[supprimé]
Entrons dès le début dans le vif du sujet…
Prenons le premier vers du poème de Pouchkine qui figure dans le sujet sur la poésie russe, et marquons en gras les voyelles qui portent l’accent tonique :
Я вас любил : любовь еще, быть может,
Essayons de prononcer ce vers (même mal, ça ne fait rien, c’est le rythme qui importe seul ici) :
Ia vas l’oubyl// l’oubof’ ’echchio // byt’ mojèt
Nous obtenons le schéma suivant (les doubles barres obliques marquent les coupes proposées par la ponctuation) :
☺☺☺☻//☺☻☺☻//☺☻☺
Si nous considérons la section centrale, entre les coupes, nous constatons :
- qu’elle reproduit deux fois la même unité rythmique de base : ☺☻, assimilable à une mesure à deux temps dont le second est accentué. On appelle cette unité « pied » ;
- que le début et la fin du vers sont apparemment différents.
Il est toutefois facile de constater :
- que la partie initiale peut être décomposée en deux pieds dont le premier est formé de deux temps faibles, et le second d’un temps faible suivi d’un temps fort, comme ceux de la partie centrale ;
- que la fin comporte un pied « normal » suivi d’un temps faible qui peut être interprété comme un pied réduit à sa première moitié. Nous y reviendrons.
Complétons notre schéma en séparant les pieds par un simple trait oblique :
☺☺/☺☻//☺☻/☺☻//☺☻/☺
Ce pied à rythme binaire ascendant, on l’a peut-être deviné, est l’avatar de l’iambe antique ∪ − , et il porte toujours ce nom dans la langue moderne : ямб.
Nous pouvons donc conclure que ce vers est un pentamètre iambique catalectique (ce qui signifie que son dernier pied est amputé d’un temps). Le pentamètre iambique correspond en gros à notre décasyllabe, mais ici, il y a une syllabe surnuméraire pour des raisons que j'expliquerai par la suite.
Toutefois, à la différence du vers antique :
- il n’y a pas de distinction entre voyelles brèves et voyelles longues, la quantité n’étant plus un trait pertinent en russe moderne ;
- l’accent du pied correspond à l’accent tonique (sauf exception) ; il en résulte que certains pieds resteront atones s’ils comportent des monosyllabes ou les parties atones d’un mot excédant le pied, ce qui sera un cas fréquent. Ainsi ce premier vers commence par deux pronoms personnels monosyllabiques, donc théoriquement atones. Je dis théoriquement parce que rien n'empêche d'accentuer le second dans la diction, d'autant qu'il s'agit d'un mot ("vous") particulièrement important dans le poème, et qu'il occupe la place d'un temps fort ;
- la ou les coupe(s) se situent souvent à la fin d’un pied, parfois au milieu.
Ainsi, la métrique russe se modèle parfaitement sur le rythme naturel de la phrase. Le fait que certains pieds restent atones permet d’éviter le « martèlement » monotone d’un même rythme, particulièrement si ce dernier est binaire. Par ailleurs, l’accent n’est pas nécessairement fortement marqué et on peut l’affaiblir pour obtenir un seul accent pour un groupe de pieds donné, comme dans les κῶλα antiques. En la matière, une assez grande liberté est donnée au lecteur. Enfin la coupe, comme en français, peut correspondre à une pause plus ou moins marquée, ou même virtuelle.
Une diction plus naturelle du premier vers pourrait être alors symbolisée par le schéma suivant :
☺☺☺☻//☺☻(/)☺☻//☺☻☺
Et voilà !
Demain, les trois vers suivants (ce sera plus rapide) et l'examen des rimes.
[supprimé]
Je t'en prie Mirraia... :) ;)
Voici les trois vers suivants :
В душе моей угасла не совсем;
Но пусть она вас больше не тревожит;
Я не хочу печалить вас ничем.
Transcrivons-les et marquons les accents toniques :
V douch’è ma’èï ougasla n’è safs’èm
No pouct’ ana vas bol’che n’è trivojit
Ia n’è khatchou p’itchalit’ vas nitchèm
Nous obtenons le schéma rythmique suivant :
2. ☺☻/☺☻//☺☻/☺☺/☺☻
3. ☺☺/☺☻(//)☺☻/☺☺/☺☻/☺
4. ☺☺/☺☻//☺☻/☺☺/☺☻
Il est facile de constater :
- que les vers 2 et 4 sont des pentamètres iambiques purs ;
- que le vers 3 est catalectique.
A quoi cette particularité correspond-elle ?
Pour le comprendre, voici le schéma des 4 vers étudiés :
1. ☺☺/☺☻//☺☻/☺☻//☺☻/☺
2. ☺☻/☺☻//☺☻/☺☺/☺☻
3. ☺☺/☺☻(//)☺☻/☺☺/☺☻/☺
4. ☺☺/☺☻//☺☻/☺☺/☺☻
On remarque que les vers 1 et 3 riment (approximativement), de même que les vers 2 et 4, suivant le schéma ABAB (rimes croisées ou alternées).
Dans les vers 2 et 4, la rime concerne une voyelle accentuée, donc un temps fort : on dit que la rime est masculine.
Dans les vers 1 et 3, la rime concerne une voyelle atone, donc un temps faible, le temps surnuméraire. On dit que la rime est féminine. La nature atone de la voyelle fait qu’on peut se contenter d’une simple ressemblance dans les sons.
Et voilà ! Je crois que la versification s’est un peu inspirée de la nôtre…
Un dernier mot sur les coupes, qui confirme peut-être cette ascendance. Dans les vers 2 et 4, elle se base sur la structure grammaticale. C’est moins net au vers 3. Quoi qu'il en soit, une grande souplesse règne en la matière.
La coupe, quand elle existe, est donc placée de préférence après le second pied. On peut alors parler de césure, comme dans notre décasyllabe (4 // 6) :
Rollanz est proz e Olivers est sages…
D'autres dispositions métriques :
- Le chorée (хорей) :☻☺ (issu du trochée antique)
Не жалею, не зову, не плачу,
Все пройдет, как с белых яблонь дым.
Je ne regrette ni n'appelle ni ne pleure,
Tout passera comme la fumée des blancs pommiers.
(Serge Essénine)
N'è jal'è'ou n'è zavou n'è platchou
Fs'o pra[sup]y[/sup]id'ot kak z b'èlykh Iablen' dym.
☺☺/☻☺//☺☺/☻//☺/☻☺
☺☺/☻☺/☻☺/☻☺/☻
- Au premier vers, on observe une coupe située au milieu d'un pied.
- La syllabe surnuméraire monosyllabique du second vers se trouve naturellement accentuée vu qu'elle forme un pied catalectique et, de ce fait, une rime masculine).