Bonjour,
Je ne vais pas détailler ici mon CV (atypique), mais je crois pouvoir vous répondre, en partie seulement, car se mêlent dans votre message des faits et des impressions subjectives. La réalité est toujours à mi-chemin des uns et des autres.
Déjà, je tenais à témoigner du manque d’informations fiables divulgués aux étudiants en licence de lettres, qui frise parfois à mon goût l’hypocrisie. On nous invite à penser que les études à la faculté de lettres permettent d’enseigner dans le secondaire, d’être enseignant chercheur, de travailler dans l’édition, les bibliothèques, la documentation, les librairies etc. Hors la majorité de ces filières sont très sélectives et/ou complètement bouchées.
L’information et la transparence n’ont jamais été dans les valeurs de l’université, pas plus que des institutions françaises en général. C’est un vestige des époques, pas si lointaines, où il fallait être initié, connaître les ficelles, pour prétendre au moindre espoir d’élévation. J’ai fait un jour la connaissance d’une loi (disons plutôt un obscur décret datant de Giscard d’Estaing) qui concernait mon profil (fort rare), grâce à un syndicaliste de la vieille garde. Devant mon étonnement, il m’a dit en rigolant : "mais si tout le monde le savait, ça deviendrait ingérable !". Nul n’est censé ignorer la loi, mais elle est bien faite pour que le plus grand nombre l’ignore...
Alors je ne sais pas qui vous a invité à penser qu’avec une licence de Lettres on pouvait faire des choses ! Une licence ne vaut rien en tant que telle, si ce n’est comme propédeutique à un projet plus long. Il est évident qu’une licence ne permet pas de passer les concours enseignants (niveau Master exigé + concours), encore moins devenir enseignant-chercheur (doctorat + agrégation + post-doc + beaucoup d’amis...), de travailler dans l’édition (master spécialisé, stages, réseau,...), dans la documentation ou les bibliothèques (concours). Une licence n’est pas un diplôme professionnel, il est donc illusoire de penser que l’on peut travailler avec. Cette réalité n’est pas nouvelle.
Selon moi, le risque majeur est de se retrouver au chômage, après cinq années d’études intenses et exigeantes. N’hésitez pas à me dire si vous jugez que mon point de vue n’est pas juste ! Mais j’ai l’impression que les réorientations d’urgence dans cette filière sont fréquentes, et que les jeunes diplômés peinent grandement à trouver un emploi sécurisant. (Je pense, par exemple, à un diplômé d’un master recherche à La Sorbonne, devenu maraîcher, je pense à un diplômé de licence de lettres travaillant dans une usine depuis des années...).
Ici, vous semblez parler du Master (5 années d’études). Un master recherche seul offre peu, voire aucun, débouché professionnel en l’état. Là aussi, c’est se méprendre sur son rôle et sa fonction. Un master recherche destine (d’où le nom) à une poursuite en doctorat. Un master recherche est également la voie royale pour préparer ensuite (ou pendant...) les concours de l’enseignement (CAPES, Agrégation) ou d’autres secteurs de la fonction publique, qui peuvent être également intéressants. En revanche, certains Master professionnel se destine à l’entrée dans le métier, moyennant plusieurs stages, de la patience et de l’abnégation, puisque les secteurs professionnels ciblés ne sont pas en pénurie de main-d’œuvre et recrutent souvent par d’autres moyens (copinage, réseau,...). La valeur d’un master pro (seul) sur le marché du travail reste légèrement supérieure à celle d’un master recherche (ce qui semble logique).
Une autre vérité qu’on ne nous répète absolument pas, c’est à quel point il faut être très bon pour s’en sortir. Les masters sont désormais sélectifs, et une conseillère d’orientation m’a dit qu’il fallait avoir 14 de moyenne (minimum) sur toute la licence pour trouver un master. Ce qui signifie également que pour certains masters très sélectifs, il faille viser beaucoup plus haut. Et souvent, ce sont les masters qui mènent en vérité vers un emploi. (À la différence des masters "recherche", si je suis bien renseignée).
Que deviennent les étudiants ayant dix ou onze de moyenne générale ?
Beaucoup d’étudiants en lettres se retrouvent "sans rien" à l’issue de leur licence.
Oui, c’est une vérité, mais qui est parfois démentie par certains parcours atypiques. Gardez-vous des généralisations : dans certaines universités, les professeurs annoncent la couleur dès la rentrée de L1, en précisant bien que le parcours choisi n’est pas facile (malgré les apparences) et qu’il y aura un taux d’échec important. Je ne vois absolument pas quel serait l’intérêt pour un universitaire de maintenir des étudiants de 1ère année dans l’illusion. Au demeurant, les universitaires sont souvent les plus acerbes à propos du niveau général des étudiants. Il faut ici décentrer votre point de vue et élargir vos perspectives. Le baccalauréat est devenu une farce. L’université et son fonctionnement, ses exigences, ses budgets de fonctionnement (coucou la loi LRU !) sont profondément entravés et dégradés par la faiblesse du niveau d’un nombre croissant d’étudiants de 1er cycle. La seule réaction, de survie, pour beaucoup de centres universitaires, fut d’instaurer, plus ou moins sournoisement (fonction de l’orientation politique des instances locales), une sélection en Master. Selon moi, la sélection en Master est tout à fait légitime.
