Aller au contenu

Diplôme national du brevet 2021

Épreuve de français (série générale)

Grammaire et compétences linguistiques, compréhension et compétences d’interprétation

A. Texte littéraire

Le Baron de Sigognac vient de dîner en compagnie de son domestique Pierre, de son chat Béelzébuth et de son chien Miraut.

Théophile Gautier par Nadar Pendant ce temps la nuit s’était faite, et de grandes ombres s’entassaient dans les recoins de la cuisine, comme des chauves-souris qui s’accrochent aux angles des murailles par les doigts de leurs ailes membraneuses. Un reste de feu, qu’avivait la rafale engouffrée dans la cheminée, colorait de reflets bizarres le groupe réuni autour de la table avec une sorte d’intimité triste qui faisait ressortir encore la mélancolique solitude du château. D’une famille jadis puissante et riche il ne restait qu’un rejeton1 isolé, errant comme une ombre dans ce manoir peuplé par ses aïeux ; d’une livrée2 nombreuse il n’existait plus qu’un seul domestique, serviteur par dévouement, qui ne pouvait être remplacé ; d’une meute de trente chiens courants il ne survivait qu’un chien unique, presque aveugle et tout gris de vieillesse, et un chat noir servait d’âme au logis désert.
Le Baron fit signe à Pierre qu’il voulait se retirer. Pierre, se baissant au foyer, alluma un éclat de bois de pin enduit de résine, sorte de chandelle économique qu’emploient les pauvres paysans, et se mit à précéder le jeune seigneur ; Miraut et Béelzébuth3 se joignirent au cortège : la lueur fumeuse de la torche faisait vaciller sur les murailles de l’escalier les fresques4 pâlies et donnait une apparence de vie aux portraits enfumés de la salle à manger dont les yeux noirs et fixes semblaient lancer un regard de pitié douloureuse sur leur descendant.
Arrivé à la chambre à coucher fantastique […], le vieux serviteur alluma une petite lampe de cuivre à un bec dont la mèche se repliait dans l’huile comme un ténia dans l’esprit-de-vin à la montre d’un apothicaire5, et se retira suivi de Miraut. Béelzébuth, qui jouissait de ses grandes entrées, s’installa sur un des fauteuils. Le Baron s’affaissa sur l’autre, accablé par la solitude, le désœuvrement et l’ennui.
Si la chambre avait l’air d’une chambre à revenants pendant le jour, c’était encore bien pis le soir à la clarté douteuse de la lampe. La tapisserie prenait des tons livides, et le chasseur6, sur un fond de verdure sombre, devenait, ainsi éclairé, un être presque réel. Il ressemblait, avec son arquebuse en joue, à un assassin guettant sa victime, et ses lèvres rouges ressortaient plus étrangement encore sur son visage pâle. On eût dit une bouche de vampire empourprée de sang.
La lampe saisie par l’atmosphère humide grésillait et jetait des lueurs intermittentes, le vent poussait des soupirs d’orgue à travers les couloirs, et des bruits effrayants et singuliers se faisaient entendre dans les chambres désertes.

Théophile Gautier, Le Capitaine Fracasse, 1863


Notes

1 un rejeton : un fils, un héritier.
2 une livrée : un ensemble de domestiques.
3 Béelzébuth : un des noms du diable.
4 fresques : peintures murales.
5 comme un ténia dans l’esprit-de-vin à la montre d’un apothicaire : comme un ver conservé dans l’alcool dans un bocal de pharmacie.
6 celui qui figure sur la tapisserie, déjà décrite un peu avant dans le roman.

B. Image : photogramme du film La Belle et la Bête réalisé par Jean Cocteau, 1946

Photogramme du film La Belle et la Bête

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Compréhension et compétences d’interprétation (32 points)

1. Dans quels lieux précis et à quel moment de la journée se déroule la scène racontée ? Justifiez votre réponse en vous appuyant sur le texte. (4 points)

La scène se déroule dans le « manoir » du baron de Sigognac au crépuscule. Le château est plongé dans les ténèbres car « la nuit s’était faite », le serviteur est obligé d’allumer une « chandelle » de pin puis « une petite lampe de cuivre » pour éclairer la chambre à coucher de son maître.

2. a) Expliquez l’expression « la mélancolique solitude du château » à la ligne 6. (2 points)
b) Justifiez votre explication en vous appuyant sur la construction et le lexique de la phrase qui suit (lignes 6 à 11). Trois éléments précis de réponse sont attendus. (3 points)

A) Le baron de Sigognac vit seul avec son serviteur Pierre dans un manoir mal entretenu, triste et sombre devenu un « logis désert ».
B) Le baron est seul car il est « un rejeton isolé » « d’une famille jadis puissante ». De cette richesse passée, il ne reste que des traces dérisoires, « un seul domestique », et de la « meute de trente chiens courants » « un chien unique ».

3. Dans le quatrième paragraphe (lignes 24 à 29), quel phénomène se produit le soir ? Comment se déclenche-t-il ? Pour répondre, appuyez-vous sur deux procédés d’écriture que vous analyserez. (6 points)

La chambre à coucher devient plus inquiétante le soir quand l’éclairage insuffisant développe des fantasmagories. Le premier procédé d’écriture est l’amplification : « c’était encore bien pis le soir », le comparatif de supériorité « pis » est renforcé par l’adverbe « bien ». Le second est celui de la transformation par les verbes « tenait » et « devenait ».

