L’essai après contraction
Directives officielles
Le sujet de l’essai porte sur le thème ou la question que le texte partage avec l’œuvre et le parcours étudiés durant l’année dans le cadre de l’objet d’étude « la littérature d’idées du XVIe au XVIIIe siècle. Pour développer son argumentation, le candidat s’appuie sur sa connaissance de l’œuvre et des textes étudiés pendant l’année ; il peut en outre faire appel à ses lectures et à sa culture personnelles.
Note de service no 2019-042 BO no 17 du 25 avril 2019
Présentation
L’exercice consiste à argumenter en utilisant le schéma d’organisation simplifié de la dissertation. L’essai porte sur le parcours et l’œuvre issus de l’objet d’étude sur la littérature d’idées.
Le sujet pose une question inspirée de la thématique développée dans le texte à contracter.
L’essai est la réponse organisée logiquement selon un plan constitué en principe de deux parties.
Introduction
Cet essai commence par une introduction qui reprend les étapes suivantes :
- Amorce,
- explication du thème développé, et des enjeux qu’entraîne la question,
- citation du sujet s’il est court, sinon utilisation d’une formule condensée,
- annonce du plan.
Développement
Il est organisé logiquement selon un plan constitué en principe d’au moins deux parties, comportant chacune au moins deux paragraphes. Chaque paragraphe développe une idée en quelques lignes, cette idée est illustrée par un exemple précis tiré d’une œuvre étudiée en classe dont on cite le titre et l’auteur. Bien entendu le choix de cet exemple doit être explicité en démontrant comment il répond au sujet.
Ce plan peut être thématique, analytique ou dialectique…
Le plan thématique répond à la question en regroupant les arguments par grands domaines (par exemple, psychologiques, moraux, sociologiques ou hier, aujourd’hui, demain…)
Le plan analytique présente la réponse selon un état des lieux, une analyse des causes, pour finir par un examen des conséquences ou des évolutions possibles.
Pour le plan dialectique, deux schémas sont possibles :
Le plus fréquent est de présenter d’abord la thèse (c’est-à-dire l’accord à la question posée), en s’appuyant sur deux ou trois arguments dans deux ou trois paragraphes. Dans chacun des paragraphes, on illustre l’idée par un exemple précis et expliqué, de préférence littéraire tiré d’un texte étudié en cours.
Ensuite, on expose l’antithèse (le désaccord avec la question posée, ou les limites rencontrées par la thèse), on s’appuie toujours sur deux ou trois arguments dans deux ou trois paragraphes. Dans chacun des paragraphes, on illustre l’idée théorique par un exemple précis et expliqué, de préférence littéraire tiré d’un texte étudié en cours.
Mais on peut aussi, dans certains cas, commencer par la réfutation de la thèse si l’on n’est pas d’accord avec la question posée. La seconde partie consiste alors dans la proposition d’une nouvelle affirmation. Les parties restent composées d’au moins deux arguments chacune illustrées par deux exemples comme indiqué précédemment. Ce schéma est plus risqué et demande de solides connaissances.
Bien veiller à la mise en page pour que le plan apparaisse visuellement : paragraphe commençant par un retrait (alinéa) et se terminant par un retour à la ligne. Il faut passer deux lignes après l’introduction, et une après chacune des grandes parties.
Conclusion
Elle est constituée de deux parties :
- Une synthèse du développement réalisée par une ou deux phrases répondant clairement à la question posée dans le sujet et résumant chacune des grandes parties.
- Une ouverture en se servant d’une autre manière d’aborder le thème.
En pratique
Analyse du sujet
Repérer les mots-clés du sujet pour déterminer le thème (de quoi parle-t-on ?) et la thèse (prise de position concernant le thème) par les termes qui marquent une opinion. Ce repérage évite le hors-sujet.
Définir une problématique : reformuler le sujet afin de montrer qu’on a bien compris la thèse que l’on demande de discuter.
Quelles sont les limites de cette opinion ?
Recherche des arguments et exemples
Réfléchir aux arguments (idées abstraites) et exemples (illustrations concrètes) qui vont permettre de valider l’opinion émise. Le texte contracté doit fournir l’essentiel de l’argumentation, les exemples sont à rechercher dans les textes étudiés pendant l’année scolaire (œuvre et parcours associé de l’objet d’étude sur la littérature d’idées) et de la culture personnelle.
