui’ été en permission, j’ai vu qu’j’avais oublié bien des choses de ma vie d’avant. Y a des lettres de moi que j’ai relues comme si c’était un livre que j’ouvrais. Et pourtant, malgré ça, j’ai oublié aussi ma souffrance de la guerre. On est des machines à oublier. Les hommes, c’est des choses qui pensent un peu, et qui, surtout, oublient. Voilà ce qu’on est.
— Ni les autres, ni nous, alors ! Tant de malheur est perdu !
Cette perspective vint s’ajouter à la déchéance de ces créatures comme la nouvelle d’un désastre plus grand, les abaisser encore sur leur grève de déluge.
— Ah ! si on se rappelait ! s’écria l’un.
— Si on s’rappelait, dit l’autre, y aurait plus d’guerre !
Un troisième ajouta magnifiquement :
— Oui, si on s’rappelait, la guerre serait moins inutile qu’elle ne l’est.
Mais tout d’un coup, un des survivants couchés se dressa à genoux, secoua ses bras boueux et d’où tombait la boue, et, noir comme une grande chauve-souris engluée, il cria sourdement :
— Il ne faut plus qu’il y ait de guerre après celle-là !
Dans ce coin bourbeux où, faibles encore et impotents, nous étions assaillis par des souffles de vent qui nous empoignaient si brusquement et si fort que la surface du terrain semblait osciller comme une épave, le cri de l’homme qui avait l’air de vouloir s’envoler éveilla d’autres cris pareils :
— Il ne faut plus qu’il y ait de guerre après celle-là !
Les exclamations sombres, furieuses, de ces hommes enchaînés à la terre, incarnés de terre2, montaient et passaient dans le vent comme des coups d’aile :
— Plus de guerre, plus de guerre !
— Oui, assez !
— C’est trop bête, aussi… C’est trop bête, mâchonnaient-ils. Qu’est-ce que ça signifie, au fond, tout ça – tout ça qu’on n’peut même pas dire !
Ils bafouillaient, ils grognaient comme des fauves sur leur espèce de banquise disputée par les éléments, avec leurs sombres masques en lambeaux. La protestation qui les soulevait était tellement vaste qu’elle les étouffait.
— On est fait pour vivre, pas pour crever comme ça !
— Les hommes sont faits pour être des maris, des pères – des hommes, quoi ! – pas des bêtes qui se traquent, s’égorgent et s’empestent.
— Et tout partout, partout, c’est des bêtes, des bêtes féroces ou des bêtes écrasées. Regarde, regarde !
Je n’oublierai jamais l’aspect de ces campagnes sans limites sur la face desquelles l’eau sale avait rongé les couleurs, les traits, les reliefs, dont les formes attaquées par la pourriture liquide s’émiettaient et s’écoulaient de toutes parts, à travers les ossatures broyées des piquets, des fils de fer, des charpentes – et, là-dessus, parmi ces sombres immensités de Styx3, la vision de ce frissonnement de raison, de logique et de simplicité, qui s’était mis soudain à secouer ces hommes comme de la folie.
On voyait que cette idée les tourmentait : qu’essayer de vivre sa vie sur la terre et d’être heureux, ce n’est pas seulement un droit, mais un devoir – et même un idéal et une vertu ; que la vie sociale n’est faite que pour donner plus de facilité à chaque vie intérieure.
— Vivre !…
— Nous !… Toi… Moi…
— Plus de guerre. Ah ! non… C’est trop bête !… Pire que ça, c’est trop…
Une parole vint en écho à leur vague pensée, à leur murmure morcelé et avorté de foule… J’ai vu se soulever un front couronné de fange4 et la bouche a proféré au niveau de la terre :
— Deux armées qui se battent, c’est comme une grande armée qui se suicide !


1 Cangue : instrument de torture ayant la forme d’une planche ou d’une table percée de trois trous dans lesquels on introduisait la tête et les mains du supplicié. Il s’agit ici d’une « cangue » de terre.
2 « Incarnés de terre » : dont la chair est mélangée à la terre.
3 Styx : fleuve des Enfers dans la mythologie grecque antique.
4 Fange : boue.

Robert Capa (1913-1954), « Mort d’un soldat républicain », 1936.

Robert Capa, Mort d’un soldat républicain

Après avoir lu attentivement les documents du corpus, vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

Par quels moyens les auteurs du corpus essaient-ils d’agir sur l’esprit du lecteur ou du spectateur ?

Réponse à la question préalable
Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

La fin du XIXe siècle et la première moitié du XXe ont été particulièrement marquées par les violences nées des conditions économiques, des soubresauts politiques ou des nationalismes exacerbés. Il n’est donc pas étonnant que certains artistes aient mis la force de leur art au service de la dénonciation de ces brutalités inhumaines.

Ainsi, Victor Hugo, dans « Lux » tiré des Châtiments, dénonce-t-il la tyrannie de Napoléon le petit et prophétise une fraternité universelle. Jean Jaurès, dans son Discours à la jeunesse de 1903 souhaite conjurer la montée des périls par un humanisme non-violent. Henri Barbusse, qui a participé à la « Grande Guerre », dépeint avec son roman Le Feu l’horreur du champ de bataille et la prise de conscience pacifiste qui en résulte. Enfin le photographe de guerre Robert Capa qui couvrait la guerre civile espagnole a voulu en révéler la terrifiante absurdité au moyen de son cliché fameux mais aussi très controversé, « Mort d’un soldat républicain près de Cerro Muriano ».

