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Sujets du bac de français 2018 (Liban)

Séries S et ES

Objet d’étude : le personnage de roman, du XVIIe siècle à nos jours.

Corpus :

  • Texte A : Honoré de Balzac, Le Colonel Chabert, extrait (1832)
  • Texte B : Émile Zola, La Fortune des Rougon, chapitre V, extrait (1871)
  • Texte C : Jean-Paul Sartre, Le Mur, « La Chambre », extrait (1939)

Honoré de Balzac, Le Colonel Chabert, extrait (1832).

Le colonel Hyacinthe Chabert, déclaré mort par erreur à la bataille d’Eylau, a contacté l’avoué Derville pour retrouver son rang et ses droits. Sa femme Rose, désormais remariée au comte Ferraud, le rejette et n’entend pas lui restituer ses biens. Le colonel refuse toute transaction avec elle et disparait. Quelques années plus tard, l’avoué Derville retrouve le colonel.

Honoré de Balzac En 1840, vers la fin du mois de juin, Godeschal, alors avoué, allait à Ris, en compagnie de Derville son prédécesseur. Lorsqu’ils parvinrent à l’avenue qui conduit de la grande route à Bicêtre1, ils aperçurent sous un des ormes du chemin un de ces vieux pauvres chenus2 et cassés qui ont obtenu le bâton de maréchal3 des mendiants en vivant à Bicêtre comme les femmes indigentes vivent à la Salpêtrière4. Cet homme, l’un des deux mille malheureux logés dans l’Hospice de la Vieillesse, était assis sur une borne et paraissait concentrer toute son intelligence dans une opération bien connue des invalides, et qui consiste à faire sécher au soleil le tabac de leurs mouchoirs, pour éviter de les blanchir, peut-être. Ce vieillard avait une physionomie attachante. Il était vêtu de cette robe de drap rougeâtre que l’Hospice accorde à ses hôtes, espèce de livrée5 horrible.
« Tenez, Derville, dit Godeschal à son compagnon de voyage, voyez donc ce vieux. Ne ressemble-t-il pas à ces grotesques qui nous viennent d’Allemagne6 ? Et cela vit, et cela est heureux peut-être ! »
Derville prit son lorgnon, regarda le pauvre, laissa échapper un mouvement de surprise et dit :
« Ce vieux-là, mon cher, est tout un poème, ou, comme disent les romantiques, un drame. As-tu rencontré quelquefois la comtesse Ferraud ?
— Oui, c’est une femme d’esprit et très agréable ; mais un peu trop dévote, dit Godeschal.
— Ce vieux bicêtrien est son mari légitime, le comte Chabert, l’ancien colonel ; elle l’aura sans doute fait placer là. S’il est dans cet hospice au lieu d’habiter un hôtel, c’est uniquement pour avoir rappelé à la jolie comtesse Ferraud qu’il l’avait prise, comme un fiacre, sur la place7. Je me souviens encore du regard de tigre qu’elle lui jeta dans ce moment-là. »
Ce début ayant excité la curiosité de Godeschal, Derville lui raconta l’histoire qui précède8. Deux jours après, le lundi matin, en revenant à Paris, les deux amis jetèrent un coup d’oeil sur Bicêtre, et Derville proposa d’aller voir le colonel Chabert. À moitié chemin de l’avenue, les deux amis trouvèrent assis sur la souche d’un arbre abattu le vieillard qui tenait à la main un bâton et s’amusait à tracer des raies sur le sable. En le regardant attentivement, ils s’aperçurent qu’il venait de déjeuner autre part qu’à l’établissement.
« Bonjour, colonel Chabert, lui dit Derville.
— Pas Chabert ! pas Chabert ! je me nomme Hyacinthe, répondit le vieillard. Je ne suis plus un homme, je suis le numéro 164, septième salle, ajouta-t-il en regardant Derville avec une anxiété peureuse, avec une crainte de vieillard et d’enfant. Vous allez voir le condamné à mort ? dit-il après un moment de silence. Il n’est pas marié, lui ! Il est bien heureux.
— Pauvre homme, dit Godeschal. Voulez-vous de l’argent pour acheter du tabac ? »
Avec toute la naïveté d’un gamin de Paris, le colonel tendit avidement la main à chacun des deux inconnus, qui lui donnèrent une pièce de vingt francs ; il les remercia par un regard stupide, en disant : « Braves troupiers9 ! » Il se mit au port d’armes, feignit de les coucher en joue, et s’écria en souriant : « Feu des deux pièces ! vive Napoléon ! » Et il décrivit en l’air avec sa canne une arabesque imaginaire.