Les organiser selon un plan
Thèse
Argument 1 et exemple 1
Argument 2 et exemple 2
Argument 3 et exemple 3 éventuellement
Antithèse (ou limites selon le cas)
Argument 1 et exemple 1
Argument 2 et exemple 2
Argument 3 et exemple 3 éventuellement
Les arguments sont exposés du moins convaincant au plus pertinent pour respecter la loi d’intérêt (on retient mieux ce que l’on a lu en dernier).
Établir un plan détaillé qui servira à la rédaction, seules les introduction et conclusion seront rédigées au brouillon.
Rédiger l’introduction en dernier pour être sûr qu’elle introduira véritablement le développement. De ce fait, il faut commencer la rédaction du développement sur la copie en laissant suffisamment d’espace libre pour l’introduction qui sera produite ultérieurement.
Rédaction
Introduction
- Amorce,
- explication du thème développé,
- citation du sujet s’il est court, sinon utilisation d’une formule condensée
- annonce du plan.
Développement
Chaque partie est introduite par une phrase.
Chaque paragraphe contient un argument et un exemple.
Les paragraphes sont liés par des connecteurs logiques : d’abord, ensuite, enfin… ou par des liens de cause à effet, c’est pourquoi, de ce fait…
Les titres des œuvres sont soulignés.
Chaque paragraphe débute par un alinéa et se termine par un retour à la ligne.
Le développement est séparé de l’introduction par le saut de deux lignes.
Chaque partie est séparée par le saut d’une ligne.
La conclusion est séparée de la partie précédente par le saut d’une ou deux lignes.
Conclusion
Elle est constituée de deux parties :
- Une synthèse du développement réalisée par une ou deux phrases répondant clairement à la question posée dans le sujet et résumant chacune des grandes parties.
- Une ouverture en se servant d’une autre manière d’aborder le thème.
On conseille vivement de s’entraîner en temps limité auparavant selon le découpage suivant :
- Choix du sujet (commentaire ou contraction + essai) : 10 minutes
- Contraction du texte : 1 h 45 mn
- Essai : 1 h 45 mn
- Relecture : 15 mn
Exemple commenté
L’imagination nous éloigne-t-elle du monde ou nous permet-elle de mieux le comprendre ?
Vous développerez de manière organisée votre réponse à cette question, en prenant appui sur les Fables de La Fontaine, sur le texte de l’exercice de la contraction et sur ceux que vous avez étudiés dans le cadre de l’objet d’étude « La littérature d’idées du XVIe au XVIIIème siècle ». Vous pourrez aussi faire appel à vos lectures et à votre culture personnelle.
Rappel du texte à contracter
Texte d’Éloïse Lhérété, « Les livres ont du pouvoir », Sciences humaines, no 321, janvier 2020.
Qu’est-ce qu’un livre qui compte dans une vie ? C’est un livre qui résonne et qui nous fait vibrer. Il excite notre pensée, notre sensibilité et notre imagination, comme la vibration d’une corde de violon fait résonner son « âme », cette pièce de lutherie placée au cœur de l’instrument. Il dessille1 notre regard, intensifie nos émotions, révèle des passions sourdes, attise un feu de souvenirs personnels, nous fait rire, nous console, nous soigne, nous inspire, nous convainc, nous embarque, nous nourrit, amplifie notre vie. Par sa puissance, il laisse une empreinte. « Peu de livres changent une vie, souligne le romancier Christian Bobin. Et quand ils la changent, c’est pour toujours. » […]
Pourquoi certains livres nous parlent-ils autant, au point de nous changer ? Une réponse tient à l’espace-temps qu’ils instaurent. L’expérience littéraire autorise l’exercice de la réflexivité. Dans nos vies denses et hyper connectées, elle ouvre un théâtre en marge du monde, à l’écart de son tumulte et de ses influences, où l’on peut enfin « être à soi » : rêver, penser, se poser des questions, tirer des fils, tisser des liens. Proust évoque finement « le miracle fécond d’une communication au sein de la solitude ». Par le détour d’un texte, dont je ne retiens d’ailleurs qu’une partie qui me convient, je suis renvoyé à moi ; à travers les mots d’un autre, je discute avec moi-même, fabrique des associations d’idées, trame des histoires. Là où l’écran d’ordinateur barre l’horizon, le livre incite à voir plus loin : « Ne vous est-il jamais arrivé, lisant un livre, de vous arrêter sans cesse dans votre lecture, non par désintérêt, mais au contraire par afflux d’idées, d’associations ? En un mot, ne vous est-il pas arrivé de lire en levant la tête ? », interroge Roland Barthes.
