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Bac de français 2019

Corrigé du commentaire (séries technologiques)

Louis Aragon, Aurélien, chapitre 8, 1944.

Dans les années 20, Bérénice, jeune provinciale qui séjourne chez ses cousins parisiens Blanchette et Edmond, aime à se promener seule dans Paris.

Louis Aragon Bérénice savourait sa solitude. Pour la première fois de sa vie elle était maîtresse d’elle-même. Ni Blanchette ni Edmond ne songeaient à la retenir. Elle n’avait pas même l’obligation de téléphoner pour dire qu’elle ne rentrait pas déjeuner quand l’envie lui prenait de poursuivre sa promenade. Oh, le joli hiver de Paris, sa boue, sa saleté et brusquement son soleil ! jusqu’à la pluie fine qui lui plaisait ici. Quand elle se faisait trop perçante, il y avait les grands magasins, les musées, les cafés, le métro. Tout est facile à Paris. Rien n’y est jamais pareil à soi-même. Il y a des rues, des boulevards, où l’on s’amuse autant à passer la centième fois que la première. Et puis ne pas être à la merci du mauvais temps…
Par exemple l’Étoile1… Marcher autour de l’Étoile, prendre une avenue au hasard, et se trouver sans avoir vraiment choisi dans un monde absolument différent de celui où s’enfonce l’avenue suivante… C’était vraiment comme broder, ces promenades-là… Seulement quand on brode, on suit un dessin tout fait, connu, une fleur, un oiseau. Ici on ne pouvait jamais savoir d’avance si ce serait le paradis rêveur de l’avenue Friedland ou le grouillement voyou de l’avenue de Wagram ou cette campagne en dentelles de l’avenue du Bois. L’Étoile domine des mondes différents, comme des êtres vivants. Des mondes où s’enfoncent ses bras de lumière. Il y a la province de l’avenue Carnot et la majesté commerçante des Champs-Elysées. Il y a l’avenue Victor Hugo… Bérénice aimait, d’une de ces avenues, dont elle oubliait toujours l’ordre de succession, se jeter dans une rue traversière et gagner l’avenue suivante, comme elle aurait quitté une reine pour une fille, un roman de chevalerie pour un conte de Maupassant. Chemins vivants qui menaient ainsi d’un domaine à l’autre de l’imagination, il plaisait à Bérénice que ces rues fussent aussi bien des morceaux d’une étrange et subite province ou les venelles2 vides dont les balcons semblent avoir pour grille des dessins compliqués des actions et obligations de leurs locataires, ou l’équivoque lacis3 des hôtels et garnis4, des bistrots, des femmes furtives, qui fait à deux pas des quartiers riches passer le frisson crapuleux des fils de famille et d’un peuple perverti. Brusquement la ville s’ouvrait sur une perspective, et Bérénice sortait de cet univers qui l’effrayait et l’attirait, pour voir au loin l’Arc de triomphe, et vers lui la tracée des arbres au pied proprement pris dans une grille. Que c’est beau, Paris !

Notes

1 L’Étoile : place de l’Étoile qui entoure l’Arc de Triomphe et d’où partent douze avenues, dont les Champs Elysées.
2 Venelles : petites rues étroites.
3 Lacis : réseau dense et enchevêtré.
4 Garnis : chambres ou maisons louées meublées.

Vous ferez le commentaire du texte C extrait d’Aurélien d’Aragon en vous aidant du parcours de lecture suivant :

  • Les plaisirs de la promenade.
  • Les multiples facettes de Paris
Proposition de corrigé
Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.

Introduction

Situer le texte à commenter :
Le texte à étudier est tiré du chapitre 8 d’Aurélien, roman de Louis Aragon, publié en 1944.
Quel est le thème du texte ?
Dans ce texte, l’auteur nous fait vivre, par les yeux de son héroïne Bérénice, les plaisirs de découvrir Paris.
Quel est son genre littéraire ?
C’est un extrait de roman
Quel est son type ?
de type narratif.
Quelle est sa tonalité ou registre littéraire ?
Il développe un registre lyrique.
Ses caractères remarquables, thématiques et/ou formels, c’est-à-dire ce qui fonde l’intérêt de l’étude, et ce qui oriente le parcours de lecture ?
C’est l’occasion pour le romancier de nous faire partager son amour inconditionnel pour la capitale.
Annonce du plan :
Nous examinerons d’abord comment l’auteur développe les plaisirs de la promenade dans la capitale, puis comment il situe l’origine de ce bonheur dans les multiples facettes de Paris.

