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Bac français 2016 : sujet des séries S et ES

Sujets du bac de français 2016

Séries S et ES

Objet d’étude : la question de l’homme dans les genres de l’argumentation du XVIe siècle à nos jours

Corpus :

  • Texte A : Victor Hugo, Discours prononcé aux funérailles de M. Honoré de Balzac (29 août 1850)
  • Texte B : Émile Zola, Discours prononcé aux obsèques de Guy de Maupassant (7 juillet 1893)
  • Texte C : Anatole France, Éloge funèbre d’Émile Zola (5 octobre 1902)
  • Texte D : Paul Éluard, Allocution prononcée à la légation de Tchécoslovaquie à l’occasion du retour des cendres de Robert Desnos (15 octobre 1945)

Victor Hugo (1802-1885), Discours prononcé aux funérailles de M. Honoré de Balzac (29 août 1850)

Balzac est l’auteur de nombreux romans réunis sous le titre de Comédie humaine, somme de ses observations sur l’ensemble de la société de son temps.

Victor Hugo M. de Balzac était un des premiers parmi les plus grands, un des plus hauts parmi les meilleurs. Ce n’est pas le lieu de dire ici tout ce qu’était cette splendide et souveraine intelligence. Tous ses livres ne forment qu’un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l’on voit aller et venir et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d’effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine ; livre merveilleux que le poète a intitulé comédie et qu’il aurait pu intituler histoire, qui prend toutes les formes et tous les styles, qui dépasse Tacite et qui va jusqu’à Suétone, qui traverse Beaumarchais et qui va jusqu’à Rabelais1 ; livre qui est l’observation et qui est l’imagination ; qui prodigue le vrai, l’intime, le bourgeois, le trivial, le matériel, et qui par moment, à travers toutes les réalités brusquement et largement déchirées, laisse tout à coup entrevoir le plus sombre et le plus tragique idéal.
À son insu, qu’il le veuille ou non, qu’il y consente ou non, l’auteur de cette œuvre immense et étrange est de la forte race des écrivains révolutionnaires. Balzac va droit au but. Il saisit corps à corps la société moderne. Il arrache à tous quelque chose, aux uns l’illusion, aux autres l’espérance, à ceux-ci un cri, à ceux-là un masque. Il fouille le vice, il dissèque la passion. Il creuse et sonde l’homme, l’âme, le cœur, les entrailles, le cerveau, l’abîme que chacun a en soi. Et, par un don de sa libre et vigoureuse nature, par un privilège des intelligences de notre temps qui, ayant vu de près les révolutions, aperçoivent mieux la fin de l’humanité2 et comprennent mieux la providence3, Balzac se dégage souriant et serein de ces redoutables études qui produisaient la mélancolie chez Molière et la misanthropie chez Rousseau. Voilà ce qu’il a fait parmi nous. Voilà l’œuvre qu’il nous laisse, œuvre haute et solide, robuste entassement d’assises de granit, monument, œuvre du haut de laquelle resplendira désormais sa renommée. Les grands hommes font leur propre piédestal ; l’avenir se charge de la statue.
Sa mort a frappé Paris de stupeur. Depuis quelques mois, il était rentré en France. Se sentant mourir, il avait voulu revoir la patrie, comme la veille d’un grand voyage on vient embrasser sa mère.
Sa vie a été courte, mais pleine ; plus remplie d’œuvres que de jours.
Hélas ! ce travailleur puissant et jamais fatigué, ce philosophe, ce penseur, ce poète, ce génie, a vécu parmi nous de cette vie d’orages, de luttes, de querelles, de combats, commune dans tous les temps à tous les grands hommes. Aujourd’hui, le voici en paix. Il sort des contestations et des haines. Il entre, le même jour, dans la gloire et dans le tombeau. Il va briller désormais, au-dessus de toutes ces nuées qui sont sur nos têtes, parmi les étoiles de la patrie ! […]


1 Tacite, historien latin du Ier siècle, auteur des Annales ; Suétone, biographe et auteur de la Vie des douze César (Ier siècle) ; Beaumarchais, homme de lettres et dramaturge du XVIIIe siècle ; Rabelais, humaniste du XVIe siècle.
2 La fin de l’humanité : ce vers quoi tend l’humanité, sa finalité.
3 La providence : puissance supérieure, qui gouverne le monde, qui veille sur le destin des individus.

Émile Zola (1840-1902), Discours prononcé aux obsèques de Guy de Maupassant (7 juillet 1893)

Maupassant est un écrivain français né en 1850 et mort en 1893.

