Rédiger une préface
Ce type d’exercice est souvent proposé dans le second cycle de l’enseignement secondaire si l’on en croit les demandes d’aide ou les questions déposées sur le forum.
Ce travail doit le plus souvent introduire une anthologie poétique thématique. Il est assorti parfois d’une invitation à convaincre un destinataire de l’intérêt du choix des pièces retenues ou de la lecture de la poésie en général. On pourrait imaginer également des préfaces servant à présenter une œuvre pour rédiger de manière originale une fiche de lecture.
Il est évident que cet exercice est destiné à familiariser les étudiants avec un univers qui leur est étranger, à leur faire effectuer des recherches, à affiner leur goût, à apprécier les rythmes, la musicalité, les images, à identifier les spécificités de la langue poétique, à analyser leurs réactions de lecteur, puis à défendre leur choix. C’est donc avant tout un entraînement pédagogique purement conventionnel et, de ce fait, déroutant. En effet, les textes ainsi produits sont assez éloignés des préfaces réelles. Ils sont en fait une forme déguisée de l’argumentation ou de l’exposé, un habillage de la rédaction scolaire.
Que sont les préfaces ?
La préface est un terme issu du latin præ : avant, et fari : parler. Ce terme peut avoir plusieurs sens :
→ Ce qui précède, prépare quelque chose : « Je descendais et faisais honneur au déjeuner toujours succulent, dont la préface était de tout petits melons » (Francis Jammes, Mémoires)
→ C’est la partie de la messe qui ouvre la grande prière d’action de grâces avant la consécration.
→ C’est surtout, en littérature, le texte placé en tête d’un ouvrage pour le présenter et le recommander au lecteur, en préciser éventuellement les intentions ou développer des idées plus générales.
Les préfaces existent depuis l’Antiquité. Brèves chez les Grecs, elles deviennent plus consistantes et plus interchangeables chez les Latins.
La pratique de ce texte liminaire a été courante dans les siècles passés. Elle semble tomber en désuétude de nos jours, peut-être parce qu’elle manifesterait narcissisme ou prétention. En effet, les préfaces ont d’abord eu pour fonction de promouvoir le livre et son auteur. Les Italiens, assez caustiques, ont affublé la préface du surnom de salsa del libro, la sauce du livre. Plus cette sauce est relevée, plus l’ouvrage sera lu. La préface doit piquer la curiosité du lecteur, exciter son intérêt. Voltaire écrivait dans une lettre à Moultou, le 5 janvier 1763 : « il faut être très court, un peu salé, sans quoi les ministres et madame de Pompadour, les commis et les femmes de chambre, font des papillotes du livre ».
Les préfaces ont été le plus souvent rédigées par l’auteur de l’œuvre qui livre, dans ce texte préliminaire, ses intentions, cherche à prévenir des objections ou à répondre à des critiques, expose diverses réflexions connexes à l’ouvrage, ce point est surtout vérifié dans les préfaces des pièces de théâtre1. Dans la plupart des cas, l’auteur noue un pacte de lecture avec le destinataire. Certaines préfaces sont célèbres parce qu’elles constituent un manifeste comme celle de Pierre et Jean de Maupassant, celle de Cromwell d’Hugo2 ou l’engagement en faveur de « l’Art pour l’art » au début de Mademoiselle de Maupin de Théophile Gautier, un acte d’accusation ou d’implication comme celle des Fleurs du mal de Baudelaire. La préface prend parfois l’allure d’une mise en perspective a posteriori. Hugo, dans Les Travailleurs de la mer, relie ce roman de l’exil à Notre-Dame de Paris et aux Misérables dans une structure ternaire par la mise en œuvre de la fatalité. Ces textes préliminaires peuvent aussi servir à dédier une œuvre à un généreux mécène ou à une muse inspiratrice. La forme se révèle parfois originale : Voltaire offre son Zadig par une épître dédicatoire à la sultane Sheraa qui cache sans doute Madame de Pompadour. Corbière dédie ses Amours jaunes à Marcelle dans une amusante parodie de la « Cigale et la fourmi ».
D’autres préfaces sont rédigées par des critiques ou des hommes de lettres afin de donner un supplément de notoriété à l’auteur. L’usage de la préface peut se révéler surprenant : Scudéry en rédigea une en tête des poésies de son compère Théophile de Viau pour appeler les détracteurs des vers de son ami à en découdre par les armes.
Dans les éditions scolaires ou universitaires, les préfaces servent à présenter l’œuvre, à la mettre en situation dans son siècle.
La rédaction d’une préface scolaire
Il s’agit d’un exercice conventionnel scolaire qui relève des trois types de rédaction proposés à l’épreuve anticipée de français :
- La dissertation, par sa construction,
- Le commentaire composé, par l’analyse préalable des textes à préfacer et les références précises à ces mêmes textes,
- L’écriture d’invention, par l’engagement marqué pour les textes à promouvoir.
