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Diplôme national du brevet 2023

Épreuve de français (série générale)

A. Texte littéraire

Dans son autobiographie, Aurore Dupin (qui écrit sous le nom de George Sand) raconte son enfance. Elle est élevée par sa mère et grandit entourée d’Hippolyte, son demi-frère, et d’Ursule, la fille d’une servante.

Portrait de George Sand par Nadar Nous avions trouvé un jeu qui passionnait nos imaginations. Il s’agissait de passer la rivière. La rivière était dessinée sur le carreau1 avec de la craie et faisait mille détours dans cette grande chambre. En de certains endroits elle était fort profonde, il fallait trouver l’endroit guéable2 et ne pas se tromper. Hippolyte s’était déjà noyé plusieurs fois, nous l’aidions à se retirer des grands trous où il tombait toujours, car il faisait le rôle du maladroit ou de l’homme ivre, et il nageait à sec sur le carreau en se débattant et en se lamentant. Pour les enfants ces jeux-là sont tout un drame, toute une fiction scénique, parfois tout un roman, tout un poème, tout un voyage, qu’ils miment et rêvent durant des heures entières, et dont l’illusion les gagne et les saisit véritablement. Pour mon compte, il ne me fallait pas cinq minutes pour m’y plonger de si bonne foi, que je perdais la notion de la réalité, et je croyais voir les arbres, les eaux, les rochers, une vaste campagne, et le ciel tantôt clair, tantôt chargé de nuages qui allaient crever et augmenter le danger de passer la rivière. Dans quel vaste espace les enfants croient agir, quand ils vont ainsi de la table au lit et de la cheminée à la porte !

Nous arrivâmes, Ursule et moi, au bord de notre rivière, dans un endroit où l’herbe était fine et le sable doux. Elle le tâta d’abord, et puis elle m’appela en me disant : « Vous pouvez vous y risquer, vous n’en aurez guère plus haut que les genoux. » Les enfants s’appellent vous dans ces sortes de mimodrames3. Ils ne croiraient pas jouer une scène s’ils se tutoyaient comme à l’ordinaire. Ils représentent toujours certains personnages qui expriment des caractères, et ils suivent très bien la première donnée. Ils ont même des dialogues très vrais et que des acteurs de profession seraient bien embarrassés d’improviser sur la scène avec tant d’à-propos et de fécondité4.

Sur l’invitation d’Ursule, je lui observai que5, puisque l’eau était basse, nous pouvions bien passer sans nous mouiller ; il ne s’agissait que de relever un peu nos jupes et d’ôter nos chaussures. « Mais, dit-elle, si nous rencontrons des écrevisses, elles nous mangeront les pieds. – C’est égal, lui dis-je ; il ne faut pas mouiller nos souliers, nous devons les ménager6, car nous avons encore bien du chemin à faire. »

À peine fus-je déchaussée, que le froid du carreau me fit l’effet de l’eau véritable, et nous voilà, Ursule et moi, pataugeant dans le ruisseau. Pour ajouter à l’illusion générale, Hippolyte imagina de prendre le pot à l’eau et de le verser par terre, imitant ainsi un torrent et une cascade. Cela nous sembla délirant d’invention. Nos rires et nos cris attirèrent enfin l’attention de ma mère. Elle nous regarda, et nous vit tous les trois, pieds et jambes nus, barbotant dans un cloaque7, car le carreau avait déteint, et notre fleuve était fort peu limpide. Alors elle se fâcha tout de bon, surtout contre moi, qui étais déjà enrhumée ; elle me prit par le bras, m’appliqua une correction manuelle assez accentuée, et, m’ayant rechaussée elle-même, en me grondant beaucoup, elle chassa Hippolyte dans sa chambre, et nous mit en pénitence8, Ursule et moi, chacune dans un coin. Tel fut le dénouement imprévu et dramatique de notre représentation, et la toile tomba sur des larmes et des cris véritables.

George Sand [pseudonyme d’Aurore Dupin], Histoire de ma vie, 2e partie, chapitre 15, 1855.

Notes

1 Sur le carreau : sur le carrelage.
2 Guéable : que l’on peut traverser sans perdre pied.
3 Mimodrame : pièce de théâtre sans paroles.
4 Fécondité : inventivité ; créativité.
5 Je lui observai que : je lui fis remarquer que.
6 Nous devons les ménager : nous devons en prendre soin.
7 Un cloaque : un égout.
8 Elle nous mit en pénitence : elle nous punit.

B. Robert Doisneau, La ronde des pompons, 1955

Robert Doisneau, La ronde des pompons

Ce corrigé a été rédigé par Jean-Luc.
Compréhension et compétences d’interprétation (32 points)

1. À la ligne 1, qui désigne le pronom « nous » ? (2 points)

« Nous » désigne les trois enfants : Aurore, la narratrice, Hippolyte et Ursule.

2. Où se passe la scène ? Comment expliquez-vous la présence d’une rivière dans ce lieu ? Justifiez votre réponse en citant le texte. (5 points)

La scène se passe dans une « grande chambre ». La rivière est une représentation « dessinée sur le carreau avec de la craie » comme pour une marelle.

3. « l’illusion les gagne et les saisit véritablement. » (ligne 9)
Cherchez dans le texte trois éléments qui montrent que l’illusion « gagne » et « saisit véritablement » les enfants. (6 points)

Les trois expressions qui montrent que la narratrice est victime de son imagination jusqu’à l’hallucination sont : « m’y plonger de si bonne foi », « je perdais la notion de la réalité », et « je croyais voir ».