Si nous entamons un cursus et le poursuivons, il me parait normal de viser l’excellence, qui reste la condition pour valoriser son parcours. La démocratisation (je n’aime pas ce mot, il me parait mal choisi) des diplômes universitaires a aussi contribué à leur perte de valeurs. L’excellence reste le seul recours et le seul moyen pour les étudiants passionnés et réellement désireux de faire leur métier de la discipline qu’ils ont choisie.
Que deviennent les étudiants à 10 ou 11 de moyenne en licence ? J’avoue ressentir peu de compassion pour eux. Je les invite à une ré-orientation académique, ou mieux encore : professionnelle.
Pour conclure, je crois qu’il faut s’émanciper quelque peu des diplômes. Votre parcours est avant tout ce que vous en faites. Après quelques années de vie, nous connaissons tous des personnes détentrices de diplômes, qui eurent de bonnes notes, qui faisaient la fierté de leurs parents, etc. et qui n’ont rien fait de leur vie. À l’inverse, on connaît des personnes fort débrouillardes, avec une solide faculté d’adaptation, qui connurent des parcours admirables et enrichissants, alors que détenteurs d’un "simple" BTS ou DUT... Tout cela ne veut rien dire, tant les paramètres personnels sont déterminants : caractère, faculté d’adaptation, mobilité, langues vivantes, goût du risque, choix familiaux, etc.
Comme vous j’ai longtemps pesté contre l’inutilité de mes diplômes de lettres, d’autant que j’avais déjà des diplômes scientifiques issus d’un parcours précédents. Avec le recul, je me rends compte que mes études littéraires m’ont permis un regard sur le monde, sur la connaissance, sur tous les aspects de la vie en vérité, à nul autre pareil. Cela étant dit, ce n’est pas tant le fait de mes études que du parcours de lecteur (et d’auteur) que je me suis construit par la suite, même au sein de métiers qui, a priori, n’auraient rien à voir avec le monde des lettres (et pourtant...).
Dans la pratique, les débouchés les plus aisés pour les formations en lettres ou sciences humaines sont les concours de la fonction publique. Il n’y a pas que les concours de l’enseignement, mais aussi ceux des bibliothèques, du patrimoine, des affaires étrangères, etc. mais n’oubliez pas non plus la police, l’armée, la gendarmerie. Je crois qu’avec toutes les spécialités — nous vivons l’ère de l’hyper-spécialisation ! — il devrait y avoir moyen de trouver chaussure à son pied. La préparation à un concours (notamment de catégorie A) vous demandera probablement plus de travail que l’obtention de votre diplôme universitaire ! Autrement dit, le diplôme n’est pas la fin du chemin, mais seulement le début !
Qu’allez-vous faire de votre diplôme ? Comment le valoriser ? C’est à cela qu’il faut songer, et non à sa valeur intrinsèque, qui est objectivement faible. Pensez aux stages, aux langues vivantes, aux voyages, aux créations et projets personnels, aux doubles diplomations, etc.
Je vous donne un exemple tout simple. Certes, c’est un cas individuel et peut-être non représentatif, mais je crois ces cas fréquents : une mienne amie a obtenu une licence en LLCE Espagnol (pas même LEA !), diplôme fort peu valorisant et détenu par une multitude de personnes. Sauf que cette jeune femme parle, lit et écrit le chinois, qu’elle a appris en quelques années sur son temps (et ses efforts) personnels. Une compétence nourrie par plusieurs voyages (en moto...) en Chine. Elle parle donc français (native), espagnol (courant), anglais (moyennement) et chinois (courant). Croyez-vous qu’elle a tardé à trouver du travail ? Son CV académique ne valait pourtant pas grand chose. Sans parler exclusivement des langues, ce que je veux dire, c’est qu’il faut cultiver ses compétences et sa personnalité.
On entend souvent de jeunes diplômés se lamenter des perspectives d’emploi, mais je crois qu’ils sont parfois un peu trop concentrés sur "ce qu’ils savent" et négligent un peu trop la question de "ce qu’ils savent faire". Le savoir n’est pas le savoir-faire. Dans d’autres pays, d’autres cultures, on accorde plus d’importance et de reconnaissance aux compétences, et c’est heureux.
Une dernière remarque. Je crois que si vous limitez vos projets, vos recherches, vos plans, vos tentatives, à la France seule, vous risquez d’éprouver beaucoup de désillusion et d’amertume. Changez de logiciel, comme disent les managers à la mode, et voyez à l’international.
Et puis, après tout, est-ce si grave de finir par exercer un métier sans lien avec nos études ? Cela ne fait-il pas partie du sel de la vie ? J’ai étudié l’écologie d’abord, puis j’ai crapahuté dans les montagnes avec un fusil automatique et 35 kg d’équipement sur le dos, pour achever mon engagement (5 ans...) en devenant photographe des armées, tout en accomplissant des études littéraires en cours du soir. Ayant bénéficié d’un accompagnement à la reconversion, j’ai passé un concours de l’enseignement pour enseigner d’abord dans mon dernier lieu d’affectation (outre-mer français), avant de poursuivre mon activité d’enseignant au sein du réseau de l’AEFE (lycées français à l’étranger). J’enseigne aujourd’hui dans un de ces établissements et à l’université locale. Je vous fais grâce des étapes intermédiaires ou des activités parallèles... J’ai connu autant de réussites que de projets avortés (et même plus des seconds que des premières...), mais les seules limites que j’ai rencontrées étaient les miennes.
Pardonnez mon style peu soigné, mais j’ai réagi à chaud.