Quelles sont les finalités d’une préface ?
- Informer,
- Justifier un choix,
- Donner envie de lire les textes introduits,
- Expliquer,
- Présenter,
- Offrir un point de vue original,
- Marquer le lecteur.
La rédaction de ce texte doit être organisée comme pour une dissertation, ce qui signifie que cette préface doit comporter une introduction, un plan de préférence en trois parties, et une conclusion.
Dans tous les cas, il conviendra de présenter précisément les textes retenus pour l’anthologie en notant titre, auteur, recueil et année de publication. Pour l’auteur, on peut ajouter entre parenthèses les années de naissance et de décès. Cette liste pourrait comporter des sous-titres constitués par les siècles. Elle trouvera sa place dans la première partie du développement pour les plans analytique et thématique, dans l’introduction, avant l’annonce du plan, pour le plan dialectique.
Pour le plan, vous pouvez utiliser :
- Le plan analytique lorsqu’il s’agit de présenter un thème diachronique, par exemple, l’amour ou la tristesse dans la poésie française du XVIe siècle à nos jours.
Ce type de plan ne permet pas de discuter, mais de décrire une situation, d’en analyser les causes et les conséquences. Cette présentation revient parfois à traiter un problème selon des considérations chronologiques : état des lieux actuel, examen des causes passées et évocation d’évolutions futures.
Pour la présentation du thème de l’amour dans la poésie française du XVIe siècle à nos jours, une première partie montrera la permanence du sujet, champion toutes catégories du lyrisme. Pour être plus précis, le rédacteur fera remarquer qu’il s’agit surtout de l’amour-passion douloureux et débouchant le plus souvent sur l’échec.
Une deuxième partie évoquera l’évolution des caractéristiques du sentiment amoureux au travers des siècles : hédonisme du carpe diem, feux de la préciosité, jeux baroques, passion destructrice romantique, réhabilitation du corps et de l’érotisme au XXe siècle… Bien entendu, il ne s’agit là que de tendances…
Une troisième partie pourrait chercher à brosser un tableau de la poésie contemporaine entre érotisme martelé sur des rythmes guerriers et divagations symboliques, en essayant de deviner si la poésie n’est pas en train de redevenir populaire et de changer de forme avec l’oralité de la chanson, du rap ou du slam…
Pour la tristesse dans la poésie française du XVIe siècle à nos jours, une première partie montrera la permanence du sujet, ce que l’on appelle le lyrisme élégiaque. Il faudra noter que cette tristesse peut s’appeler mélancolie, ennui, spleen, nostalgie, vague à l’âme… Ce type de poésie exprime une plainte.
Une deuxième partie évoquera l’évolution de cet état d’abattement au travers des siècles : temps qui s’enfuit inexorablement pour les adeptes du carpe diem, dissolution dans la mort pour les poètes baroques, vague à l’âme et insatisfactions romantiques, angoisses existentielles du XXe siècle confronté à l’absurde et aux destructions massives…
Une troisième partie pourrait chercher à brosser un tableau de la poésie contemporaine qui se désespère entre grisaille, horreur, insignifiance, solitude dans un monde englué dans son matérialisme… - Le plan thématique
Le plan thématique permet de mettre en œuvre une réflexion progressive organisée autour de grands ensembles.
Par exemple, pour l’amour dans la poésie française du XVIe siècle à nos jours, la préface pourrait être organisée autour de trois ensembles :- L’amour est une passion dévorante,
- L’amour entre idéalisation et damnation,
- Le poète et sa muse.
Pour la tristesse dans la poésie française du XVIe siècle à nos jours, on pourrait organiser la présentation à partir de trois grandes causes :- La déception d’une affection non partagée ou interrompue,
- La perspective de la mort, l’absurdité d’une condition humaine qui voudrait survivre et doit disparaître,
- La colère devant les folies humaines.
- Le plan dialectique
Il permet d’envisager tous les aspects d’une question. Le plan dialectique exprime une thèse dans la première partie, une antithèse dans la deuxième partie et un dépassement dans la dernière partie.
→ Quand utilise-t-on le plan dialectique ?
Si la préface doit convaincre, argumenter.
Certains sujets demandent de constituer un florilège de fables et d’en montrer tout l’intérêt aujourd’hui, ou un recueil poétique et de convaincre le lecteur des charmes du lyrisme. Il faut donc identifier les atouts du genre, mais aussi prévenir les objections de lecteurs réticents.
Dans ces cas de figure, la première partie consistera à défendre la thèse, la deuxième partie concédera quelques opinions contraires couramment formulées, tandis que la troisième partie essaiera de dépasser (retourner) les objections.
