Bac de français 2023
Baccalauréat général
Corrigé de la dissertation (sujet C)
Œuvre : Colette, Sido suivi de Les Vrilles de la vigne.
Parcours : la célébration du monde.
Peut-on considérer Sido et Les Vrilles de la vigne comme des œuvres de l’émerveillement ?
Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur Sido et Les Vrilles de la Vigne, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé, et sur votre culture personnelle.
Introduction
Sido et Les Vrilles de la vigne sont deux œuvres littéraires de l’écrivain Colette. Les Vrilles de la vigne sont un recueil de dix-huit nouvelles publié en 1908 avec ajouts en 1933, Sido paraît en 1930. Ce sont des récits autobiographiques, pour la plupart sur l’enfance et la jeunesse de l’auteur. Dans cette quête des souvenirs, Colette essaie, entre autres, de retrouver la fraîcheur de son regard d’enfant qui découvre la vie.
Peut-on alors considérer Sido et Les Vrilles de la vigne comme des œuvres de l’émerveillement ?
Il convient d’abord de définir précisément ce que recouvre le terme d’émerveillement, puis d’examiner comment l’auteur cherche à faire revivre le plus exactement possible ces événements révolus, pour enfin mettre en valeur un regard particulier qui transfigure la réalité ordinaire.
A. Comment comprendre le terme d’émerveillement ?
Il est nécessaire de définir préalablement ce terme d’émerveillement.
Découvrir et savourer les merveilles de la vie
Son sens commun est celui s’un sentiment d’admiration mêlée de surprise. C’est le regard de l’enfant qui découvre le monde, qui est fasciné, qui éprouve un plaisir intense devant une réalité inhabituelle, belle et surprenante. Cette expérience formatrice est éminemment subjective. Elle peut être suscitée par le contact avec la nature, l’art, certaines personnes… En général, elle marque durablement le sujet qui l’a vécue.
Accéder au surnaturel
Dans le domaine littéraire ou artistique, l’émerveillement entretient des liens étroits avec le registre merveilleux. Cet univers est celui des contes. L’enfant se laisse entraîner par des aventures palpitantes, dans un monde symbolique binaire où les peurs sont neutralisées par une fin heureuse. Le merveilleux est formateur et rassurant. L’enfant est initié à un monde onirique surnaturel qui se cache derrière les apparences sensibles. Son imagination est fortement sollicitée, elle l’invite à regarder autrement la réalité. L’émerveillement est le début de l’activité poétique qui, souvent, s’étiole lors des études ultérieures privilégiant les connaissances rationnelles.
B. Un voyage dans le passé pour faire revivre des souvenirs
Peut-on considérer que ce caractère thématique est prédominant dans ces deux œuvres ?
Sido : Une fresque psychologique et sociologique
Colette s’intéresse à plusieurs sujets. Sido, (diminutif de Sidonie, le prénom de la mère) est une œuvre semi-autobiographique où Colette retrace l’histoire de sa mère, mais elle concerne aussi l’enfance de l’auteur, sa famille (son père, « Le capitaine », sa fratrie, « Les sauvages »), les conventions sociales en vigueur à l’époque. L’auteur dépeint les caractères de ses parents, de ses frères et sœurs, rappelle quelques souvenirs remarquables les concernant. Au travers de leurs propos, elle évoque leurs convictions et leurs centres d’intérêt assez typiques de leur classe sociale. Le lecteur découvre ainsi les principes d’éducation, l’amour conjugal des parents, l’importance de la cellule familiale vécue comme le lieu de la transmission des valeurs et des connaissances.
Les Vrilles de la vigne : un patchwork plus personnel
Dans ce recueil de textes courts, Colette explore divers sujets de la vie quotidienne, tels que les animaux (chiens et chats), les saisons, les plaisirs simples, l’amitié avec Valentine, les problèmes féminins, les relations amoureuses. Le désir est présent avec toute sa sensualité lesbienne dans « Nuit blanche ». L’enfance et la nature, présentées comme un domaine fécond pour la personne, y tiennent aussi une place importante, elles sont souvent associées. Notons aussi la présence des paysages marins à la beauté prégnante, source de bonheur. Colette aborde également ses expériences dans le monde du music-hall et se livre à plusieurs satires mondaines. Nous sommes alors plus proches d’un traitement réaliste.