Développement

Les plaisirs de la promenade

Bérénice, jeune provinciale qui a laissé sa famille pour monter à Paris, « savour[e] sa solitude » parce qu’elle n’a de compte à rendre à personne. Cette liberté toute neuve lui permet d’agir à sa guise. Elle est donc disposée à profiter pleinement de ses promenades dans la capitale.

Des verbes et noms de mouvement

Bérénice ne peut rester en place : « passer la centième fois » (de plus le plaisir ne s’émousse pas), « marcher », « prendre une avenue », « s’enfonce » (2 fois), « promenades », « se jeter », « gagner », « quitté », « menaient », « s’ouvrait », « sortait ».

Une absence de contraintes

Bérénice n’a pas à se soucier de la météorologie. S’il pleut, elle peut se mettre à couvert dans des endroits animés.
Bérénice n’a pas de programme : « au hasard », « sans avoir vraiment choisi », « on ne pouvait jamais savoir d’avance », « brusquement ».

Une expression lyrique de la satisfaction joyeuse
  • Exclamations
  • Des termes mélioratifs : « joli », « facile », « plaisait », « s’amuse », « paradis », « aimait », « il plaisait », « attirait », « beau ».
  • Structures de renforcement : « tout est », « la centième fois », « absolument », « C’était vraiment ».
  • Ces errances procurent donc à Bérénice un plaisir renouvelé car elle est toujours surprise par le spectacle des rues.

Les multiples facettes de Paris

Le plaisir de se promener au hasard dans Paris tient aux multiples facettes que présente la grande ville.

La variété

Des accumulations qui indiquent la multiplicité des lieux : « les grands magasins, les musées, les cafés, le métro », « le paradis rêveur de l’avenue Friedland ou le grouillement voyou de l’avenue de Wagram ou cette campagne en dentelles de l’avenue du Bois » ainsi que leur diversité.
« Rien n’y est jamais pareil à soi-même. » Les lieux eux-mêmes sont changeants et donc ne lassent jamais.

Les contrastes

Une autre caractéristique de la capitale est de se révéler dans des lieux contrastés et donc étonnants.
« le joli hiver de Paris, sa boue, sa saleté et brusquement son soleil ! »
« un monde absolument différent de celui où s’enfonce l’avenue suivante »
Contraste entre l’ordonnancement et la perspective des grandes avenues avec le fouillis et le repliement des rues attenantes.
Ces contrastes produisent des émotions contradictoires simultanées : « univers qui l’effrayait et l’attirait », en un mot la complexité et la richesse de la vie.

Un monde onirique qui sollicite l’imagination

Ces lieux variés et contrastés sollicitent l’imagination de la jeune femme.
Des comparaisons : «  C’était vraiment comme broder, ces promenades-là… », « L’Étoile domine des mondes différents, comme des êtres vivants. » Notons également l’humour de cette remarque : « les balcons semblent avoir pour grille des dessins compliqués des actions et obligations de leurs locataires », image amusante de ces ferronneries qui révèlent la fortune supposée des habitants.
Des métaphores : « Des mondes où s’enfoncent ses bras de lumière. » « Chemins vivants qui menaient ainsi d’un domaine à l’autre de l’imagination », « la majesté commerçante des Champs-Élysées ».
Ces figures d’image animent le paysage et parfois crée la personnification.
L’auteur convoque le monde littéraire dans une comparaison : « comme elle aurait quitté une reine pour une fille, un roman de chevalerie pour un conte de Maupassant. »
Il évoque aussi une plongée en des terres interdites où la petite bourgeoise éprouve à bon compte : « le frisson crapuleux des fils de famille et d’un peuple perverti ».
Ainsi, les promenades de Bérénice sont de plus un voyage intérieur, une immersion dans un monde fantasmatique.

Conclusion

Aragon nous livre au travers de son héroïne sa propre perception de Paris. La capitale est une source de plaisirs intarissable et un émerveillement toujours renouvelé. La grande ville est un résumé de la France, un lieu de culture et de vie populaire, un amalgame d’ordre et de fouillis, de rigueur noble ou bourgeoise et d’encanaillement. C’est finalement une scène de théâtre où l’esprit agile peut jouer tous les personnages, où l’imagination vagabonde tant elle est sollicitée par les contrastes incessants et imprévus. Louis Aragon s’inscrit ainsi dans la tradition poétique du Piéton de Paris, ouvrage célèbre de Léon-Paul Fargue.

Voir aussi :