Ces documents sont à l’évidence travaillés pour agir sur l’esprit du lecteur ou du spectateur. Par quels moyens y parviennent-ils ?

Commençons par le dernier document pour deux raisons : la première étant son caractère insolite de photo au milieu de textes littéraires, la seconde, sa théâtralité qui a fait douter de sa véracité factuelle. Capa nous montre, sous un ciel lourd, un soldat arrêté brutalement dans sa course, foudroyé par le feu ennemi. Il est en pleine lumière comme le résistant fusillé du Tres de mayo de Goya. Comme lui, il a les bras écartés, il devient une figure christique. Le fort contraste des valeurs picturales, la dramatisation du mouvement stoppé vu en contre-plongée laissent supposer une mise en scène plus qu’un instantané historique. Cette photo répond probablement à un projet de propagande à la gloire des antifascistes. Cette entreprise de persuasion visuelle a grandement contribué à la célébrité de son auteur.

Barbusse se comporte en romancier naturaliste. Il se livre à une reconstitution documentaire pour préparer la prise de conscience des combattants, le « nous » marquant la solidarité et la proximité de l’observateur. Il essaie de décrire une réalité repoussante, celle de la boue qui emprisonne les soldats. Il rapporte les propos des hommes avec leurs mots familiers et naïfs. Cependant comme chez Zola, la réalité misérable se transforme de manière symbolique : le lieu des combats évoque le Styx ; le lecteur assiste au surgissement métaphorique complexe d’un animal monstrueux qui veut s’envoler, mais aussi d’un homme en prière, et peut-être à l’évocation implicite d’un nouvel Adam, pacifiste enfanté par une terre-mère dévastée par la folie et l’horreur. De même, les propos échangés ne sont pas la simple transcription de ce qui a été entendu. Ils sont organisés en vue de la déclaration finale. L’indicible mûrit pour surgir dans un apophtegme (« parole mémorable ayant une valeur de maxime. » – Le Petit Robert). Les simples soldats se servent de rythmes ternaires bien inhabituels : « Les hommes sont faits pour être des maris, des pères – des hommes, quoi ! – pas des bêtes qui se traquent, s’égorgent et s’empestent. » Comme chez Capa, l’artiste a remplacé le journaliste.

Hugo et Jaurès veulent redonner espoir en considérant l’avenir. Héritiers du siècle des Lumières, les deux hommes croient au mythe du progrès. Si le présent est difficile, voire menaçant, demain sera forcément radieux. Ils se comportent en sages qui font confiance à l’idéalisme de leurs descendants. Jaurès cherche plutôt à convaincre en professeur : il commence par des interrogations oratoires pour saisir l’attention de son auditoire, il se réfère au modèle académique de l’Iliade pour dénoncer les perspectives funestes de la guerre, il accumule les arguments rationnels. Mais il cherche aussi à persuader par le recours aux hyperboles : « millions d’hommes », « grande paix », « réseau multiplié », « attentat monstrueux » ; à la modalisation appuyée d’un « je » qui s’engage ; à des rythmes ternaires : « des tendances si fortes, si profondes, si essentielles », « volonté consciente, délibérée, infatigable » éminemment oratoires ; à l’appel final flatteur qui cherche à libérer les énergies idéalistes de la jeunesse.

Hugo se comporte en prophète, il est un « je » qui proclame solennellement au son des cuivres, il emploie l’interjection, l’apostrophe. Le poète utilise le genre apocalyptique. Il convoque les astres ; il transcende le temps ; à la manière de Dieu, il assiste au jugement dernier. Comme Chateaubriand, il se place outre-tombe dans la vision eschatologique d’un paradis terrestre à venir. Il se sert du langage de la foi, les futurs attestent la certitude ; il s’appuie sur de grands principes fédérateurs qui touchent à la mystique. Son poème est une incantation.

Les formes et les genres utilisés sont très divers, mais ils se rejoignent dans leur véhémence, leur désir de marquer durablement afin d’éviter le retour des folies humaines. Chaque artiste a ainsi utilisé la force qui est peut-être l’antidote esthétique de la violence désordonnée.

Vous traiterez ensuite au choix l’un des trois travaux d’écriture suivants (16 points) :

Commentaire

Vous ferez le commentaire du texte de Henri Barbusse (Document C).

Dissertation

La littérature et les arts peuvent-ils être une arme contre la guerre et contre d’autres maux ? Vous appuierez votre développement sur les textes et la photographie du corpus, les textes et les œuvres artistiques étudiés pendant l’année, ainsi que votre culture personnelle.

Écriture d’invention

Un auditeur de Jaurès (document B) prend la parole à la fin du discours. Il conteste l’optimisme de l’orateur socialiste. Vous rédigerez ce discours.
Vous veillerez à utiliser des procédés de persuasion et des techniques d’argumentation variés.

Voir aussi :