Fiodor
Une simple question - un brin vaniteuse. Je note l'émergence manifeste de certaines langues dans différents cursus scolaires, et la chose est vraiment positive. L'arabe, le chinois et l'espagnol deviennent des choix évidents selon l'orientation à laquelle l'élève se consacre eu égard à la portée culturelle et économique de ces mondes d'ailleurs - et c'est formidable. Par contre, le russe me semble décliner si l'on considère les 30 dernières années - irrémédiablement il disparaît du programme national. Dans ma région, un seul professeur dans un lycée - lequel ne sera pas remplacé après sa retraite. L'exemple est explicite, d'où ma question : est-ce par désintéressement ? N'y a-t-il plus aucun goût pour les langues slaves ou bien s'agit-il d'une volonté ? Le russe voit en général des complots internationaux partout, et il est convaincu que personne ne l'aime - bouh bouh. Objectivement, je peine parfois à leur expliquer le contraire. La langue russe - plus personne n'en veut ou c'est moi qui fabule ? En gros, je fais une enquête d'opinion, mais je ne vends rien. Je vous écoute avec assiduité ++
Illuminé
Une des premières motivations qu'on peut trouver dans le russe, pour des gens comme nous, qui flânons et parfois déclamons sur ce forum, c'est de maîtriser un jour la langue pour lire les textes originaux de la pléiade des auteurs russes qui ont marqué la littérature mondiale.
Ensuite, il y a évidemment un intérêt historique à vouloir mieux connaître cette grande culture, particulièrement importante dans l'histoire mondiale moderne.
Et puis, également une certaine curiosité.
A mon avis, le problème est en effet un désintérêt. On se dit que l'arabe sera utile, parce que le Moyen-Orient est une zone extrêmement importante au XXI[sup]e[/sup] siècle, le chinois pour la puissance économique chinoise, l'espagnol parce que « c'est beaucoup parlé dans le monde » ; mais ce qu'on oublie souvent, c'est que la Russie — notamment grâce à l'immense étendue de son territoire — est présente dans toutes les nouvelles régions stratégiques : au Moyen-Orient, elle a une influence importante ; en Asie, elle ne joue pas un rôle mineur ; et en Europe — où d'ailleurs de nombreux pays de l'Est sont énormément imprégnés par la culture slave — ainsi qu'aux Etats-Unis, il est évident qu'on ne peut faire le monde sans la Russie.
J'ai également du mal à comprendre cette désertion de la langue ; si quelqu'un a une clef qui m'échappe...
Fiodor
Merci pour cette première analyse :D
Nous évoquions la problématique sur le forum russophile sans aboutir à une pleine compréhension. Il y a peut-être un exsudat infectieux quant à l'ancienne guerre froide, mais cela ne me satisfait pas - alors je cherche. Le flot migratoire provenant des anciennes républiques soviétiques ne cesse d'amplifier. Les gens viennent de Géorgie, de Tchétchénie ou d'Arménie par milliers. Donc, sur le plan social et culturel, la démarche est essentielle. Pour ce qui est de l'économie (nerf de la guerre), la Russie se développe considérablement depuis 2000, et avec une croissance annuelle qui frôle les 6% en 2012 - prévision 2013 de 9%, et en 2014, un bond de 6,4% selon l'OCDE. Sans être méchant, aujourd'hui ce que les Qataris ou les Chinois n'achètent pas - les Russes le ramassent. De ce constat, je ne parviens pas à saisir les motivations, lesquelles provoquent en finalité malheureuse ce désintéressement. Sur le plan européen, et eu égard à l'union, laquelle ne comprend pas la Russie - c'est déjà 6% de russophones. Si un jour, on intègre l'Ukraine à la CE, ajoutez 5-10% supplémentaires. Sur le plan européen géographique, c'est 160 millions de locuteurs natifs - soit la France, l'Espagne et l'Italie réunies. Sur le plan mondial, c'est près de 300 millions de locuteurs - soit plus que les francophones au nombre de 240 millions. Par simple comparaison, on considère qu'il existe dans le monde 260 millions de personnes qui parlent l'arabe. Comprenez-vous le flou qui règne dans ma cervelle lasse ? Je ne revendique rien - simplement je m'interroge quant aux logiques qui régissent notre perception des langues et des cultures. Quel est l'intérêt de fermer cette fenêtre sur l'Est proche ?
Pour information, et juste afin de confirmer ou d'infirmer mes dires, qui parle russe parmi nous - même un peu ?
Пожалуйста попробуйте написать краткий текст на русском языке, чтоб я мог определить уровень - LV2/LV3. Спасибо ++
Illuminé
De plus pour ma part, apprendre le russe me donne envie de me pencher de plus près sur l'histoire des pays d'Europe de l'Est, et sur l'histoire de la Russie pré-révolution bolchévique, celle des tsars, qui est assez mal connue en France par la grande majorité des gens je pense.
