Trois choses qui me gênent dans ce type de raisonnement :
(1) pour comprendre et améliorer sa propre condition et la condition de la société, il faut bien y faire face, et pas la fuir que ce soit dans l’imagination, dans les émotions, ou dans le mysticisme.
(2) à quel moment on se drogue dans notre monde imaginaire, à quel moment on vit dans la réalité ? Le romantisme en tant que tel ne semble mettre aucune limite à la fuite dans l’enivrement qu’il propose, ce qui est très dangereux dans un monde de contraintes et de dangers (et encore une fois, que ce soit au niveau individuel ou au niveau collectif).
(3) le monde n’est-il pas déjà suffisamment riche et divers pour qu’il y ait besoin de décrire des choses qui n’existent pas, ou se morfondre dans nos états d’âmes ? N’est-on nous pas déjà débordés par le nombre incalculable de langues, de cultures, d’évènements et de vestiges historiques à découvrir, décrire et commenter ?
Il faut être toujours ivre, tout est là ; c’est l’unique question. Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! (Baudelaire: Enivrez-vous)
Mon hypothèse c’est que les romantiques ont cette illusion que leur mode de vie et leurs idées fonctionnent et/ou sont légitimes, car ils ont la chance de vivre dans des pays et des milieux sociaux qui jouissent de conditions matérielles/sanitaires/... favorables ; ils peuvent suivre ce mode de vie et ces idées inadaptées, et ça n’aura pas de conséquence néfaste immédiate. Et leur enivrement se fait donc sur le dos de ceux qui font face à la réalité matérielle et travaillent pour améliorer les conditions matérielles (les économistes, les philosophes pragmatiques/analytiques/etc., les linguistes, les ingénieurs, les profs, les écrivains réalistes, les médecins, etc.).
Ce problème est très évident chez la génération dadaïste et les situationnistes.