Émile Zola MESSIEURS,

C’est au nom de la Société des Gens de Lettres et de la Société des Auteurs dramatiques que je dois parler. Mais qu’il me soit permis de parler au nom de la littérature française, et que ce ne soit pas le confrère, mais le frère d’armes, l’aîné, l’ami qui vienne ici rendre un suprême hommage à Guy de Maupassant.

J’ai connu Maupassant, il y a dix-huit à vingt ans déjà, chez Gustave Flaubert. Je le revois encore, tout jeune, avec ses yeux clairs et rieurs, se taisant, d’un air de modestie filiale, devant le maître. Il nous écoutait pendant l’après-midi entière, risquait à peine un mot de loin en loin ; mais de ce garçon solide, à la physionomie ouverte et franche, sortait un air de gaîté si heureuse, de vie si brave, que nous l’aimions tous, pour cette bonne odeur de santé qu’il nous apportait. Il adorait les exercices violents ; des légendes de prouesses surprenantes couraient déjà sur lui. L’idée ne nous venait pas qu’il pût avoir un jour du talent.

Et puis éclata Boule-de-Suif, ce chef-d’œuvre, cette œuvre parfaite de tendresse, d’ironie et de vaillance. Du premier coup, il donnait l’œuvre décisive, il se classait parmi les maîtres. Ce fut une de nos grandes joies ; car il devint notre frère, à nous tous qui l’avions vu grandir sans soupçonner son génie. Et, à partir de ce jour, il ne cessa plus de produire, avec une abondance, une sécurité, une force magistrale, qui nous émerveillaient. Il collaborait à plusieurs journaux. Les contes, les nouvelles se succédaient, d’une variété infinie, tous d’une perfection admirable, apportant chacun une petite comédie, un petit drame complet, ouvrant une brusque fenêtre sur la vie. On riait et l’on pleurait, et l’on pensait, à le lire. Je pourrais citer tels de ces courts récits qui contiennent, en quelques pages, la moelle même de ces gros livres que d’autres romanciers auraient écrits certainement. Mais il me faudrait tous les citer, et certains ne sont-ils pas déjà classiques, comme une fable de La Fontaine ou un conte de Voltaire ?

Maupassant voulut élargir son cadre, pour répondre à ceux qui le spécialisaient, en l’enfermant dans la nouvelle ; et, avec cette énergie tranquille, cette aisance de belle santé qui le caractérisait, il écrivit des romans superbes, où toutes les qualités du conteur se retrouvaient comme agrandies, affinées par la passion de la vie. Le souffle lui était venu, ce grand souffle humain qui fait les œuvres passionnantes et vivantes. Depuis Une vie jusqu’à Notre Cœur, en passant par Bel-Ami, par La Maison Tellier et Fort comme la Mort, c’est toujours la même vision forte et simple de l’existence, une analyse impeccable, une façon tranquille de tout dire, une sorte de franchise saine et généreuse qui conquiert tous les cœurs. Et je veux même faire une place à part à Pierre et Jean, qui est, selon moi, la merveille, le joyau rare, l’œuvre de vérité et de grandeur qui ne peut être dépassée. […]

Anatole France (1844-1924), Éloge funèbre d’Émile Zola (5 octobre 1902)

Chef de file du naturalisme, Zola est l’auteur d’une vaste fresque romanesque, Les Rougon-Macquart. À travers les nombreux personnages de cette famille, il dépeint la société française sous le Second Empire.

Anatole France Messieurs,

Rendant à Émile Zola au nom de ses amis les honneurs qui lui sont dus, je ferai taire ma douleur et la leur. Ce n’est pas par des plaintes et des lamentations qu’il convient de célébrer ceux qui laissent une grande mémoire, c’est par de mâles louanges et par la sincère image de leur œuvre et de leur vie.
L’œuvre littéraire de Zola est immense. Vous venez d’entendre le président de la Société des gens de lettres en définir le caractère avec une admirable précision. Vous avez entendu le ministre de l’Instruction publique en développer éloquemment le sens intellectuel et moral. Permettez qu’à mon tour je la considère un moment devant vous.
Messieurs, lorsqu’on la voyait s’élever pierre par pierre, cette œuvre, on en mesurait la grandeur avec surprise. On admirait, on s’étonnait, on louait, on blâmait. Louanges et blâmes étaient poussés avec une égale véhémence1. On fit parfois au puissant écrivain – je le sais par moi-même – des reproches sincères, et pourtant injustes. Les invectives2 et les apologies3 s’entremêlaient. Et l’œuvre allait grandissant.
Aujourd’hui qu’on en découvre dans son entier la forme colossale, on reconnaît aussi l’esprit dont elle est pleine. C’est un esprit de bonté. Zola était bon. Il avait la candeur et la simplicité des grandes âmes. Il était profondément moral. Il a peint le vice d’une main rude et vertueuse. Son pessimisme apparent, une sombre humeur répandue sur plus d’une de ses pages cachent mal un optimisme réel, une foi obstinée au progrès de l’intelligence et de la justice. Dans ses romans, qui sont des études sociales, il poursuivit d’une haine vigoureuse une société oisive, frivole, une aristocratie basse et nuisible, il combattit le mal du temps : la puissance de l’argent. Démocrate, il ne flatta jamais le peuple et il s’efforça de lui montrer les servitudes de l’ignorance, les dangers de l’alcool qui le livre imbécile et sans défense à toutes les oppressions, à toutes les misères, à toutes les hontes. Il combattit le mal social partout où il le rencontra. Telles furent ses haines. Dans ses derniers livres, il montra tout entier son amour fervent de l’humanité. Il s’efforça de deviner et de prévoir une société meilleure. […]


