Bac de français 2021
Baccalauréat technologique
Corrigé de la contraction de texte
A – Montaigne, Essais, « Des Cannibales », I, 31. Parcours : Notre monde vient d’en trouver un autre.
Texte de Tzvetan Todorov, « La découverte de l’Amérique », préface de Le Nouveau Monde (récits de Amerigo Vespucci, Christophe Colomb, Pierre Martyr d’Anghiera), 1992.
Contraction de texte
Vous résumerez ce texte en 195 mots. Une tolérance de +/- 10 % est admise : votre travail comptera au moins 175 et au plus 215 mots.
Vous placerez un repère dans votre travail tous les 50 mots et indiquerez, à la fin de votre contraction, le nombre total de mots utilisés.À la différence de la découverte géographique, celle des êtres humains ne connaît pas l’alternative simple du faux et du vrai (être ou non près de l’Asie), mais passe par une infinité de degrés intermédiaires, et ne peut jamais être tenue pour achevée. Mais il faut dire que la « découverte » des habitants du nouveau continent sera particulièrement lente et difficile ; elle se heurte en effet d’emblée à plusieurs obstacles de taille.
Le premier, bien sûr, provient de la nouveauté absolue de ce qu’on a trouvé : les deux populations s’ignorent totalement, il n’y a donc pas, au début, d’intermédiaires possibles. La langue des autres est incompréhensible, leurs gestes mêmes sont trompeurs. Au cours de son premier voyage, Colon1 en fait sans cesse l’expérience, sans toujours s’en rendre compte ; il est néanmoins conscient de la nécessité de former des interprètes, et ramène de force dix Indiens en Espagne ; il espère aussi que les trente-huit hommes laissés à Haïti auront acquis, en son absence, la langue des indigènes. Quand il repart pour son second voyage, il rappelle les Indiens, qui ont entre-temps appris l’espagnol ; mais Pierre Martyr2 nous informe que sept d’entre eux étaient déjà morts, n’ayant pu supporter le mode de vie européen. Il n’en reste donc que trois. Cependant, dès que le bateau de Colon touche les côtes d’Haïti, ces trois-là s’enfuient et ne reparaissent plus jamais. Quant aux Espagnols laissés sur place, on n’en trouve aucune trace : ils ont été tués et peut-être même consommés !
Plus tard, cependant, nous apprenons l’existence des premiers interprètes : un Indien originaire de la toute première île atteinte par Colon aurait survécu et appris l’espagnol, et il revient pour le deuxième voyage […]. Quant à Vespucci, il transmet de nombreuses informations qui présupposent l’existence d’interprètes, mais ne s’explique jamais là-dessus ; et on voit mal quand, au cours de ces voyages d’exploration où ils ne restent pas longtemps sur place, les navigateurs auraient la possibilité d’acquérir la langue de l’autre. Ce n’est qu’au cours du troisième voyage que Vespucci mentionne deux indigènes qu’on capture pour les amener en Europe et leur apprendre le portugais ; mais comment faisait-on jusque-là ?
Le second grand obstacle à la perception des autres est d’une nature très différente. Les premiers voyageurs (et cela est particulièrement vrai pour Colon lui-même) poursuivent des buts précis, et la reprise ou non des explorations dépend des résultats obtenus jusque-là ; ils portent donc sur ce monde un regard fortement intéressé, et leurs écrits s’en ressentent. Colon doit prouver que ses découvertes seront rentables : donc, la nature de ces terres sera déclarée invariablement magnifique, et il prétendra trouver d’infinies richesses, or, perles ou épices. Quant aux hommes, ils sont avant tout extrêmement craintifs (traduisons : leur soumission ne posera aucun problème) et généreux (il ne sera pas difficile de s’emparer de leurs richesses). Amerigo est intéressé d’une autre manière : son butin à lui, c’est moins l’or que les récits ; il faut donc que les anecdotes pullulent3, qu’on sourie et qu’on s’émeuve ; et finalement qu’on l’admire. Voilà qui incite à prendre quelques libertés avec l’histoire réelle.
Une autre difficulté provient de ce que, même en l’absence de tout contact préliminaire, il est difficile de se débarrasser de ses préjugés — en l’occurrence, des récits antérieurs. Puisque Colon se croit en Asie, il projette sur les nouvelles terres les souvenirs de ses lectures de voyages antérieurs, ceux de Marco Polo ou des explorateurs antiques. Il entend ainsi parler du Grand Khan, des hommes à queue et de l’île des Amazones. De même, Pierre Martyr veut trouver des confirmations à ce qu’ont avancé Aristote, Pline ou Sénèque ; lui aussi rapporte, mais avec sa prudence coutumière, la découverte des Amazones. […]
L’influence des récits antérieurs et le désir de charmer les lecteurs contribuent ensemble à la production d’un stéréotype puissant : celui qui veut que les habitants de l’Amérique vivent dans l’âge d’or. Colon ne pense pas encore à ce mythe, mais, par les traits qu’il attribue aux Indiens, il en prépare l’apparition : ils vont nus (comme les habitants du Paradis avant la chute) ; ils n’ont aucune religion ; et ils ne connaissent pas la propriété privée, le « tien » et le « mien ». Martyr reprendra les mêmes éléments, mais en leur donnant déjà une orientation précise : les Indiens ignorent aussi les lois, les livres et l’argent ; ils vivent selon la nature, dans l’âge d’or.779 mots