Notes

1 Bicêtre : lieu près de Paris, où était établi un asile d’aliénés.
2 Chenu : aux cheveux blancs.
3 Obtenir le bâton de maréchal : arriver au plus haut grade.
4 La Salpêtrière : hospice accueillant des femmes indigentes, c’est-à-dire des pauvres.
5 Livrée : costume de domestique.
6 Ces grotesques d’Allemagne : allusion aux personnages fantastiques des contes d’Hoffmann.
7 Derville rappelle ainsi que la comtesse a acquis son rang grâce à son mariage avec Chabert.
8 L’auteur fait référence à l’histoire qui constitue l’ensemble du livre.
9 Troupiers : simples soldats.

Émile Zola, La Fortune des Rougon, chapitre V, extrait (1871).

Adélaïde Fouque vit sa vieillesse aux côtés de son petit-fils Silvère, qui la surnomme affectueusement « Tante Dide ». Elle est souvent victime de terribles crises nerveuses. Dans sa jeunesse, elle vécut une passion avec son voisin Macquart avant que celui-ci ne meure tué par un douanier. Un matin, Tante Dide surprend sa jeune voisine qui emprunte la porte reliant les deux domaines contigus pour retrouver en secret Silvère, dont elle est amoureuse. Or, cette entrée fut jadis créée par Macquart pour rendre visite à Adélaïde. La découverte de l’amour secret entre ces deux jeunes gens ravive donc, dans l’esprit troublé de la grand-mère, le souvenir douloureux de la mort de Macquart.

Émile Zola Le soir, tante Dide eut une de ces crises nerveuses qui la secouaient encore de loin en loin. Pendant ces attaques, elle parlait souvent à voix haute, sans suite, comme dans un cauchemar. Ce soir-là, Silvère, qui la maintenait sur son lit, navré d’une pitié poignante pour ce pauvre corps tordu, l’entendit prononcer en haletant les mots de douanier, de coup de feu, de meurtre. Et elle se débattait, elle demandait grâce, elle rêvait de vengeance. Quand la crise toucha à sa fin, elle eut, comme il arrivait toujours, une épouvante singulière, un frisson d’effroi qui faisait claquer ses dents. Elle se soulevait à moitié, elle regardait avec un étonnement hagard1 dans les coins de la pièce, puis se laissait retomber sur l’oreiller en poussant de longs soupirs. Sans doute elle était prise d’hallucination. Alors elle attira Silvère sur sa poitrine, elle parut commencer à le reconnaître, tout en le confondant par instants avec une autre personne.
« Ils sont là, bégaya-t-elle. Vois-tu, ils vont te prendre, ils te tueront encore… Je ne veux pas… Renvoie-les, dis-leur que je ne veux pas, qu’ils me font mal, à fixer ainsi leurs regards sur moi… »
Et elle se tourna vers la ruelle, pour ne plus voir les gens dont elle parlait. Au bout d’un silence :
« Tu es auprès de moi, n’est-ce pas, mon enfant ? continua-t-elle. Il ne faut pas me quitter… J’ai cru que j’allais mourir, tout à l’heure… Nous avons eu tort de percer le mur. Depuis ce jour, j’ai souffert. Je savais bien que cette porte nous porterait encore malheur… Ah ! les chers innocents, que de larmes ! On les tuera, eux aussi, à coups de fusil, comme des chiens. »
Elle retombait dans son état de catalepsie2, elle ne savait même plus que Silvère était là. Brusquement elle se redressa, elle regarda au pied de son lit, avec une horrible expression de terreur.
« Pourquoi ne les as-tu pas renvoyés ? cria-t-elle en cachant sa tête blanchie dans le sein du jeune homme. Ils sont toujours là. Celui qui a le fusil me fait signe qu’il va tirer… »
Peu après, elle s’endormit du sommeil lourd qui terminait les crises. Le lendemain, elle parut avoir tout oublié.


Notes

1 Hagard : qui a une expression égarée, perdue.
2 Catalepsie : suspension complète du mouvement volontaire des muscles, paralysie.

Jean-Paul Sartre, Le Mur, « La Chambre », extrait (1939).

La nouvelle « La Chambre » raconte l’expérience d’un couple : Pierre vit dans un monde délirant, parle aux objets et attend avec crainte le moment où des statues volantes apparaîtront dans sa chambre ; enfermée avec lui, sa femme Ève s’efforce de le suivre dans sa folie.