Pour le florilège de fables, la thèse défendra le caractère fameux des fabulistes, l’inscription des fables les plus connues dans les écoles primaires, les morales passées dans la culture commune au même titre que des proverbes ou des adages sapientiaux…
L’antithèse peut reprendre des arguments de Rousseau, ou l’apparente puérilité de certaines pièces qui mettent en scène des animaux conventionnels, ou le vieillissement du lexique, ou la culture nécessaire pour apprécier les allusions…
Le dépassement insistera sur l’espièglerie, la sagesse et surtout sur l’art des descriptions et du récit en vers si bien que des passages entiers chantent encore dans nos mémoires.
Nous allons examiner quelques difficultés spécifiques à la rédaction d’une préface.
L’introduction doit en principe, pour une dissertation, passer par trois étapes.
- La première étape : la situation du sujet
Ici, il serait judicieux de s’adresser directement au(x) lecteur(s) pour capter immédiatement l’attention.
« Amis lecteurs, vous n’avez sans doute pas l’habitude de fréquenter les recueils poétiques des siècles passés, vous délaissez des écrits qui vous paraissent vieillis et difficiles d’accès. C’est pourquoi, nous avons fait le pari de vous réconcilier avec les grands auteurs lyriques en sélectionnant quelques pièces connues ou parfois oubliées, mais toutes, vibrantes et évocatrices,… - Énoncé du sujet
« Elles illustrent le thème… »
Liste rédigée des textes si vous utilisez le plan dialectique. - L’annonce du plan
« Notre anthologie vous fera découvrir que, si l’amour a toujours été une passion dévorante, il a conduit ses chantres sur les chemins de l’idéalisation ou de l’enfer, mais qu’il a surtout été l’occasion de célébrer une muse dont le nom est désormais étroitement uni à celui de son poète. »
La conclusion doit comporter deux moments :
- une reprise du parcours thématique enrichie de tout ce qui a été démontré. C’est donc un exercice de concision.
- une ouverture qui, ici, prendra la forme d’une invitation ou d’une formule de politesse…
« Nous espérons, amis lecteurs, que ce modeste recueil vous procurera autant de plaisir que nous en avons éprouvé à le constituer amoureusement3… »
ou
« Amis lecteurs, bonne route avec ce viatique… nous vous laissons savourer ces pièces délicates ou fortes qui ont chanté et chantent encore dans tant de cœurs… »
- Attention à rester mesurés dans l’éloge !
Le style, par convention scolaire, doit rester soutenu, mais il faudrait de temps à autre adresser quelques clins d’œil au lectorat qui a été choisi pour cible. Dans la dissertation, il est recommandé d’employer les pronoms de la 3e personne. Ici, vous pouvez en conserver l’usage dans le développement. L’introduction et la conclusion feront référence à un « vous » ou un « tu » impliquant le lecteur, de même l’utilisation du « nous » de l’écrivain paraît incontournable. Si la rédaction doit rester impersonnelle, il convient d’utiliser une modalisation forte pour appuyer les choix et faire partager vos goûts. Enfin il faut faire largement appel au vocabulaire de l’analyse littéraire.
Dans ce type d’exercice, la citation prend toute son importance, elle doit illustrer (et non remplacer) le propos et baliser les moments forts du parcours. Il convient d’éviter le patchwork, au contraire ces citations doivent mettre l’eau à la bouche du lecteur.
Une préface doit donner envie de lire le recueil, préparer le lecteur à ne pas manquer l’essentiel… La rédaction d’une préface, c’est assez voisin d’une dissertation, en plus personnel.
Un écueil insidieux à éviter : tout dévoiler dans la préface au point que la lecture de l’ouvrage perde toute saveur. La préface doit garder le mystère de l’œuvre qu’elle présente, respecter la création de l’auteur comme le plaisir du lecteur. Que vaudrait la préface d’un roman policier qui dévoilerait l’énigme dès les premières pages ? Celle d’un roman d’aventures qui révélerait le terme avant les péripéties ?…
Pour se prémunir, certains lecteurs font un usage inhabituel de la préface. J’ai trouvé sur la toile ce témoignage d’une lectrice(?). Il vous encouragera sûrement à soigner votre rédaction car votre travail peut avoir un retentissement imprévu :
« Maintenant je ne lis la préface qu’après avoir lu le livre préfacé. C’est un principe. Je la lis comme une postface. Là alors, je me délecte ; je me remémore ce que j’ai lu à la lumière d’un jour nouveau. Je lis ce commentaire comme on avale un digestif. Et puis je vais me coucher, l’esprit rassasié et l’estomac léger. »
Notes
1 Citons les préfaces de Corneille, celles de Racine et particulièrement celles de Britannicus et d’Iphigénie, celle du Tartuffe de Molière, les longues préfaces de Beaumarchais…
2 Au point que la préface est plus célèbre que la pièce elle-même.
3 Un peu d’humour n’a jamais fait de mal !