1 Véhémence : emportement.
2 Invectives : discours violents et injurieux contre quelqu’un ou quelque chose.
3 Apologie : discours ou écrit ayant pour objet de défendre, de justifier et, le cas échéant, de faire l’éloge d’une personnalité ou d’une cause contre des attaques publiques.

Paul Éluard (1895-1952), Allocution prononcée à la légation de Tchécoslovaquie à l’occasion du retour des cendres de Robert Desnos (15 octobre 1945)

Paul Éluard et Robert Desnos ont tous deux participé à la Résistance.
Desnos a été interné dans le camp de concentration de Terezin. Très affaibli par les conditions de sa détention, il est mort du typhus peu de temps après la libération du camp au printemps 1945.

[…] Robert Desnos, lui, n’aura connu votre pays que pour y mourir. Et ceci nous rapproche encore plus de vous. Jusqu’à la mort, Desnos a lutté pour la liberté. Tout au long de ses poèmes, l’idée de liberté court comme un feu terrible, le mot de liberté claque comme un drapeau parmi les images les plus neuves, les plus violentes aussi. La poésie de Desnos, c’est la poésie du courage. Il a toutes les audaces possibles de pensée et d’expression. Il va vers l’amour, vers la vie, vers la mort sans jamais douter. Il parle, il chante très haut, sans embarras. Il est le fils prodigue d’un peuple soumis à la prudence, à l’économie, à la patience, mais qui a quand même toujours étonné le monde par ses colères brusques, sa volonté d’affranchissement et ses envolées imprévues.
Il y a eu en Robert Desnos deux hommes, aussi dignes d’admiration l’un que l’autre : un homme honnête, conscient, fort de ses droits et de ses devoirs et un pirate tendre et fou, fidèle comme pas un à ses amours, à ses amis, et à tous les êtres de chair et de sang dont il ressent violemment le bonheur et le malheur, les petites misères et les petits plaisirs.
Desnos a donné sa vie pour ce qu’il avait à dire. Et il avait tant à dire. Il a montré que rien ne pouvait le faire taire. Il a été sur la place publique, sans se soucier des reproches que lui adressaient, de leur tour d’ivoire, les poètes intéressés à ce que la poésie ne soit pas ce ferment1 de révolte, de vie entière, de liberté qui exalte les hommes quand ils veulent rompre les barrières de l’esclavage et de la mort.


1 Ferment : germe qui fait naître un sentiment.

Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez à la question suivante (4 points) :

Quelles sont les qualités des écrivains célébrés dans les textes du corpus ?

Proposition de corrigé
Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

La mort de personnalités publiques donne traditionnellement l’occasion de prononcer leur éloge. Ici, il s’agit de celui d’écrivains : le « Discours prononcé aux funérailles de M. Honoré de Balzac » par Victor Hugo le 29 août 1850, le « Discours prononcé aux obsèques de Guy de Maupassant » le 7 juillet 1893 par Émile Zola, l’« Éloge funèbre d’Émile Zola » par Anatole France le 5 octobre 1902, et l’« Allocution prononcée à la légation de Tchécoslovaquie à l’occasion du retour des cendres de Robert Desnos le 15 octobre 1945 par Paul Éluard. Quelles sont donc les qualités des écrivains célébrés dans ces discours épidictiques ?

