Lucien de Samosate, Les amis du mensonge ou l’Incrédule, traduit par Philippe Renault :
– Cette demeure, dit–il, était à l’abandon depuis des lustres car, régulièrement, elle était visitée par des spectres effroyables Quiconque s’y installait, devait bien vite quitter les lieux, à cause des fantômes. Aussi la bâtisse tomba–t–elle en ruine, au point que le toit menaça de s’effondrer. Bien entendu, nul n’osait plus y entrer. Dès que j’eus entendu parler de cet envoûtement, je consultai quelques ouvrages – je possède un nombre considérable de textes égyptiens qui traitent de ces problèmes de fantômes – et, à l’heure du premier sommeil, je me rendis à la maison hantée, malgré les prières de mon hôte qui voulut m’en empêcher et qui faillit même me retenir par le pan de mon manteau : il était persuadé que je courais à ma perte. Prenant une lampe, je pénétrai dans la maison. Après avoir posé ma lampe dans la plus grande salle, je m’assis par terre et je lus mon texte, presque avec désinvolture. Le démon ne se fit pas attendre et crut que j’étais une victime ordinaire, tout heureux à l’idée de me faire une peur panique. Dois–je vous préciser qu’il était répugnant, très chevelu, et qu’il avait la couleur sombre des ténèbres. Il se planta devant moi, me fit maintes provocations pour m’intimider, puis se métamorphosa successivement en chien, en taureau et en lion. Gardant mon sang-froid, je prononçai les formules égyptiennes, réussissant par la toute–puissance de mes paroles, à le faire replier dans un coin de pièce obscur. Après avoir consciencieusement observé l’endroit où il se trouvait, je m’endormis.
Au petit matin, alors que tout le monde s’attendait à me voir terrassé par le démon, comme les visiteurs précédents, je sortis de la baraque à la surprise générale. Je m’empressai de me rendre chez Eubatide pour lui annoncer la bonne nouvelle : il pouvait à ce jour vivre tranquillement dans une maison enfin exorcisée de ses démons. Il m’accompagna, lui et une foule de badauds – ils étaient tous étonnés par le prodige – jusqu’à l’endroit où l’esprit avait disparu. Je donnai l’ordre au groupe de s’armer de pioches et de fouiller. C’est alors que l’on exhuma un squelette que l’on s’empressa d’ensevelir décemment. Depuis cette opération, la maison a cessé d’être la proie des fantômes.
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