Bac de français 2023
Baccalauréat technologique
Corrigé de l’essai
La « bonne éducation » est-elle celle qui apprend à douter, à remettre en question ses certitudes ?
Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question en prenant appui sur Gargantua de Rabelais, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.
Proposition de corrigé (rédigée par Jean-Luc)
Introduction
Éduquer est un privilège humain. Les animaux apprennent seulement ce qui est nécessaire à leur survie au sein du groupe. Il n’est donc pas étonnant que la question de la « bonne éducation » soit au cœur des débats éducatifs. Comment rendre efficace chez les individus cette transmission des connaissances et des valeurs ? Dans ce processus, l’Antiquité puis la Renaissance se sont interrogées sur la validité du doute et de la remise en question des certitudes. La « bonne éducation » doit-elle inclure ces éléments ?
Nous examinerons d’abord ce qu’est l’éducation et les critères qui permettent de la considérer comme bonne. Si le doute offre des avantages incontestables dans le processus éducatif, il doit en revanche être mesuré et accompagné pour produire tous ses fruits.
Développement
Qu’est-ce que l’éducation ? Selon quels critères peut-elle être considérée comme bonne ?
L’éducation est un processus complexe qui vise à transmettre à une personne des connaissances, des compétences, des comportements, des valeurs et des normes. Elle implique de nombreux participants, au premier rang desquels on trouve la famille, puis le milieu scolaire, les associations. Il faut cependant admettre que cette formation initiale se poursuit tout au long de la vie de manière formelle par le biais de l’institution scolaire, puis du milieu professionnel, ou informelle au travers des expériences quotidiennes et des relations interpersonnelles.
Mais elle ne saurait se confondre avec l’enseignement bien qu’il soit une composante essentielle de l’éducation. Enseigner, c’est transmettre avec autorité (celle de l’âge, du savoir, de l’expérience) des connaissances, des compétences et des valeurs à des élèves. L’enseignement est d’ordre intellectuel, il peut se dérouler dans des contextes formels (comme l’école) ou informels (comme à la maison ou dans la communauté). De même l’éducation ne saurait se confondre avec l’apprentissage. Ce processus est plus concret, il cherche à transmettre un savoir-faire. Il est conduit de manière intentionnelle (dans la famille, à l’école ou dans le milieu professionnel) ou accidentelle (lors d’événements formateurs), à travers l’observation, l’expérience ou l’étude suivie. L’apprentissage est donc une autre composante de l’éducation.
L’éducation considère qu’elle a atteint son but lorsque l’individu a fait sien l’héritage culturel, moral de son environnement social, et qu’il peut ainsi s’intégrer harmonieusement dans ses communautés de vie.
Les bienfaits du doute
Dans cette entreprise, l’usage raisonné du doute aide à l’acquisition de connaissances utiles.
Dans un premier temps, le doute conduit à vérifier par l’expérience les savoirs reçus, à confronter la théorie à la pratique. C’est le fondement de la démarche scientifique. Les progrès en ce domaine sont dus le plus souvent à ces humbles remises en cause qui cherchent à intégrer les anomalies constatées par rapport à la théorie admise.
Ensuite apprendre à douter et à se remettre en question favorisent le développement de l’esprit critique. Encourager les individus à vérifier les idées préconçues et les croyances établies leur permet d’élargir leur champ de réflexion et de développer une pensée plus nuancée. L’esprit critique est essentiel pour appréhender le monde de manière objective et éviter les préjugés. La remise en question personnelle permet en outre de surmonter des échecs et de progresser vers l’objectif que l’on s’est fixé.
Cette conduite dynamise également l’autonomie intellectuelle. Inciter les individus à se forger leur propre opinion les pousse à penser par eux-mêmes et à ne pas accepter aveuglément les idées et les comportements intellectuels des autres. Rabelais a dénoncé les dangers du dogmatisme, du conditionnement culturel dans Gargantua. Il y stigmatise les enseignements inutiles et stupides qui rebutent et abêtissent l’élève. Le précepteur, le sophiste Thubal Holoferne, initie son pupille à la littérature et à la grammaire en lui demandant d’apprendre par cœur, à l’endroit et à l’envers, des textes scolastiques. Ce fut aussi la grande leçon des Lumières : « Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! » écrivait Kant. Cette autonomie intellectuelle est essentielle pour une participation active à la société et pour la prise de décisions éclairées.