Du philosophe Sénèque jusqu’au neuropsychiatre Boris Cyrulnik, nombreux sont les penseurs à avoir conçu la lecture comme un tremplin vers la vie spirituelle. Méditation, rêverie, voyage mental… Les bons livres nous transportent, dans tous les sens du terme. Boris Cyrulnik témoigne ainsi du rôle que tinrent les romans pendant son enfance fracassée par la perte de ses parents et la maltraitance des institutions : ils furent ses « porte-rêves », confie-t-il. Aiguillonné2 par eux, le petit garçon put s’inventer un monde de beauté et d’affectivité, protecteur et doux. […]
La littérature nous ouvre donc aux autres, tout en nous incitant à un retour à soi. Introduisant en nous de l’ailleurs et de l’altérité, elle nous relie à la longue chaîne des destinées humaines. Lisant, j’investis tour à tour l’existence d’un commissaire de police, d’un amoureux transi, d’un prisonnier, d’une reine, d’une malade ou d’un orphelin. M’identifiant aux personnages, je profère mentalement leur discours, reprenant à mon compte leur phrasé et leurs idées. Je simule leurs aventures, je vibre à leur contact. […]
Selon Marielle Macé, auteure de Façons de lire, manières d’être, cette projection mentale explique l’effet puissant de certains récits littéraires. Lisant une histoire, nous sommes amenés à interroger notre style de vie. Qui voulons-nous être ? Quelle place pouvons-nous tenir dans ce monde ? À ces questions, nous apportons des réponse différentes selon les âges et les circonstances de la vie. Dans la solitude de nos lectures, nous voyons surgir des modèles — ou des contre-modèles — pour travailler notre identité et conduire notre existence. « Avec les livres, ce sont d’autres hommes qui nous offrent le moyen d’être homme, c’est-à-dire soi-même, véritablement, dans la communauté partagée », souligne l’historienne Danielle Sallenave.
Le pouvoir du livre est aujourd’hui paré de toutes les vertus. On loue la lecture, on l’encourage, on lui consacre des fêtes et des salons, on en plébiscite les bienfaits sur les enfants. Il n’en a pas toujours été ainsi. La fiction littéraire a parfois été soupçonnée d’amollir le corps, de pervertir les esprits, de dépraver les mœurs, de dérégler les cœurs. Tout pouvoir est ambivalent. […] On peut s’enfermer dans la lecture sans parvenir à s’en nourrir, tout comme on peut détester lire et bien vivre malgré tout.
Qu’est-ce qu’un livre qui compte ? C’est celui qui essaime3 dans notre âme et notre vie, répond Edgar Morin dans son dernier livre, Les Souvenirs viennent à ma rencontre (2019). S’immisçant entre l’existence réelle et la vie intérieure, les livres germinent et nous grandissent.756 mots
Notes
1 Dessille : ouvre les yeux.
2 Aiguillonné : stimulé.
3 Essaime : se diffuse.
Rappel du résumé
Mme Lhérété essaie de définir ce qu’est un livre marquant. On reconnaît ces ouvrages à ce qu’ils nous ouvrent l’esprit, nous procurent d’intenses émotions, réveillent des souvenirs et nous permettent de vivre plus intensément. Mais ils sont peu nombreux. (39 mots)
Cette affinité secrète, qui peut nous changer, tient à ce que ce type de livre favorise le retour sur soi loin du bruit et des contraintes qui nous absorbent, grâce aux mots d’un auteur. Il permet de réfléchir à l’essentiel. (40 mots)
Il nous ouvre aussi à la spiritualité. Il peut façonner notre imaginaire et corriger la dureté du réel. (18 mots)
Il ouvre également aux autres grâce à la variété des personnages littéraires rencontrés à condition de nous identifier à eux. La littérature nous offre des exemples à suivre ou à refuser pour orienter notre existence. (35 mots)
Si l’extraordinaire pouvoir de la littérature est reconnu aujourd’hui alors qu’autrefois on a pu la juger dangereuse pour l’intelligence, l’affectivité ou la morale, attention cependant à ne pas la consommer superficiellement. (33 mots)
Le bon livre est donc celui qui nous humanise. (9 mots)
(174 mots)
Analyse du sujet
Repérer les mots-clés du sujet pour déterminer le thème (de quoi parle-t-on ?) et la thèse (prise de position concernant le thème) par les termes qui marquent une opinion. Ce repérage évite le hors-sujet.