L’homme

Comme dans la plupart des portraits, les auteurs de discours s’intéressent d’abord à l’homme, à sa personnalité.
Hugo souligne chez Balzac une « splendide et souveraine intelligence ». Il note chez lui l’amour de sa patrie, une vie courte mais intense et bien remplie, rendant ainsi hommage au travailleur intellectuel herculéen.
Zola relève chez Maupassant la modestie, la gaieté, le caractère aimable, le goût inhabituel des exercices violents, reconnaissant que l’auteur de Boule de suif cachait bien son talent au point de surprendre ses proches.
Pour Anatole France, Zola était un homme « bon », naïf, moral, entièrement consacré à son œuvre au point que l’homme a failli disparaître derrière elle.
Paul Éluard reconnaît chez Desnos une personnalité contradictoire, celle d’« un homme honnête, conscient, fort de ses droits et de ses devoirs » associée à celle d’« un pirate tendre et fou ». Le personnage reste attachant par sa fidélité et son empathie.

L’écrivain

Bien entendu, comme il s’agit d’hommes de lettres, les auteurs des discours s’intéressent à l’écrivain.
Hugo caractérise Balzac de manière perspicace. Le visionnaire romantique discerne dans l’auteur de la Comédie humaine un miroir de la « civilisation contemporaine ». Il se reconnaît dans cette œuvre protéiforme. Il souligne le lien étroit et original entre réalisme et romantisme, ce mélange des genres si cher au cœur du théoricien de William Shakespeare. De même il retrouve chez son aîné ses affinités de prophète qui sait deviner la « fin » et percevoir l’action de la « providence ».
De même Zola reconnaît une fraternité littéraire de romancier dans la production abondante de Maupassant. Il l’encense pour sa maîtrise qui a composé une littérature plaisante et riche en réflexions, une parfaite illustration contemporaine du placere docere classique.
Anatole France loue Zola pour son œuvre « immense » et controversée, bien que les « reproches sincères » adressés soient « pourtant injustes ». Ces « études sociales » ont eu le mérite de réveiller les consciences.
Enfin Paul Éluard salue chez Desnos une « poésie du courage ».

Le novateur et l’humaniste généreux

La plupart des auteurs vont plus loin en glorifiant le novateur et l’humaniste généreux dans l’écrivain disparu.
Ainsi Balzac « est de la forte race des écrivains révolutionnaires ». Le terme revêt deux sens : non seulement il renouvelle l’inspiration et l’expression, mais il s’inscrit aussi dans la continuité de la grande tradition critique des moralistes classiques et antiques comme Molière, Tacite ou Suétone.
Maupassant fait passer un « grand souffle humain », il a la « passion de la vie », son « analyse » des comportements est « impeccable », « saine et généreuse ».
Zola a combattu ardemment la corruption, « le mal social ». Démocrate et non démagogue, il a évolué vers un généreux utopisme.
Desnos a célébré la liberté au moyen des « images les plus neuves, les plus violentes ». Ses « audaces » ont été un « ferment de révolte » contre « l’esclavage et […] la mort. »

Nous sommes bien dans la tradition emphatique convenue du discours mortuaire. Toutes ces allocutions sont un hommage à l’écrivain dans la continuité de l’homme de progrès, du philosophe militant du Siècle des Lumières. Il s’agit de portraits stéréotypés d’hommes de lettres produits par des hommes de lettres, en quelque sorte un hommage de la profession à ses icônes. Ces discours sont des éloges de l’écrivain engagé dans les combats de son temps. On peut y voir en filigrane un hymne aux « étoiles de la patrie », à la France, à sa langue, à sa générosité, à sa vocation à l’universalité. Tous cherchent à prouver l’utilité de l’homme de lettres, une tendance scolaire fermement dénoncée par Baudelaire dans l’Art romantique où il suffit de remplacer poésie par littérature : « Il est une autre hérésie… Je veux parler de l’hérésie de l’enseignement, laquelle comprend comme corollaires inévitables, les hérésies de la passion, de la vérité et de la morale. Une foule de gens se figurent que le but de la poésie est un enseignement quelconque, qu’elle doit tantôt fortifier la conscience, tantôt perfectionner les mœurs, tantôt enfin démontrer quoi que ce soit d’utile… La poésie […] n’a pas d’autre but qu’elle-même ». Julien Benda devait quelques décennies plus tard stigmatiser les dérives de cet utilitarisme dans sa fameuse Trahison des clercs.

Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (16 points) :

Commentaire

Vous commenterez le discours d’Anatole France (texte C).

Dissertation

Les écrivains ont-ils pour mission essentielle de célébrer ce qui fait la grandeur de l’être humain ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés et sur vos lectures personnelles.

Lire le corrigé

Écriture d’invention

À l’occasion d’une commémoration, vous prononcez un discours élogieux à propos d’un écrivain dont vous admirez l’œuvre. Ce discours pourra réutiliser les procédés, à vos yeux les plus efficaces, mis en œuvre par les auteurs du corpus.

Voir aussi :