4. L’auteur qualifie la chambre à coucher de « fantastique » à la ligne 19. Quels éléments contribuent à installer cette atmosphère à partir de la ligne 14 du texte ? On attend un développement qui prend appui notamment sur le lexique (en particulier sur les adjectifs et les adverbes) et les comparaisons. (6 points)

Les champs lexicaux sont ceux du :

  • fantastique : revenants, Béelzébuth, vampire,
  • de l’obscurité : clarté douteuse, livides, sombre, pâle, lueurs intermittentes,
  • de la peur : assassin, victime, soupirs, bruits effrayants, chambres désertes.

Nous pouvons relever deux comparaisons :

  • « une petite lampe de cuivre à un bec dont la mèche se repliait dans l’huile comme un ténia dans l’esprit-de-vin à la montre d’un apothicaire » qui connote la mort
  • « le chasseur […] ressemblait, avec son arquebuse en joue, à un assassin guettant sa victime, et ses lèvres rouges ressortaient plus étrangement encore sur son visage pâle. On eût dit une bouche de vampire empourprée de sang. » Le personnage de la tapisserie prend une personnalité inquiétante de tueur et de mort-vivant.

Une métaphore : « des soupirs d’orgue ».

5. Quels sentiments ce récit éveille-t-il chez le lecteur ? Vous justifierez votre réponse en vous appuyant sur au moins trois éléments précis du texte. (5 points)

Cette description fait naître la peur chez le lecteur confronté à l’obscurité, à la claustration, aux fantasmagories de l’éclairage balbutiant, aux courants d’air, aux bruits étranges. Comme Sigognac, il est « accablé par la solitude » hantée des lieux. Il est ainsi préparé au départ prochain du baron qui va rejoindre une troupe de comédiens ambulants.

6. Quels liens pouvez-vous établir entre le photogramme proposé et le texte ? Appuyez-vous notamment sur les effets de lumière dans ce photogramme et dans le texte. Des éléments descriptifs de l’image et des citations précises du texte sont attendus. (6 points)

La lumière diffusée par le chandelier est faible. Elle éclaire peu et durcit les traits du visage de l’homme situé derrière. Chez Sigognac, elle transforme l’anodin chasseur en « assassin ». Dans le photogramme, le chandelier se répercute par un effet de miroir : cette illusion agrandit démesurément la pièce qui semble se perdre dans les ténèbres. Dans les deux documents la faible lumière contribue à créer une atmosphère d’insécurité en transformant l’apparence des lieux.

Grammaire et compétences linguistiques (18 points)

7. « et le chasseur, sur un fond de verdure sombre, devenait, ainsi éclairé, un être presque réel. » (lignes 26-27).
a) Par quel verbe peut-on remplacer le verbe « devenait » ? (1 point)
b) Quelle fonction du groupe souligné pouvez-vous ainsi identifier ? (1 point)

A) « Devenait » est un verbe d’état, il peut être remplacé par un autre verbe d’état : paraissait.
B) « un être presque réel » est donc un attribut de « chasseur ».

8. « la lueur fumeuse de la torche […] donnait une apparence de vie aux portraits enfumés de la salle à manger dont les yeux noirs et fixes semblaient lancer un regard de pitié douloureuse sur leur descendant. » (lignes 15-18)
Relevez les trois expansions du nom « portraits » et précisez leur nature (ou classe grammaticale). (6 points)

Les trois expansions de « portraits » sont :

  • Un adjectif épithète, « enfumés »,
  • Un complément de nom, « de la salle à manger »,
  • Une relative, « dont les yeux […] descendant ».

9. « La tapisserie prenait des tons livides, et le chasseur, sur un fond de verdure sombre, devenait, ainsi éclairé, un être presque réel. Il ressemblait, avec son arquebuse en joue, à un assassin guettant sa victime, et ses lèvres rouges ressortaient plus étrangement encore […] » (lignes 25-28) (10 points)
Réécrivez ce passage en remplaçant « le chasseur » par « les chasseurs ». Effectuez toutes les modifications nécessaires.

« La tapisserie prenait des tons livides, et les chasseurs, sur un fond de verdure sombre, devenaient, ainsi éclairés, des êtres presque réels. Ils ressemblaient, avec leur(s) arquebuse(s) en joue, à des assassins guettant leur(s) victime(s), et leurs lèvres rouges ressortaient plus étrangement encore […] »

Dictée

La nuit, je n’apercevais qu’un petit morceau du ciel et quelques étoiles. Lorsque la lune brillait et qu’elle s’abaissait à l’occident, j’en étais averti par ses rayons, qui venaient à mon lit au travers des carreaux losangés de la fenêtre. Des chouettes, voletant d’une tour à l’autre, passant et repassant entre la lune et moi, dessinaient sur mes rideaux l’ombre mobile de leurs ailes. Relégué dans l’endroit le plus désert, à l’ouverture des galeries, je ne perdais pas un murmure des ténèbres. Quelquefois, le vent semblait courir à pas légers ; quelquefois il laissait échapper des plaintes ; tout à coup, ma porte était ébranlée avec violence, les souterrains poussaient des mugissements, puis ces bruits expiraient pour recommencer encore.

François-René de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, 1848-1850

Travail d’écriture (rédaction)

Vous traiterez à votre choix l’un des sujets suivants :

Sujet d’imagination

Décrivez la promenade du Baron de Sigognac à la tombée de la nuit dans le sinistre jardin du château. Vous conserverez l’atmosphère du texte de Théophile Gautier. Vous préciserez les éléments du paysage qui contribuent à cette atmosphère.

Sujet de réflexion

Aimez-vous découvrir des œuvres littéraires et artistiques dans lesquelles interviennent le surnaturel ou l’étrange ?
Vous répondrez à cette question par un développement argumenté en vous appuyant sur les œuvres étudiées en classe, vos lectures personnelles et les œuvres cinématographiques et artistiques que vous connaissez.