Le système de la culture institutionnalisée étonne toujours par cette capacité à phagocyter ce qui précisément s'opposaient d'abord à lui.
Le triste destin d'Ernesto Che Guevara en témoigne : symbole révolutionnaire plus que célèbre, le voici désormais imprimé sur des tee-shirts bon marché fabriqués à la chaîne au Bangladesh dans des conditions macabres, ou encore sur des paquets de cigarettes de contrebande à bas prix venues d'Espagne ou de Sicile.
Le statut de "classique" — que je hais ce mot...— attribué à Baudelaire et à tant d'autres par l'école est en fait assez récent. Dans le petit roman de Raymond Radiguet, Le diable au corps (1923), Marthe, la jeune fille que le narrateur séduit, est jugée subversive et rebelle, car elle a lu Les fleurs du mal, ouvrage dangereux et prohibé par sa famille tranquillement bourgeoise.
Quant à Hugo, qui très romantiquement voit Dieu partout sauf dans les églises sinistres, s'il est devenu un monument de l'école laïque, c'est que personne ne le croit ni ne le prend plus au sérieux. Je précise que j'aime beaucoup Hugo.
Dans l'ensemble, l'école trie, sélectionne, sur des critères aussi arbitraires que troubles. Le choix des auteurs consacrés par l'école ne saurait en aucun cas constituer une grille de lecture valable du paysage littéraire, passé ou présent.