L’imagination nous éloigne-t-elle du monde ou nous permet-elle de mieux le comprendre ?
On note deux séries opposées terme à terme :
- Imagination et éloigner
- Monde (ou réalité) et comprendre
Une question qui demande un avis tranché : l’imagination est-elle source d’illusion (mensonge) ou au contraire une voie pour comprendre la complexité de la réalité (vérité cachée) ?
Définir une problématique : reformuler le sujet afin de montrer qu’on a bien compris la thèse que l’on demande de discuter.
L’imagination, faculté d’invention au service de la fiction, jette-t-elle un voile d’illusion sur le monde, ou au contraire favorise-t-elle la compréhension d’une réalité souvent complexe et confuse ?
Quelles sont les limites de cette opinion ?
L’imagination, « maîtresse d’erreur et de fausseté » selon Pascal et pour beaucoup de philosophes, n’a pas bonne presse. Elle est, pour les gens prétendument sérieux, conçue comme le contraire de la raison appliquée au réel. Pourtant nous prenons grand plaisir et profit à lire les Fables de La Fontaine.
Recherche des arguments et exemples
Idées tirées du texte :
Dans un premier temps, l’imagination sollicitée par la lecture nous éloigne du monde. Mais pour notre bien. Elle favorise le retour sur soi loin du bruit et des contraintes qui nous absorbent, grâce aux mots d’un auteur. Elle permet de réfléchir à l’essentiel.
Elle nous ouvre aussi à la spiritualité. Ce type de lecture peut façonner notre imaginaire et corriger la dureté du réel.
Il ouvre également aux autres grâce à la variété des personnages littéraires rencontrés à condition de nous identifier à eux. La littérature nous offre des exemples à suivre ou à refuser pour orienter notre existence.
Corrigé
Introduction
Dans l’Antiquité, la Poétique d’Aristote a défini trois principes qui devaient animer les hommes de lettres : enseigner, émouvoir et plaire. Elle a théorisé ainsi un courant pédagogique et artistique qui a inspiré les auteurs classiques. L’Antiquité est aussi, avec le grec Ésope, à l’origine d’une autre tradition didactique, celle de l’apologue, court récit assorti d’une leçon morale. Ces deux courants ont façonné l’univers des Fables de La Fontaine.
Ce recueil de courtes pièces versifiées peint des saynètes le plus souvent animalières qui se déroulent dans un environnement merveilleux. Il met l’imagination au pouvoir.
Cette fantaisie nous éloigne-t-elle du monde ou nous permet-elle de mieux le comprendre ?
La fiction n’est certes pas la réalité, mais elle peut nous donner des clés pour la comprendre.
Développement
La fiction n’est pas la réalité
La fiction n’est certes pas la réalité.
L’univers des Fables relève de plusieurs genres. D’une manière générale, c’est le registre merveilleux qui domine : comme dans les contes, les fables se déroulent en un temps indéterminé et dans des lieux peu précis, une rivière que longe « Le Héron », un chemin où s’agitent « Le Coche et la Mouche », la campagne que Perrette parcourt en direction de « la ville »… La Fontaine écrit des féeries mythologiques dans « L’Homme qui court après la Fortune et l’Homme qui l’attend dans son lit » ou dans « Jupiter et les Tonnerres ». Il pratique l’utopie dans « Les Deux Amis ».
Si l’on s’intéresse aux personnages, on s’aperçoit qu’ils sont simplifiés, ils incarnent une vertu ou un vice. La laitière comme le curé Jean Chouard sont des rêveurs impénitents, le financier pense que tout s’achète tandis que le savetier croit naïvement que l’argent fait le bonheur. La Fontaine introduit le plus souvent des animaux qui pensent, parlent et agissent comme des humains.