Fiodor
C'est une formule que je comprends même si les impulsions premières afin d'apprendre une langue diffèrent les unes des autres. Je pense que l'on peut aimer l'histoire et la culture d'un pays sans pour autant étudier la langue. Je viens de considérer un PDF de 2010 quant au développement des langues étrangères dans les lycées de la capitale, et il est vraiment explicite. Il y a quelques lycées qui osent le pas - majoritairement, on préfère l'arabe ou le chinois. Enfin bref ! Il n'y a peut-être pas d'explication ++
http://www.afr-russe.fr/IMG/pdf/carte_russe_Paris_rentree2010.pdf
[supprimé]
Je crois que c'est simplement -et malheureusement- lié à tous les clichés qui traînent sur les Russes, et notamment chez les jeunes. Dans mon lycée, quand on parle de Russie et d'Europe de l'Est, les gens ne pensent qu'à toutes les vulgarités qu'on peut imaginer. Par ailleurs, l'intérêt littéraire du russe ne pèse pas beaucoup de poids auprès d'une société qui se détourne de plus en plus de la littérature, au profit de vous savez quoi.
Il y a peut-être aussi autre chose, c'est que les Russes semblent bien plus proches aux yeux des français que les arabes, les chinois et les latinos. Les Russes ne seraient pas assez "exotiques". Ce qui est sûr, par contre, c'est qu'il y a des restes d'anti-communisme dans la population française qui perpétuent la haine du russe. J'ai pu le constater de mes propres yeux. Éventuellement, aussi, une forme de bigoterie contre les orthodoxes générerait la même chose.
Par contre je ne pense pas que l'arabe soit aussi populaire que vous ne semblez le croire. La grande majorité des lycéens qui l'étudient sont d'origine arabe et choisissent cette langue plus pour se doter d'un vernis culturel que pour lire les textes de la littérature arabe, dont beaucoup ignorent jusqu'à l'existence. De ce fait, l'enseignement de l'arabe au lycée est souvent de piètre qualité. J'ai pu le constater dans la salle d'attente avant mon oral d'arabe quand j'ai eu affaire à des gens qui ont étudié l'arabe trois ans dans leur lycée sans jamais entendre parler des déclinaisons. :rolleyes:
Fiodor
Merci Rimm pour ce complément d'information. Dans ma région - l'est de la France, l'arabe est une récurrence dans les lycées. Par contre, la bête rouge n'est plus trop apprivoisée. J'espère que cette volonté ne résulte pas d'un ensemble de préjugés, car dans le milieu de l'enseignement - au sein de l'école de la République, je trouverais la chose affligeante. Les clichés sont tenaces - tu as raison, mais je pense que l'on est au-dessus de ça, et que le goût de l'effort et de la découverte érode toujours la méfiance. Je suis ce fil avec beaucoup d'intérêt et vous remercie pour votre prime participation ++
Illuminé
Je suis également ce fil avec intérêt, si d'autres membres ont des idées à apporter — ou s'ils veulent simplement défendre la langue russe !
[supprimé]
Je pense que l'attrait du russe était lié à la position internationale du pays. La chute du bloc communiste semble avoir entraîné avec elle celle de l'étude de la langue, ressentie comme moins utile ou moins prestigieuse. Quand j'étais en fac, il y avait un engouement pour le japonais ; de nos jours, le chinois l'a remplacé... Quant à l'argument de la littérature, je n'y crois pas trop. De toute manière, avec trois années de russe, on n'a pas encore vraiment accès aux auteurs...
mikomasr
J'arrive un peu après la bataille, mais je ne vois pas de mal à faire remonter cette discussion. Il y a pas mal de monde autour de moi qui apprend (ou envisage d'apprendre) le russe, à des fins purement professionnelles. Et les réticences sont principalement dues à l'image de la Russie actuelle - car qui dit apprendre sérieusement le russe, dit y séjourner pendant une certaine durée, qui se comptera plus en mois qu'en semaines pour atteindre un niveau vraiment convaincant. Et c'est là que le bât blesse : personne n'est vraiment partant pour aller passer 6 mois à Moscou, dont on dit la population froide, brusque et revêche, la vie chère, la xénophobie omniprésente, et j'en passe (je n'ai personnellement pas d'avis particulier quant au fait de savoir si cette réputation est méritée ou non, vu que je n'y suis jamais allé).
[supprimé]
Mais Moscou n'est pas toute la Russie, et les Russes ne sont pas non plus à l'image de leurs dirigeants.
mikomasr
Sans doute, mais c'est bien pour ça que je parlais de réputation et non de faits avérés :) Et je pense que ça explique au moins en partie la désaffection à l'égard du russe.
Simon UA
Je pense que les Russes sont moins spontanés que les Français, mais que les amitiés qui se nouent sont généralement plus profondes et sincères.
Après c'est clair que le pays n'a pas une réputation extraordinaire en Europe. C'est bien dommage que pour beaucoup de gens la Russie s'arrête aux clichés alors que c'est un pays et une culture hyper riches.
Et difficile pour la Russie, en matière d'attractivité, de rivaliser avec le soft power (je ne connais pas de terme français pour ce concept) américain ou maintenant chinois.
Laoshi
« Pourtant, le russe a connu en France une période d’expansion rapide qui se situe entre 1957 et 1975 environ : vingt années fastes, où les concours de recrutement de professeurs des collèges et lycées affichaient jusqu’à 20 postes par an. En 1975 l’inspecteur général de russe alertait déjà le ministère sur la pléthore de professeurs de russe recrutés par rapport aux besoins réels, au nombre d’élèves. [...]
https://www.afr-russe.fr/spip.php?article22