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Peindre les Hommes, est-ce toujours avoir « le souci d’être vrai » ?

Bac de français 2022

Baccalauréat technologique

Corrigé de l’essai

Peindre les Hommes, est-ce toujours avoir « le souci d’être vrai » ?

Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur le chapitre « De l’Homme » des Caractères de La Bruyère, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.

Proposition de corrigé (rédigée par Jean-Luc)

Introduction

Les portraits humains se rencontrent partout : sous forme de photos, dans les revues, les mairies de notre pays, de bustes ou de peintures, dans les musées, les demeures aristocratiques. On les retrouve dans les ouvrages littéraires sous la forme du genre des mémoires chez le cardinal de Retz, Saint-Simon, Chateaubriand ou George Sand. La littérature classique nous offre également une autre manière avec le portrait typique hérité du philosophe polygraphe de l’Antiquité, Théophraste. C’est le cas des moralistes comme La Rochefoucauld ou La Bruyère avec ses Caractères, des fabulistes comme La Fontaine ou Florian. Dans le genre romanesque, il apparaît comme une pause dans le récit à des fins informatives. Dès le XVIIe siècle, il est utilisé par Madame de La Fayette dans La Princesse de Clèves. Au XIXe, siècle d’or du roman, ce genre devient obligé. Il définit les personnages selon les quatre axes essentiels : physiques, psychologiques, moraux et sociaux.
Quelles sont donc les raisons de ce recours privilégié au portrait chez les hommes de lettres ? Est-ce que peindre les Hommes, c’est toujours avoir « le souci d’être vrai » ?
Après avoir cherché les raisons qui ont poussé les écrivains à recourir au portrait, et expliqué ce que pourrait être pour eux « le souci d’être vrai », nous examinerons comment ils ont utilisé le portrait pour encenser ou critiquer. Enfin nous étudierons comment, au XVIIe siècle, le portrait littéraire a pu devenir un genre en soi.

Développement

Pourquoi ce recours fréquent, voire systématique, au portrait littéraire ? Qu’est-ce que le « souci d’être vrai » ?

Il faut d’abord répondre à deux questions préalables : pourquoi ce recours fréquent, voire systématique, au portrait littéraire ? Qu’est-ce que le « souci d’être vrai » ?
À la première, nous pouvons répondre qu’à la différence de son traitement par la photographie, la peinture et la sculpture, le personnage littéraire n’offre aucune information à nos sens. C’est un être de papier. Le lecteur doit l’imaginer à partir des mots utilisés pour le décrire. Le portrait littéraire est donc une nécessité technique pour le récit. Il permet à l’écrivain de rendre ses personnages présents, de figurer une image mentale dans l’esprit de son lecteur. Il répond aussi à une volonté artistique. Comme l’écrivain ne peut donner une description totale de ses personnages, il doit choisir quelques traits caractéristiques évocateurs. Dans son désir de frapper l’imagination, il va souvent jusqu’à typer ses créatures.
Il convient ensuite de définir ce qu’est « le souci d’être vrai ». Face à une personne, nous éprouvons des impressions, elle nous attire ou nous repousse. L’apparence physique nous conduit à interpréter le caractère. Balzac applique la physiognomonie pour peindre certains de ses personnages de la « comédie humaine ». Par exemple, le père Grandet trahit sa cupidité : « Son nez, gros par le bout, supportait une loupe veinée que le vulgaire disait, non sans raison, pleine de malice. Cette figure annonçait une finesse dangereuse, une probité sans chaleur, l’égoïsme d’un homme habitué à concentrer ses sentiments dans la jouissance de l’avarice ». Les attitudes et les gestes sont révélateurs des émotions et des pensées. Toutes ces perceptions créent un réseau d’indices qui nous poussent à caractériser, voire à juger l’individu.
Mais l’écrivain n’est-il pas, comme nous, dupé par les apparences, sauf bien entendu quand il est le créateur tout-puissant de ses héros ? N’est-il pas victime de ses préjugés ? Est-ce que « le souci d’être vrai » consiste simplement à livrer des impressions ? Ne doit-il pas exiger une observation plus attentive ? Est-il affaire de sincérité ou d’objectivité ?

Une plume pour immortaliser ou pour détruire

Henri Amer estime que le portrait littéraire remplit deux fonctions toutes deux inspirées par la passion. L’écrivain l’utilise pour chercher à échapper aux vicissitudes du temps, à garder la fraîcheur de ses impressions. Henri Amer fait remarquer également que ce portrait cherche souvent à résumer une vie ou une société, en simplifiant et en transformant la réalité. Son objectif est toujours d’immortaliser un état de la vie à son apogée. Il exprime une admiration. On peut ajouter dans cette veine épidictique, les oraisons funèbres, comme celles de Bossuet, portraits élogieux développés qui sont alors assortis de considérations morales et religieuses. Le « souci d’être vrai » de l’écrivain le pousse à exprimer ses sentiments et ses convictions, extraire l’essence de l’être rencontré, lui rester fidèle. Le roman regorge de coups de foudre : la princesse de Clèves est séduite au premier regard porté sur le duc de Nemours. Flaubert transpose sa rencontre avec Élisa Schlésinger dans l’Éducation sentimentale ; son héros, Frédéric, idéalise Mme Arnoux en évoquant, dans son halo mystique, une madone, la femme devient « comme une apparition ». La poésie lyrique développe fréquemment le thème de la muse poétique, l’écrivain veut immortaliser son modèle, comme l’humour macabre de Baudelaire, dans « Une charogne » des Fleurs du mal :

Alors, ô ma beauté, dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j’ai gardé la forme et l’essence divine
De mes amours décomposés !