Les situations, quant à elles, relèvent de la parabole, court récit allégorique qui permet de dispenser un enseignement moral. Le plus souvent, elles sont conflictuelles ou difficiles à résoudre. Cette focalisation sur les litiges ou les épreuves permet d’opposer des points de vue radicalement différents. La chute de ces disputes met en valeur l’habileté de celui qui se sort de l’impasse comme dans « L’Huître et les Plaideurs ». Dans le même temps, nous recevons des conseils satiriques sur l’inutilité de la justice. Le rapprochement improbable du financier et du savetier comme l’échange de leur condition débouche sur l’illusion de bonheur procuré par les biens matériels. « L’Écolier, le Pédant et le Maître d’un jardin » est la mise en scène d’une triple moralité dans le saccage du jardin : La Fontaine démontre que le mieux est l’ennemi du bien tout en tympanisant le pédantisme bavard et inefficace, mais rien ne serait arrivé si, au début, le jardinier s’était montré plus généreux.
Tous ces éléments créent un monde symbolique et conventionnel bien éloigné de la réalité.
Mais elle peut nous donner des clés pour la comprendre
Mais c’est pour notre bien. Ces fictions favorisent le retour sur soi loin du bruit et des contraintes qui nous absorbent. Elles permettent de réfléchir à l’essentiel. Elles nous ouvrent aussi à la spiritualité et à autrui grâce à la variété des personnages littéraires rencontrés à condition de nous identifier à eux. Elles nous offrent des exemples à suivre ou à refuser pour orienter notre existence.
Cet univers fictionnel simplifié est conçu pour nous permettre d’interpréter une réalité diffuse et complexe. La Fontaine veut éclairer certains comportements humains caractéristiques. Il se comporte en moraliste. Il donne ses leçons de sagesse de manière souriante. Comment mieux convaincre qu’en mettant les rieurs de son côté ? Ainsi, l’homme mesuré, l’adepte de la raison évitera le ridicule des vices et la déconvenue des illusions.
Une des clés de cette réinterprétation de la réalité est un symbolisme animalier très codifié. Le lion est l’image du pouvoir ; le loup, celle de la force brutale ; le renard, celle du fourbe ; le coq est un prétentieux. La nouveauté chez La Fontaine est qu’il adapte en partie ces schémas traditionnels aux mœurs de son siècle. Ainsi, le lion devient l’autocrate ; le renard, le courtisan obséquieux, comme le chien, dans « Le Loup et le chien », chez qui la soif de confort et de biens matériels est calmée seulement au prix de la servilité. Certains lecteurs perspicaces ont su lever les masques : la cigale n’est pas seulement l’artiste bohème ou l’aristocrate désœuvré, la fourmi, l’entrepreneur obtus incapable de gratuité, mais ces animaux sont aussi Fouquet, grand mécène, ami du fabuliste, et Colbert, leur ennemi juré. Les animaux ne représentent plus seulement des types intemporels, mais bien souvent des contemporains de l’auteur.
Ce détour par le monde animal permet de voir la vérité du monde au-delà des apparences. Les hommes, dépouillés de leurs attributs, deviennent des caractères essentiels. Cette transformation qui ne trompe pas le lecteur du Grand Siècle autorise une liberté de propos en même temps qu’elle atténue la blessure de la satire.
Conclusion
Si nous ne saurions confondre l’univers des Fables avec la réalité, l’imaginaire merveilleux peut nous aider à mieux la comprendre. Il nous donne des leçons de sagesse dispensées grâce à un art souriant.
La Fontaine a eu beaucoup d’épigones comme Voltaire, Florian au XVIIIe siècle, Alphonse Daudet au XIXe, Anouilh, Charles Morellet l’humoriste au XXe, mais la veine s’est épuisée : affaire de goût ou dédain pour un genre considéré comme enfantin… Il y a eu cependant quelques résurrections à destination des adultes qui méritent d’être citées : la bande dessinée Maus de Spiegelman qui retrace les horreurs de la Shoah, La Ferme des animaux d’Orwell qui dénonce les dérives totalitaires du communisme stalinien, et surtout le merveilleux Petit Prince d’Antoine de Saint-Exupéry à l’humanisme mystique et transcendant.