Flaubert (1821-1880), L’Éducation sentimentale (1869)
II, chapitre 2
Le dessert était fini ; on passa dans le salon, tendu, comme celui de la Maréchale, en damas jaune, et de style Louis XVI.
Pellerin blâma Frédéric de n’avoir pas choisi, plutôt, le style néo-grec ; Sénécal frotta des allumettes contre les tentures ; Deslauriers ne fit aucune observation. Il en fit dans la bibliothèque, qu’il appela une bibliothèque de petite fille. La plupart des littérateurs contemporains s’y trouvaient. Il fut impossible de parler de leurs ouvrages, car Hussonnet, immédiatement, contait des anecdotes sur leurs personnes, critiquait leurs figures, leurs mœurs, leur costume, exaltant les esprits de quinzième ordre, dénigrant ceux du premier, et déplorant, bien entendu, la décadence moderne. Telle chansonnette de villageois contenait, à elle seule, plus de poésie que tous les lyriques du XIXe siècle ; Balzac était surfait, Byron démoli, Hugo n’entendait rien au théâtre, etc.
— Pourquoi donc, dit Sénécal, n’avez-vous pas les volumes de nos poètes-ouvriers ?
Et M. de Cisy, qui s’occupait de littérature, s’étonna de ne pas voir sur la table de Frédéric « quelques-unes de ces physiologies nouvelles, physiologie du fumeur, du pêcheur à la ligne, de l’employé de barrière ».
Ils arrivèrent à l’agacer tellement, qu’il eut envie de les pousser dehors par les épaules. « Mais je deviens bête ! » Et, prenant Dussardier à l’écart, il lui demanda s’il pouvait le servir en quelque chose.
Le brave garçon fut attendri. Avec sa place de caissier, il n’avait besoin de rien.
Étude du discours rapporté
On trouve dans cet extrait du discours direct, du discours indirect, du discours indirect libre et du discours narrativisé (récit de paroles). Ce texte relève en conséquence d’un montage très subtil : on trouve toutes les formes du discours rapporté. On note le caractère dominant de séquences polyphoniques ; elles permettent à Flaubert de tenir un discours sans l’assumer complètement. Il s’agit en l’espèce de la langue de la malveillance, de la médiocrité, des idées reçues. Le texte est globalement ironique, voire cinglant. Flaubert dénonce la confusion, dans un sens général.
Voir aussi :
- Le discours rapporté
- Biographie de Flaubert
- L’Éducation sentimentale, I, 5
- L’Éducation sentimentale, III, 6
- Madame Bovary : une œuvre réaliste ou romantique ?
- Le personnage de Monsieur Homais dans Madame Bovary
- Étude de la description dans un extrait de Madame Bovary
- Madame Bovary, III, 5
- Étude du discours rapporté dans un extrait de Bouvard et Pécuchet
- Quelques propos de Flaubert sur l’art
- Extraits de L’Éducation sentimentale