Sartre Il se tut ; et Ève sut que les statues venaient d’entrer dans la chambre. Il se tenait tout raide, pâle et méprisant. Ève se raidit aussi et tous deux attendirent en silence. Quelqu’un marchait dans le corridor : c’était Marie, la femme de ménage, elle venait sans doute d’arriver. Elle pensa : « Il faudra que je lui donne de l’argent pour le gaz. » Et puis les statues se mirent à voler ; elles passaient entre Ève et Pierre.
Pierre fit « Han » et se blottit dans le fauteuil en ramenant ses jambes sous lui. Il détournait la tête ; de temps à autre, il ricanait mais des gouttes de sueur perlaient à son front. Ève ne put supporter la vue de cette joue pâle, de cette bouche qu’une moue tremblante déformait : elle ferma les yeux. Des fils dorés se mirent à danser sur le fond rouge de ses paupières ; elle se sentait vieille et pesante. Pas très loin d’elle, Pierre soufflait bruyamment. « Elles volent, elles bourdonnent ; elles se penchent sur lui… » Elle sentit un chatouillement léger, une gêne à l’épaule et au flanc droit. Instinctivement, son corps s’inclina vers la gauche comme pour éviter un contact désagréable, comme pour laisser passer un objet lourd et maladroit. Soudain, le plancher craqua, et elle eut une envie folle d’ouvrir les yeux, de regarder sur sa droite en balayant l’air de sa main.
Elle n’en fit rien ; elle garda les yeux clos, et une joie âcre la fit frissonner : « Moi aussi j’ai peur », pensa-t-elle. Toute sa vie s’était réfugiée dans son côté droit. Elle se pencha vers Pierre, sans ouvrir les yeux. Il lui suffirait d’un tout petit effort et, pour la première fois, elle entrerait dans ce monde tragique. « J’ai peur des statues », pensa-t-elle. C’était une affirmation violente et aveugle, une incantation : de toutes ses forces, elle voulait croire à leur présence ; l’angoisse qui paralysait son côté droit, elle essayait d’en faire un sens nouveau, un toucher. Dans son bras, dans son flanc et son épaule, elle sentait leur passage.
Les statues volaient bas et doucement ; elles bourdonnaient. Ève savait qu’elles avaient l’air malicieux et que des cils sortaient de la pierre autour de leurs yeux ; mais elle se les représentait mal. Elle savait aussi qu’elles n’étaient pas encore tout à fait vivantes, mais que des plaques de chair, des écailles tièdes, apparaissaient sur leurs grands corps ; au bout de leurs doigts, la pierre pelait, et leurs paumes les démangeaient. Ève ne pouvait pas voir tout cela : elle pensait simplement que d’énormes femmes glissaient tout contre elle, solennelles et grotesques, avec un air humain et l’entêtement compact de la pierre. « Elles se penchent sur Pierre. » Ève faisait un effort si violent que ses mains se mirent à trembler. « Elles se penchaient vers moi… » Un cri horrible la glaça tout à coup. « Elles l’ont touché. » Elle ouvrit les yeux : Pierre avait la tête dans ses mains, il haletait. Ève se sentit épuisée : « Un jeu, pensa-t-elle avec remords ; ce n’était qu’un jeu, pas un instant je n’y ai cru sincèrement. Et pendant ce temps-là, il souffrait pour de vrai. »

Vous répondrez à la question suivante (4 points) :

Comment la folie est-elle représentée dans les trois textes du corpus ?

Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (16 points) :

Commentaire

Vous ferez le commentaire de l’extrait du Colonel Chabert d’Honoré de Balzac (Texte A).

Dissertation

À votre avis, quel intérêt un romancier, et plus largement un artiste, peut-il avoir à mettre en scène des personnages frappés de folie ?
Votre réflexion s’appuiera sur les textes du corpus, sur les œuvres étudiées en classe et sur toute autre oeuvre connue de vous.

Écriture d’invention

Racontez à la troisième personne la scène du texte C en adoptant cette fois le point de vue de Pierre. Vous imaginerez son hallucination ; vous vous attacherez particulièrement à rendre compte de la progression de sa folie ; votre écriture mettra en valeur l’évolution des émotions et sensations du personnage par un travail stylistique recherché.

Série L

Objet d’étude :

Corpus :

  • Texte A : Marc-Antoine Girard de Saint-Amant, Œuvres poétiques, « Le Paresseux », 1631
  • Texte B : Victor Hugo, Les Orientales, « Rêverie », 1829
  • Texte C : Robert Desnos, À la mystérieuse, « À la faveur de la nuit », 1926
  • Texte D : Louis Aragon, Le Fou d’Elsa, « Les Lilas », 1963
  • Document complémentaire : Henri Rousseau, La Bohémienne endormie, 1897, peinture à l’huile, 130 x 201 cm, New York Museum of Modern Art

Marc-Antoine Girard de Saint-Amant, Œuvres poétiques, « Le Paresseux », 1631

Accablé de paresse et de mélancolie,
Je rêve dans un lit où je suis fagoté1,
Comme un lièvre sans os qui dort dans un pâté,
Ou comme un Don Quichotte2 en sa morne folie.