De plus, cette remise en question des certitudes stimule la créativité et l’innovation. Explorer de nouvelles idées excite la capacité à penser de manière originale et à trouver des solutions novatrices aux problèmes rencontrés. La créativité et l’innovation sont des compétences essentielles dans un monde en constante évolution. C’est ce que recommande Philippe Meirieu. Il est important d’apprendre aux jeunes à échapper aux conditionnements culturels, aux modes, aux facilités du prêt-à-penser sur internet. Il faut leur faire découvrir subtilement des domaines inconnus ou ignorés. Rabelais avait déjà montré la voie dans l’éducation de Gargantua. Les précepteurs Ponocrates et Eudémon n’hésitent pas à diversifier les activités éducatives pour solliciter l’intelligence de leur élève : outre les classiques littérature antique, arithmétique et musique, ils recourent aux jeux, à l’artisanat et aux exercices physiques. Pour Rabelais, l’éducation concerne l’être tout entier.
Enfin, remettre en question ses certitudes favorise la tolérance et le respect de la diversité des opinions. Reconnaître que nos convictions peuvent être remises en question et que d’autres points de vue sont légitimes encourage le dialogue et la compréhension mutuelle. Cette attitude bienveillante contribue à créer une société plus ouverte et respectueuse des différences. Philippe Meirieu reconnaît que dans cet apprentissage de la confrontation, les éducateurs doivent montrer du tact et respecter les jeunes qui leur sont confiés.
Les dangers du scepticisme non dépassé
Si douter est nécessaire et salutaire pour une « bonne éducation », il convient toutefois de fixer des limites à ce scepticisme de principe.
D’abord tout ne relève pas du doute. Certaines évidences s’imposent à nous. Même si nos sens peuvent parfois nous induire en erreur, la plupart du temps, ils nous informent avec justesse. Nous devrions également faire confiance à la sagesse séculaire. Comme l’écrivait Descartes, « Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée ». De plus il est inutile, voire impossible de vouloir tout redémontrer, du moins au début des apprentissages, quand l’élève ne dispose pas des premiers outils. L’enfant fait confiance à ses parents qui ne peuvent lui vouloir du mal1.
Ensuite, il ne faut pas rester dans cette attitude dubitative permanente parce qu’elle se révélera fort dommageable à l’individu. Le doute peut cacher un refus de s’engager, une indécision maladive2, la crainte de l’inconnu. Il conduit à l’inefficacité dans ses tentatives de repousser indéfiniment les échéances. Il conduit souvent à l’indifférentisme (tout se vaut) ou au scepticisme moral (amoralisme qui a pu dériver dangereusement vers l’immoralisme). Nous voyons bien qu’aujourd’hui, on cherche à réintroduire l’éthique dans l’économie et les comportements citoyens.
L’apprentissage du doute doit donc être accompagné d’une éducation du discernement. Certaines connaissances et vérités sont fermement établies grâce à des preuves et des raisonnements solides. Il convient donc d’apprendre aussi à évaluer chaque situation individuellement pour déterminer si le doute est justifié.
Conclusion
L’éducation s’adresse à toute la personne, elle dépasse l’enseignement et les apprentissages. Elle a pour mission d’humaniser l’homme, de lui permettre de s’accomplir harmonieusement au sein de ses communautés de vie. Apprendre à douter, remettre en question ses certitudes sont indispensables à cette « bonne éducation ». Ils favorisent le développement de l’esprit critique, l’autonomie intellectuelle, la créativité, l’innovation, la tolérance et le respect de la diversité des opinions. Parents, enseignants, éducateurs devraient donc s’attacher à inclure ce doute mesuré dans leur action éducative. Mais cette tâche doit être menée avec bienveillance et respect des jeunes personnalités, elle doit également s’accompagner d’une éducation de la confiance en soi et de la prise de décision. Cette « bonne éducation » formera ainsi des individus capables de penser de manière critique, autonome et ouverte.
Elle est d’autant plus indispensable dans un monde submergé d’informations mercantiles ou partisanes, où la liberté d’expression, dans les réseaux sociaux, est souvent confisquée par les influenceurs. Elle est un enjeu fondamental dans bien des pays en voie de développement, qui ne peuvent assez investir dans l’enseignement, ou dans des contrées soumises à des dictatures idéologiques.
Notes
1 Dans l’Évangile de Luc 11:12 : « Quel père parmi vous, si son fils demande un poisson, lui donnera un serpent à la place du poisson ? Et s’il demande un œuf, lui donnera-t-il un scorpion ? » Bible des peuples
2 Connaissez-vous l’histoire de cet homme assis qui voit devant lui un dessert succulent ? Il se demande si cette sucrerie est bonne pour lui. Il tergiverse, veut se lever pour la saisir, il sent qu’il ose, puis reste en place. Le manège se répète plusieurs fois : Bonne ? Mauvaise ? la prendre ? Il sent qu’il ose, puis rien ne se passe. Au bout d’un long moment, il décide d’y aller, mais il s’aperçoit alors qu’il s’ankylose.