La précision horticole et sensorielle
Dans ces deux œuvres, le lecteur découvre un autre aspect de la précision naturaliste de Colette. Il est sans aucun doute frappé par la richesse du champ sémantique des plantes, en particulier de la flore. Prenons en exemple cet extrait de Sido :
« Ô géraniums, ô digitales… Celles-ci fusant des bois-taillis, ceux-là en rampe allumés au long de la terrasse, c’est de votre reflet que ma joue d’enfant reçut un don vermeil. Car « Sido » aimait au jardin le rouge, le rose, les sanguines filles du rosier, de la croix-de-Malte, des hortensias, et des bâtons-de-Saint-Jacques, et même le coqueret-alkékenge, encore qu’elle accusât sa fleur, veinée de rouge sur pulpe rose, de lui rappeler un mou de veau frais…
À contre-cœur elle faisait pacte avec l’Est : « Je m’arrange avec lui », disait-elle. Mais elle demeurait pleine de suspicion et surveillait, entre tous les cardinaux et collatéraux, ce point glacé, traître aux jeux meurtriers. Elle lui confiait des bulbes de muguet, quelques bégonias, et des crocus mauves, veilleuses des froids crépuscules.
Hors une corne de terre, hors un bosquet de lauriers-cerises dominés par un junko-biloba, […] tout le chaud jardin se nourrissait d’une lumière jaune, à tremblements rouges et violets, mais je ne pourrais dire si ce rouge, ce violet, dépendaient, dépendent encore d’un sentimental bonheur ou d’un éblouissement optique. »
Ce catalogue de fleuriste s’accompagne de notations émotionnelles évocatrices savoureuses et prosaïques qui, pourtant, ne les dépoétisent pas. Le jardin est animé par l’opposition des couleurs et des sensations tactiles symbolisant le conflit vital essentiel : d’un côté, les nuances de rouge, image du sang, des flux vitaux, et le jaune solaire ; de l’autre, le glacial violet mortuaire.
Transition :
Cependant, le lecteur peut percevoir un fil conducteur entre les deux recueils : la célébration du monde de l’enfance. Colette associe cette période de sa vie au plaisir des découvertes merveilleuses et au bonheur de la curiosité. Elle est nostalgique de cette sorte d’âge d’or révolu qu’il faut faire revivre pour échapper aux vicissitudes présentes. Elle envie son frère Léopold qui, comme Peter Pan, semble avoir refusé de grandir pour rester dans cet état de grâce originel.
C. L’influence maternelle et la construction d’une personnalité affirmée
Colette, lors de ce retour dans son enfance, retrouve la présence initiatrice et tutélaire de sa mère. Passionnément aimée de ses deux parents, elle reconnaît quand même l’influence prédominante maternelle dans l’élaboration de sa personnalité hors norme.
La symbiose avec la nature
L’émerveillement n’est pas nécessairement au premier plan dans ces deux recueils. Néanmoins, on reste imprégné par la poésie descriptive et la vivacité des sensations devant la nature, notamment les jardins et les paysages champêtres. L’auteur entretient une relation symbiotique avec les animaux qu’elle personnifie : chiens et les chats sont au cœur de plusieurs textes des Vrilles de la vigne. « Toby-chien parle » à la chatte Kiki-La-Doucette. Dans « Dialogue de bêtes » le-chien fait revivre l’époque où il participait à un numéro de music-hall avec sa maîtresse. Citons l’étonnant « Un rêve ». où la narratrice s’entretient avec le fantôme d’une chienne aimée dont elle a cependant oublié le petit nom. Outre ses personnifications, elle utilise le genre merveilleux du conte allégorique dans le titre éponyme « Les Vrilles de la vigne ». Dans ce récit, le rossignol incarne la liberté retrouvée de l’auteur chez qui l’opiniâtre chant-écriture permet d’échapper symboliquement à l’emprise étouffante de Willy.