Notes
1 Colon : une des orthographes possibles de Christophe Colomb.
2 Pierre Martyr d’Anghiera (1457-1526) : écrivain proche des souverains espagnols, il fut le premier à témoigner par écrit de la conquête du Nouveau Monde.
3 Pullulent : se multiplient.
Proposition de corrigé (rédigée par Jean-Luc)
Analyse préalable selon la méthode du tableau à trois colonnes
Idées Générales | Idées Principales | Idées Secondaires |
La connaissance des Amérindiens a été très longue et complexe. | parce que cette connaissance n’est pas binaire mais progressive | |
Elle a connu plusieurs difficultés | D’abord explorateurs et autochtones étaient totalement étrangers l’un à l’autre | Langue incompréhensible, attitudes difficilement interprétables |
D’où la nécessité d’interprètes | Colon déporte dix Amérindiens en Espagne pour qu’ils apprennent l’espagnol | |
Il laisse trente-huit marins à Haïti pour qu’ils apprennent la langue indigène | ||
Mais les premières tentatives sont un échec | Seulement trois des Amérindiens déportés ont survécu | |
Les trente-huit marins ont sans doute été cannibalisés | ||
On ne sait pas comment les explorateurs ont surmonté la difficulté avant le 3e voyage | Un Indien ramené du premier voyage aurait survécu | |
Les relations de Vespucci supposent l’existence d’interprètes car les explorateurs ne s’arrêtent pas assez longtemps pour acquérir les langues indigènes. | ||
Vespucci note qu’un Amérindien a été déporté pour apprendre le portugais lors du 3e voyage. | ||
Ensuite les mobiles des explorateurs ont faussé leurs observations | ||
En effet la poursuite des voyages dépend de leurs résultats | Colon exagère les richesses rencontrées | |
Les autochtones ne résistent pas et donnent volontiers. | ||
Vespucci veut séduire, il multiplie les récits fictifs. | ||
Enfin les préjugés culturels ont déformé leur perception de la réalité | ||
Colon se croyant en Asie déforme la réalité par ses souvenirs des œuvres de Marco Polo ou des explorateurs antiques | Il croit entendre parler du Grand Khan, des hommes à queue et de l’île des Amazones. | |
Pierre Martyr s’appuie sur Aristote, Pline ou Sénèque. | lui aussi rapporte la découverte des Amazones. | |
Ces préjugés réactivent le mythe de l’Âge d’or. | Pour Colon, les Amérindiens sont nus comme au paradis terrestre. | |
Ils n’ont pas de religion | ||
Ils ne revendiquent pas le droit de propriété. | ||
Pour Martyr ils méconnaissent de plus toute législation, culture écrite et monnaie. |
Rédaction du résumé
La connaissance des Amérindiens a rencontré plusieurs difficultés.
D’abord pour les explorateurs et autochtones les langues respectives étaient incompréhensibles. D’où la nécessité d’interprètes. Colon a déporté dix Amérindiens en Espagne pour qu’ils apprennent l’espagnol. Il a laissé trente-huit marins à Haïti pour acquérir la langue indigène. Mais seulement trois déportés (50 mots) ont survécu, les trente-huit marins ont disparu. On ne sait donc pas comment les explorateurs ont surmonté la difficulté avant le 3e voyage car les explorateurs ne s’arrêtaient pas assez longtemps pour acquérir les langues indigènes.
Ensuite les mobiles des explorateurs ont faussé leurs observations. En effet la poursuite des (100 mots) voyages dépendait de leurs résultats. C’est pourquoi Colon exagère les richesses rencontrées, affirme que les autochtones ne résistent pas et donnent volontiers. Vespucci veut séduire, il multiplie les récits fictifs.
Enfin les préjugés culturels ont déformé leur perception de la réalité : Colon, se croyant en Asie, fausse la réalité (150 mots) par ses souvenirs culturels comme Pierre Martyr. Ces présupposés réactivent le mythe de l’Âge d’or. Pour Colon, les Amérindiens appartiennent au monde d’avant la chute par leur nudité, leur absences de religion et de droit de propriété. Pour Martyr ils méconnaissent toute législation, culture écrite et monnaie. (197 mots)