Aller au contenu

Bac français 2018

Corrigé du commentaire (séries technologiques)

Victor Hugo, « La Sieste », L’Art d’être grand-père, 1871.

Victor Hugo Elle fait au milieu du jour son petit somme ;
Car l’enfant a besoin du rêve plus que l’homme,
Cette terre est si laide alors qu’on vient du ciel !
L’enfant cherche à revoir Chérubin, Ariel,
Ses camarades, Puck, Titania1, les fées,
Et ses mains quand il dort sont par Dieu réchauffées.
Oh ! comme nous serions surpris si nous voyions,
Au fond de ce sommeil sacré, plein de rayons,
Ces paradis ouverts dans l’ombre, et ces passages
D’étoiles qui font signe aux enfants d’être sages,
Ces apparitions, ces éblouissements !
Donc, à l’heure où les feux du soleil sont calmants,
Quand toute la nature écoute et se recueille,
Vers midi, quand les nids se taisent, quand la feuille
La plus tremblante oublie un instant de frémir,
Jeanne2 a cette habitude aimable de dormir ;
Et la mère un moment respire et se repose,
Car on se lasse, même à servir une rose.
Ses beaux petits pieds nus dont le pas est peu sûr
Dorment ; et son berceau, qu’entoure un vague azur
Ainsi qu’une auréole entoure une immortelle,
Semble un nuage fait avec de la dentelle ;
On croit, en la voyant dans ce frais berceau-là,
Voir une lueur rose au fond d’un falbala3 ;
On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse,
Et c’est un astre, ayant de plus la petitesse ;
L’ombre, amoureuse d’elle, a l’air de l’adorer ;
Le vent retient son souffle et n’ose respirer.
Soudain, dans l’humble et chaste alcôve4 maternelle,
Versant tout le matin qu’elle a dans sa prunelle5,
Elle ouvre la paupière, étend un bras charmant,
Agite un pied, puis l’autre, et, si divinement
Que des fronts dans l’azur se penchent pour l’entendre.
Elle gazouille… — Alors, de sa voix la plus tendre,
Couvant des yeux l’enfant que Dieu fait rayonner,
Cherchant le plus doux nom qu’elle puisse donner
À sa joie, à son ange en fleur, à sa chimère6 :
— Te voilà réveillée, horreur ! lui dit sa mère.


Notes

1 Chérubin, Ariel, Puck, Titania sont des personnages surnaturels ou féériques issus de la littérature.
2 Jeanne est la petite-fille de Victor Hugo.
3 Falbala : bande de tissu plissée.
4 Alcôve : renfoncement dans le mur d’une chambre, où l’on place un ou plusieurs lits.
5 Prunelle : pupille de l’œil.
6 Chimère : rêve.

Vous ferez le commentaire du texte A, « La Sieste » de Victor Hugo, en vous aidant du parcours de lecture suivant :

  1. Vous montrerez que l’enfant et son sommeil sont idéalisés.
  2. Vous analyserez les émotions que suscite le spectacle de l’enfant endormie.

Proposition de corrigé

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

Il s’agit d’un canevas volontairement non rédigé pour mettre en valeur les principaux éléments issus de l’analyse selon la méthode recommandée par le site.

Introduction :

Situer le texte à commenter : Le texte à commenter, « La Sieste », appartient à L’Art d’être grand-père, recueil de poèmes de Victor Hugo publié en 1871.
Quel est le thème du texte ? Une scène familiale intime : l’évocation de la petite-fille du poète endormie pendant sa sieste, les impressions de son entourage.
Quel est son genre littéraire ? Un poème.
Quel est son type ? Descriptif.
Quelle est sa tonalité ou registre littéraire ? Lyrique et merveilleux.
Ses caractères remarquables, thématiques et/ou formels, c’est-à-dire ce qui fonde l’intérêt de l’étude, et ce qui oriente le parcours de lecture ? L’affection du grand-père transforme la contemplation de l’enfant endormie en une nativité religieuse.
Annonce du plan : D’abord nous montrerons comment l’enfant et son sommeil sont idéalisés. Ensuite nous analyserons les émotions que suscite le spectacle de l’enfant endormie.

1re partie : Vous montrerez que l’enfant et son sommeil sont idéalisés.

Antithèse

Comme souvent chez Hugo, nous constatons le recours au contraste appuyé entre l’ombre et la lumière qui évoque celui entre la laideur et la beauté.
« Cette terre est si laide alors qu’on vient du ciel ! », « Ces paradis ouverts dans l’ombre », « rayons », « ces éblouissements », « les feux du soleil », « L’ombre », « le matin qu’elle a dans sa prunelle », « l’azur », « rayonner ».