Une sensibilité féminine éduquée par la mère
Sido, est le diminutif affectueux de Sidonie, prénom de la mère de l’auteur. Le fait que Colette ait donné ce prénom à son récit montre assez l’importance du personnage dans le paysage familial. Dans ce recueil, nous découvrons comment la mère a éveillé la sensibilité de sa fille à la beauté du monde, et l’a encouragée à affirmer sa personnalité. Sidonie est une femme simple et cultivée. En vraie provinciale, elle fait ses délices des histoires de voisinage. C’est un esprit libre, féministe et athée, qui dispense une éducation laïque à ses enfants. Surtout, elle voue un véritable culte à la nature qui est pour elle un espace de liberté et d’épanouissement. Elle apprend à sa fille à observer les détails, commente la réalité de manière vivante et imagée. Elle est exubérante et passionnée. Grâce à elle, Colette a pu développer des talents innés, et porter un regard poétique sur les scènes de la vie quotidienne. Ses descriptions des paysages, des jardins et de la nature environnante sont détaillées, précises et très sensuelles.
La relation entre la mère et la fille est complexe, voire parfois conflictuelle. Mais, en dernier ressort, Colette retrouve chez Sido, qui la traite de « Beauté, Joyau-tout-en-or », de « chef-d’œuvre », l’amour, et la tendresse. Elle admire la personnalité maternelle hors norme. Colette sait nous partager ces moments d’intimité et d’intense communion émotionnelle. On peut affirmer que cette relation entre la fille et la mère a déteint sur les rapports de l’auteur avec la nature. Colette, au cours de ses trajets matinaux vers l’école, suggère métaphoriquement que sa mère lui a permis d’affirmer sa « supériorité d’enfant éveillée sur les autres enfants endormis. »
Sido la magicienne
Colette admire surtout sa mère pour ses facultés médiumniques. Sido entretient des relations particulières avec le monde. Elle prédit le temps, sait déchiffrer l’avenir dans les signes de la nature. Elle vit en empathie avec les animaux. Peu à peu se construit le portrait admiratif d’une magicienne qui communique secrètement avec les éléments, la matière, les plantes et les êtres vivants. Sido est celle qui est « inquiète de tout ce qui, privé d’elle, per[d] la chaleur et le goût de vivre », elle est avant tout la gardienne et l’âme de sa petite famille. Elle est attentive aux plus faibles, son mari « amaigri », sa fille, la chatte, et jusqu’au « géranium » au « rameau […] rompu ». Dans sa féconde féminité, elle devient une déesse mère primordiale qui protège les siens et leur permet de vivre en harmonie avec la nature. Son jardin, microcosme de l’univers, comme dans les cloîtres, est une porte ouverte sur le cosmos. La figure grandiose de la gardienne, de l’inspiratrice et de la prophétesse clôt le premier chapitre qui lui est dédié : « Inspirée et le front levé, je crois qu’à cette même place elle convoque et recueille encore les rumeurs, les souffles et les présages qui accourent à elle, fidèlement, par les huit chemins de la rose des vents. »
Conclusion
La notion d’émerveillement nous a orienté dans deux directions : le sens commun du terme appelle un étonnement admiratif ; Le second, plus littéraire, connote le registre merveilleux, l’univers enchanté et imaginaire prisé par les enfants.
Bien que Sido, un récit autobiographique, et Les Vrilles de la vigne, regroupement de genres très divers, ne s’inscrivent pas de prime abord dans l’exploitation affirmée du registre merveilleux, il existe des parentés entre les deux recueils. Les thèmes de la nostalgie de l’enfance, de la célébration de la mère, des expériences vécues dans la nature ou avec les animaux, du plaisir sensuel quasi extatique éprouvé à leur contact, permettent à Colette d’aller au-delà des apparences, de percevoir des « correspondances », selon l’expression poétique baudelairienne.
Cette faculté à s’émerveiller, à enchanter le monde, Colette la doit à sa féminité proche des sources de la vie. Sa personnalité a été révélée, éduquée, amplifiée par une mère indépendante et prêtresse d’un culte rendu à la nature. On peut affirmer que cette piété filiale admirative lui a permis de s’émanciper1, de trouver son originalité dans son projet d’écrivain, et d’être consacrée comme auteur de premier ordre.
Note
1 Dans la nouvelle « Le Miroir » des Vrilles de la vigne, Colette rencontre son double littéraire Claudine, création imposée par son mari Willy. Elle tente de se dissocier de son personnage de fiction, malgré les quelques ressemblances avec lui.