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La poésie peut-elle apporter une consolation aux malheurs des hommes ?

Bac de français 2019 (Liban)

Corrigé de la dissertation (séries S et ES)

La poésie a-t-elle le pouvoir d’apporter une consolation aux malheurs des hommes ?

Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur les œuvres que vous avez étudiées en classe et sur vos lectures personnelles.

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Fiche méthode : la dissertation »
Plan détaillé

Introduction

La poésie s’est beaucoup intéressée à l’expression des sentiments. Ce lyrisme a souvent pris la forme de l’élégie pour chanter la tristesse et les malheurs de l’homme. Pourquoi donc les poètes ont-ils si volontiers mis leur talent au service de ces thèmes douloureux ? Pensaient-ils pouvoir trouver une consolation à leur peine ?
Si certains thèmes caractéristiques reviennent sous la plume des poètes, leur exploitation ne semble jamais rechercher l’apaisement que pourrait leur apporter justement l’oubli. Bien au contraire l’élégie chante le malheur de vivre pour sa puissance émotionnelle.

1. Quels sont les malheurs des hommes ?

Quelques thèmes sont récurrents :

  • le mal d’amour, voir « Rappelle-toi » de Musset ou « La Chanson de Gaspard Hauser » de Verlaine
  • la mort, « Je n’ai plus que les os » de Ronsard, « La Ballade des pendus » de Villon, où s’exprime la peur.
  • le spleen, nombreux sonnets de Baudelaire, ou de Laforgue. Il s’agit de cette tendance dépressive, de cette difficulté à accepter les limites de notre condition humaine.

2. La poésie ne peut consoler puisqu’elle ravive le souvenir.

  • Le poète ne veut pas oublier, il veut rester fidèle.
    Voir « Le lac » de Lamartine ou « À Villequier » de Victor Hugo : « L’angoisse dans mon âme est toujours la plus forte, / Et mon cœur est soumis, mais n’est pas résigné. »
  • Le poète ne veut pas être consolé, le poète se sent grand parce qu’il souffre, il fait preuve d’empathie.
    Voir « L’Exilé » de Marceline Desbordes-Valmore, où l’écrivain se sent sœur de ceux qui aspirent sans le savoir à retrouver le chemin du paradis perdu.
    Voir « Le Pin des Landes » de Gautier pour qui la douloureuse blessure du poète est féconde comme la sève qui s’écoule du gemmage.
  • Il puise des forces dans sa douleur, il rend présents les disparus : voir « L’Exil » de Hugo où le poète trouve dans les sépultures inaccessibles à la suite du bannissement la force de continuer le combat contre l’usurpateur. Voir « Petit pays » de Gaël Faye, où la nostalgie du pays natal entretient le désir de se racheter.

3. Mais elle doit être au contraire un enchantement au sens magique, elle est chargée d’apprivoiser le malheur, de le sublimer.

  • Une clarification, mettre des mots sur les maux. Le poète veut partager la singularité de sa fonction. Voir « Le Pélican » de Musset :

Quand ils parlent ainsi d’espérances trompées,
De tristesse et d’oubli, d’amour et de malheur,
Ce n’est pas un concert à dilater le cœur ;
Leurs déclamations sont comme des épées :
Elles tracent dans l’air un cercle éblouissant ;
Mais il y pend toujours quelques gouttes de sang.

Voir « Tristesse d’Olympio » de Hugo qui voit dans le poète celui qui doit lutter contre l’érosion du temps qui passe :

Et là, dans cette nuit qu’aucun rayon n’étoile,
L’âme, en un repli sombre où tout semble finir,
Sent quelque chose encor palpiter sous un voile…
C’est toi qui dors dans l’ombre, ô sacré souvenir !

Vouloir ce que Dieu veut, est la seule science
Qui nous met en repos.

Voir « Les Phares » de Baudelaire :

Ces malédictions, ces blasphèmes, ces plaintes,
Ces extases, ces cris, ces pleurs, ces Te Deum,
Sont un écho redit par mille labyrinthes ;
C’est pour les cœurs mortels un divin opium !

  • Un exorcisme des peurs, une révolte contre l’inéluctable.

Voir « Angoisse » de Mallarmé ou Verlaine, poèmes dans lesquels l’élargissement métaphorique rend la peur moins laide et repoussante.

  • La célébration du paradoxe humain, le principe pascalien : « L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien ».

Les poètes vont donc exalter la grandeur de l’homme qui assume son destin.
Voir « Mortel sonnet » de Chassignet dont l’évocation toute baroque de la décomposition des corps vise à rendre l’homme sage.
Voir « Les Élégies majeures » où Senghor évoque l’eschatologie dans un verbe apocalyptique pour rappeler à l’homme sa vocation :

Quand sera venu le jour de l’amour, de tes noces célestes
T’accueilleront les Chérubins aux ailes de soie bleue, te conduiront
À la droite du Christ ressuscité, l’Agneau lumière de tendresse dont tu avais si soif.
Et parmi les noirs séraphins chanteront les martyrs de l’Ouganda.
Et tu les accompagneras à l’orgue, comme tu faisais à Verson
Vêtu du lin blanc lavé dans le sang de l’Agneau, ton Sang.

Conclusion

La vie de l’homme est jalonnée de bien des malheurs, depuis les peines d’amour, la maladie, les angoisses existentielles, pour s’achever dans la mort inéluctable. Aussi n’est-il pas étonnant que les poètes se soient saisis de ces thèmes si riches d’émotions. Était-ce pour se consoler des coups du sort ? Se plaindre peut tout au plus calmer un moment la douleur mais non pas la supprimer quand on la rend si présente. En fait le poète veut lutter contre l’oubli par fidélité, empathie ou révolte. Il sait que le lyrisme élégiaque saura toucher le cœur de ses lecteurs et faire recette. Musset ouvrait son « Pélican » par ces alexandrins fameux :
« Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j’en sais d’immortels qui sont de purs sanglots. »
Plus artistiquement et pour rester dans les métaphores aviaires, tout vrai poète recherche son chant du cygne car il est disciple d’Orphée, il connaît le pouvoir enchanteur de la lyre qui sait apprivoiser les animaux sauvages, voire, pour quelques instants, tenir à distance la mort. « Le plus grand mystère, écrit Malraux, n’est pas que nous soyons jetés au hasard entre la profusion de la matière et celle des astres, c’est que dans cette prison nous tirions de nous-mêmes des images assez puissantes pour nier notre néant ». La poésie, comme tout art, est grande quand elle est la pathétique tentative d’échapper au temps, de parler aux hommes au-delà de la tragique destruction de la mort, qu’elle est en quelque sorte un désir d’éternité.

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