Champs lexicaux de la féerie, registre merveilleux :

« fées », « Chérubin », une catégorie d’ange souvent représenté sous la forme d’un jeune enfant, « Ariel », nom d’un ange et personnage de La Tempête, pièce de Shakespeare, « Puck », « Titania », héros du Songe d’une nuit d’été, autre pièce du grand Bill. Ces personnages surnaturels sont qualifiés de « camarades ». L’enfant est donc une familière de ces êtres de « rêve », de ces « apparitions, ces éblouissements » dont on peut noter l’accumulation. Les derniers vers reprennent ce thème avec « ange en fleur » et « chimère ».

Atmosphère religieuse :

« ciel », « Dieu » lui-même intervient pour réchauffer les mains de la jeune fille. Le « sommeil » est « sacré, plein de rayons ». Pendant son sommeil l’enfant visite des « paradis », voit des « passages / D’étoiles », peut-être une allusion au corps céleste qui a conduit les mages vers le lieu de naissance du Christ. Le réveil de l’enfant est sacralisé : elle remue « si divinement / Que des fronts dans l’azur se penchent pour l’entendre. » « Dieu fait rayonner » les yeux de Jeanne. On peut ajouter que par deux fois, Jeanne est métaphoriquement désignée comme une « rose », fleur mystique par excellence.
— Cette adoration est focalisée sur le berceau, lieu de la contemplation et du recueillement. Le panier est entouré d’une « dentelle », « vague azur », comparé à « une auréole » présentant en son centre une « immortelle », « un astre ». Cette description fait penser à la Nativité ou à un ostensoir. Jeanne, enfant divinisée, est « contempl[é]e », « ador[ée] ». Notons le rythme ternaire solennel qui l’accompagne : « On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse ».

2e partie : Vous analyserez les émotions que suscite le spectacle de l’enfant endormie.

Transition : Cette description de l’enfant idéalisée débouche sur l’expression de sentiments forts chez les adultes présents.

Le calme de la nature

Lorsque l’enfant, objet de toutes les attentions de la part de ses parents, est assoupie, les adultes présents peuvent ressentir la paix qui les entoure. En fait, la chaleur accablante de « midi » incite au repos. Hugo note l’absence de bruits et de mouvements.

Le répit des adultes

La sieste de l’enfant permet aux adultes de reconstituer leurs forces, ce que le poète exprime par un rythme binaire affectif et des allitérations en M, R, S et P qui évoquent le relâchement du souffle.
« Et la mère un moment respire et se repose, / Car on se lasse, même à servir une rose. »
Ce répit est souligné dans la charmante litote « habitude aimable ».

L’amour maternel

L’abandon de l’enfant endormie provoque une effusion de sentiments forts et divers chez ceux qui surveillent son sommeil. D’abord des sentiments de la famille de la joie soulignés par un rythme ternaire : « On la contemple, on rit, on sent fuir la tristesse », dans lequel le « on » revêt une valeur généralisatrice.
Ensuite s’exprime l’amour maternel absolu qui combine le désir de protéger et l’adoration : « petitesse », « amoureuse », « adorer », « humble et chaste alcôve maternelle », « Couvant », « la plus tendre », « le plus doux » (deux superlatifs affectifs), « À sa joie, à son ange en fleur, à sa chimère » (rythme ternaire de qualificatifs renforçant par sa solennité leur valeur hyperbolique affectueuse). Enfin l’antiphrastique « horreur » scelle par sa surprise l’expression du « plus doux nom » que puisse donner cet amour inconditionnel.

Conclusion :

Synthèse du parcours de lecture :

Le poète nous croque avec virtuosité cette scène familiale intime. Il cherche à toucher son lecteur en recourant à un univers familier qui dort au fond de nos mémoires, celui des contes cher aux enfants que nous sommes restés. Cette idéalisation du sommeil chez la petite fille prépare l’adoration des adultes émus par tant d’abandon et d’innocence.

Ouverture :

Pourtant à y regarder de plus près Victor Hugo recherche moins le lyrisme affectueux que la surprise finale – comme la pointe dans le sonnet –, ce surprenant « horreur » qui contraste si fort, dans sa brièveté, avec la longue et lente idéalisation qui le précède. En définitive, Hugo se signale ici surtout par son talent de conteur.

Voir aussi :