Là, sans me soucier des guerres d’Italie,
Du comte Palatin3, ni de sa royauté,
Je consacre un bel hymne à cette oisiveté4
Où mon âme en langueur5 est comme ensevelie.

Je trouve ce plaisir si doux et si charmant,
Que je crois que les biens me viendront en dormant,
Puisque je vois déjà s’en enfler ma bedaine,

Et hais tant le travail, que, les yeux entrouverts,
Une main hors des draps, cher Baudouin6, à peine
Ai-je pu me résoudre à t’écrire ces vers !


Notes

1 Fagoté : mal arrangé.
2 Don Quichotte : personnage fictif héros du roman de Cervantès L’Ingénieux hidalgo Don Quichotte de la Manche.
3 Des guerres d’Italie, du comte Palatin : allusion à l’actualité politique du XVIIe siècle.
4 Oisiveté : état de celui qui reste sans rien faire.
5 Langueur : paresse.
6 Jean Baudouin : poète contemporain de Saint-Amant.

Victor Hugo, Les Orientales, « Rêverie », 1829

Victor Hugo Oh ! laissez-moi ! c’est l’heure où l’horizon qui fume
Cache un front inégal sous un cercle de brume,
L’heure où l’astre géant rougit et disparaît.
Le grand bois jaunissant dore seul la colline ;
On dirait qu’en ces jours où l’automne décline,
Le soleil et la pluie ont rouillé la forêt.

Oh ! qui fera surgir soudain, qui fera naître,
Là-bas, – tandis que seul je rêve à la fenêtre
Et que l’ombre s’amasse au fond du corridor, –
Quelque ville mauresque1, éclatante, inouïe,
Qui, comme la fusée en gerbe épanouie,
Déchire ce brouillard avec ses flèches d’or !

Qu’elle vienne inspirer, ranimer, ô génies !
Mes chansons, comme un ciel d’automne rembrunies,
Et jeter dans mes yeux son magique reflet,
Et longtemps, s’éteignant en rumeurs étouffées,
Avec les mille tours de ses palais de fées,
Brumeuse, denteler l’horizon violet !


Note

1 Ville mauresque : ville orientale.

Robert Desnos, À la mystérieuse, « À la faveur de la nuit », 1926

Robert Desnos Se glisser dans ton ombre à la faveur de la nuit.
Suivre tes pas, ton ombre à la fenêtre,
Cette ombre à la fenêtre c’est toi, ce n’est pas une autre c’est toi.
N’ouvre pas cette fenêtre derrière les rideaux de laquelle tu bouges.
Ferme les yeux.
Je voudrais les fermer avec mes lèvres.
Mais la fenêtre s’ouvre et le vent, le vent qui balance bizarrement la flamme et le
   drapeau entoure ma fuite de son manteau.
La fenêtre s’ouvre : Ce n’est pas toi.
Je le savais bien.

Louis Aragon, Le Fou d’Elsa, « Les Lilas », 1963

Louis Aragon Je rêve et je me réveille
Dans une odeur de lilas
De quel côté du sommeil
T’ai-je ici laissée ou là

Je dormais dans ta mémoire
Et tu m’oubliais tout bas
Ou c’était l’inverse histoire
Étais-je où tu n’étais pas

Je me rendors pour t’atteindre
Au pays que tu songeas
Rien n’y fait que fuir et feindre
Toi tu l’as quitté déjà

Dans la vie ou dans le songe
Tout a cet étrange éclat
Du parfum qui se prolonge
Et d’un chant qui s’envola

Ô claire nuit jour obscur
Mon absente entre mes bras
Et rien d’autre en moi ne dure
Que ce que tu murmuras

Document complémentaire : Henri Rousseau, La Bohémienne endormie, 1897, peinture à l’huile, 130 x 201 cm, New York Museum of Modern Art

Henri Rousseau, La Bohémienne endormie

Source : https://commons.wikimedia.org/

Vous répondrez à la question suivante (4 points) :

Quelles sont, dans ces textes, les fonctions du rêve pour les poètes ?

Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (16 points) :

Commentaire

Vous ferez le commentaire du texte d’Aragon (texte D).

Dissertation

Le poète doit-il chercher l’inspiration hors de la réalité ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus et sur les textes que vous avez étudiés en classe ou rencontrés au cours de vos lectures et recherches personnelles.

Écriture d’invention

Le Douanier Rousseau nous livre dans ce tableau l’image d’un rêve possible.
Dans un texte poétique, en vers, en vers libres ou en prose, vous transcrirez ce rêve. Vous veillerez à utiliser de nombreuses images poétiques et insisterez sur les sensations éprouvées par le narrateur.

Voir aussi :