L’écrivain peut au contraire vouloir, par la satire, laisser l’image détestable d’un adversaire. D’un côté, par la caricature, il déforme la réalité, plus complexe et plus nuancée, pour finalement, de l’autre, faire ressortir sa « vérité », ces défauts insupportables qui peuvent culminer dans la haine. Mais, même si la passion y fausse inconsciemment les événements et les personnes, la marque du portrait littéraire reste la recherche de la vérité. Derrière les apparences, il révèle, par l’analyse psychologique, l’essence du modèle. Dans ses Mémoires, le cardinal de Retz étrille son ennemi Mazarin et encense l’aristocrate Richelieu. Saint-Simon, dans les siennes, égratigne les courtisans, tout en dissimulant sa propre dépendance à l’égard de la cour et de la faveur royale nécessaire à sa carrière politique. Le XVIIe siècle a aimé particulièrement les portraits à clé, par exemple l’Histoire amoureuse des Gaules de Bussy Rabutin, s’amusant à deviner, derrière les descriptions criantes de vérité, les identités de la haute noblesse de la cour de France se livrant à de croustillantes frasques libertines (en somme l’ancêtre de la presse people, le style en plus). Les portraits étaient si ressemblants que leur auteur fut puni d’exil et d’embastillement.

Un genre en soi pour découvrir l’essence de l’homme

La Bruyère Les moralistes du XVIIe siècle sont allés plus loin dans leur utilisation du portrait littéraire. Dans leur recherche de ce qui constitue l’essence de l’homme, ils ne peignent plus des individus, mais des types, des abstractions. Le portrait se résume à mettre en valeur un défaut, à le dénoncer en le ridiculisant. Le personnage est alors une mécanique prévisible. La Rochefoucauld traque l’amour-propre dans nos comportements. La Bruyère, dans son Livre XI des Caractères, met en scène le distrait Ménalque qui agit sans réfléchir au point de ne commettre que des bévues, Gnathon se résume à sa mâchoire qui broie goulûment. Cependant, le regroupement de ces comportements typés est censé fournir une définition du genre humain trouvée dans la ou les causes premières de ses agissements. Le moraliste en vient à constater le caractère inhumain, voire bestial, de ses congénères. Le distrait Ménalque semble privé de raison. Le glouton Gnathon devient un prédateur prêt à dévorer le genre humain. Le pessimisme janséniste de La Bruyère peint un homme féroce, sans esprit critique, mû par ses instincts ou ses humeurs. Pourtant, derrière ces ressorts mécanistes communs, La Bruyère constate l’impossibilité de réduire l’homme à une seule composante : L’homme est « plusieurs », « il se multiplie » ; il affiche une telle variabilité au cours de son existence que l’auteur avoue son impuissance à trouver le « caractère » originel. Le moraliste constate finalement l’imperfection fondamentale de l’être humain.

Conclusion

Le portrait littéraire est une nécessité pour l’écrivain. Mémorialiste, romancier ou moraliste, l’auteur doit donner à voir ses personnages, qu’ils aient existé ou qu’ils soient de pures créations. En effet, à la différence des arts graphiques qui s’adressent directement à nos sens, la littérature ne peut produire que des images mentales. Il en découle que le portrait littéraire, qui ne peut fournir un instantané global, soit obligé de sélectionner les caractéristiques du modèle : de là, sa propension à typer. Les écrivains ont vu tout le parti qu’il pouvait tirer de ce portrait pour partager leur « vérité » passionnée sur la personne : soit ils l’ont utilisé pour l’éloge, pour idéaliser, immortaliser leur modèle ; soit pour le blâme, en satirisant leur adversaire au risque de la caricature. Les moralistes du XVIIe siècle sont allés plus loin en épurant le portrait littéraire jusqu’à se focaliser sur la dénonciation d’un défaut ou d’un vice. Selon eux, cette démarche devait favoriser la mise en lumière du ressort secret de nos comportements. Le portrait littéraire n’est donc jamais purement descriptif. Il procède d’une démarche artistique. Grâce à lui, l’écrivain veut nous partager son « souci d’être vrai » vis-à-vis de son modèle ou de sa créature. Le portrait littéraire est donc toujours intentionnel : au lecteur informé de savoir l’appréhender avec un esprit critique.

Voir aussi :