4. a) À quoi le jeu des enfants est-il comparé tout au long du texte ? Pour justifier votre réponse, relevez au moins quatre mots d’un champ lexical qui le prouve. (3 points)

Le jeu des enfants consiste à imaginer le passage d’une rivière fictive. Les termes « détours », « endroit guéable », « noyé » et « grands trous » relèvent du champ lexical du cours d’eau dans ce contexte.

b) Identifiez au moins trois moments dans le récit, qui montrent que cette comparaison organise le jeu des enfants. (3 points)

Le premier moment est l’arrivée des enfants au bord de l’eau.
Le second est l’invitation d’Ursule à venir la rejoindre en ce lieu sans danger.
Le troisième voit les jeunes filles « patauger » dans la rivière.

5. Quelles réflexions sur l’enfance le récit de cet épisode inspire-t-il à la narratrice ? Deux élémentssont attendus. Vous justifierez votre réponse en citant des passages précis du texte. (5 points)

L’enfance est une période de la vie qui cultive le registre merveilleux sous l’influence d’une « imagination » débordante.
Les jeux qui en résultent sont dramatisés en « une fiction scénique, parfois tout un roman, tout un poème, tout un voyage, qu’ils miment et rêvent durant des heures entières, et dont l’illusion les gagne et les saisit véritablement. »
Le retour à la réalité est douloureux car la punition maternelle met fin de manière « dramatique » à la « représentation », si bien que « la toile » du rideau de scène « tomb[e] sur des larmes et des cris véritables ».

6. Image
Pourquoi cette photographie pourrait-elle illustrer le texte ? Vous développerez votre réponse en vous appuyant sur deux arguments. Chaque argument doit être justifié par une citation du texte. (8 points)

Cette photographie peut illustrer le texte parce qu’elle met en scène des enfants qui jouent en croyant intensément à leur rôle. Leur déguisement et leur soin à éviter de piétiner le décor révèlent que leur jeu « passionn[e] [leurs] imaginations ».
De plus, cette image montre un décor aquatique « dessiné […] avec de la craie »

II. Grammaire et compétences linguistiques (18 points)

7. « En de certains endroits, elle était fort profonde. » (ligne 3)
a) Quelle est la fonction grammaticale de chaque groupe de mots souligné ? (1 point)

« En de certains endroits » est un complément circonstanciel de lieu.
« Fort profonde » est un attribut du sujet « elle ».

b) Justifiez votre analyse du premier groupe souligné en précisant les manipulations que vous avez utilisées pour identifier sa fonction grammaticale. (2 points)

Il s’agit d’un complément non essentiel qui peut être supprimé. Il répond à la question « Où était-elle fort profonde ? »

8. « Si nous rencontrons des écrevisses, elles nous mangeront les pieds. » (lignes 25-26)
a) Recopiez cette phrase en mettant la proposition subordonnée entre crochets et en entourant le mot subordonnant. (1 point)

« [Si nous rencontrons des écrevisses], elles nous mangeront les pieds. »

b) Précisez la fonction grammaticale de cette proposition subordonnée. (1 point)

C’est une subordonnée hypothétique ou subordonnée circonstancielle de condition.

9. « Tel fut le dénouement imprévu et dramatique de notre représentation ». (ligne 38)

a) Observez le mot souligné : identifiez et nommez les trois éléments qui le composent. (1,5 point)

Le mot est composé du préfixe « dé », de la racine « noue » et du suffixe « ment ». Le préfixe indique l’action de défaire, « noue » renvoie à nœud, tandis que le suffixe indique l’action.

b) Expliquez le sens de ce mot en vous appuyant sur la signification des éléments qui le composent et en vous aidant du texte. (1,5 point)

Le dénouement est donc l’action de dénouer. Au théâtre ou dans le récit, il est la résolution du conflit, la fin des péripéties.

10. Réécrivez le passage suivant en remplaçant « Hippolyte » par « ils ».

Le groupe nominal « le rôle du maladroit ou de l’homme ivre » ne doit pas être modifié.

« Hippolyte s’était déjà noyé plusieurs fois, nous l’aidions à se retirer des grands trous où il tombait toujours, car il faisait le rôle du maladroit ou de l’homme ivre, et il nageait à sec sur le carreau en se débattant et en se lamentant. » (lignes 4 à 7)

« Ils s’étaient déjà noyés plusieurs fois, nous les aidions à se retirer des grands trous où ils tombaient toujours, car ils faisaient le rôle du maladroit ou de l’homme ivre, et ils nageaient à sec sur le carreau en se débattant et en se lamentant. »

(10 points)

Dictée

Je me souviens d’un jour d’automne où, le dîner étant servi, la nuit s’était faite dans la chambre. Ma cousine et moi nous poursuivions l’une l’autre à travers les arbres, c’est-à-dire sous les plis du rideau. L’appartement avait disparu à nos yeux et nous étions véritablement dans un sombre paysage à l’entrée de la nuit. On nous appelait pour dîner et nous n’entendions rien. Ma mère vint me prendre dans ses bras pour me porter à table et je me rappellerai toujours mon étonnement en voyant les objets réels qui m’environnaient. Je sortais d’une hallucination complète et il me coûtait d’en sortir si brusquement.

D’après George Sand, Histoire de ma vie, 1855

Rédaction

Vous traiterez à votre choix l’un des sujets suivants :

Sujet d’imagination

Il vous est arrivé d’être pris dans un jeu qui vous a entraîné progressivement dans une aventure imaginaire intense.
Vous raconterez cet épisode à la première personne.
Vous pourrez enrichir votre récit par des descriptions, l’expression des sentiments et des sensations.

Sujet de réflexion

Pourquoi parle-t-on de soi et raconte-t-on sa vie dans des œuvres autobiographiques ?
Vous répondrez à cette question dans un développement argumenté.
Pour illustrer vos arguments, vous vous appuierez sur des exemples précis tirés d’œuvres littéraires et artistiques.