Fleuve
Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
Je te fais un copier-coller d'un de mes premiers cours de de fac sur l'influence des idées Angleterre / Allemagne. C'est un peu long. Mais on a besoin de savoir ce qui précède.
PREMIERE ANNEE DE LICENCE D'ALLEMAND
HISTOIRE DES IDEES de 1715 à 1815
"L'influence anglaise en Allemagne"
Elle s'exerce dans différents domaines : la religion, la littérature et la morale. La Franc-maçonnerie fera l'objet d'un autre développement.
Les influences anglaises, déjà confirmées dans la première moitié du XVIIIe siècle, ne cessent de s'accroître.
A/ LE RATIONALISME RELIGIEUX
Locke, mort en 1704 exerce un pouvoir considérable notamment par ses Lettres sur la Tolérance. Son Essai sur l'entendement humain fait l'objet de traductions dans la deuxième moitié du siècle. Il prêche la tolérance et défend le christianisme en tant que religion satisfaisant aux règles de la raison mais la foi est pour lui un assentiment qu'on donne à toute proposition qui n'est pas fondée sur des déductions de la raison mais sur le crédit de celui qui les propose. Il ne veut pas être suspecté d'indulgence à l'égard des "exaltés".
John Leland se fait connaître dans la seconde moitié du siècle, vers 1754-1755. Il publie un ouvrage en deux volumes consacré aux principaux auteurs déistes. Paru à Londres, il est immédiatement traduit en Allemagne. C'est un ouvrage typique du XVIIIe siècle, répondant à la méthode de l'époque : on expose les idées de ceux qu'on désapprouve, on les réfute ensuite. En 1764, il en est à sa quatrième édition en Angleterre. L'auteur évoque surtout Chesbury, Hobbes, Shaftesbury, Tindal, Bolingbroke et Hume.
Lesquels va-t-on retenir en Allemagne ?
D'abord Shaftesbury (1671-1713). Le penseur le plus louangeur à son égard est Wieland (un des meilleurs connaisseurs de l'Angleterre) qui est séduit, pas immédiatement d'ailleurs, par la notion de "virtuose." Shaftesbury réagit très fortement contre tout ce qui relève de l'enthousiasme dont il dira plus tard que c'est "une véritable maladie." D'autre part, il s'élève contre les exigences dogmatiques en parfait représentant du déisme. Il propose de revenir à la pensée antique : pour lui, l'homme de l'Antiquité est un homme harmonieux, ayant confiance dans la nature et se laissant porter par elle. Harmonie extérieure et intérieure qui suscite en lui le sentiment du Beau (ou un sentiment esthétique). Bien sûr, son interprétation de l'Antiquité est fausse, il suffit de relire la légende des Atrides ou d'Oreste pour s'en convaincre. Il faudra attendre Nietzsche qu sera le premier à souligner cette erreur dans La Naissance de la tragédie en opposant Dionysos à Apollon. Toujours est-il que Shaftesbury est adopté grâce à cet idéal de l'humanité. On peut se demander dans quelle mesure l'Iphigénie de Goethe s'explique par cette idée d'humanité idéale. Le Beau et le Bien sont indissociables ; le sentiment esthétique est mis au service de la religion. Ainsi naît l'homme sans conflits, harmonieux tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.
Puis vient Bolingbroke (1678-1751), moins connu en France, sauf par ceux qui ont étudié les Lettres philosophiques de Voltaire. Ses œuvres sont essentiellement connus après sa mort. Son influence sur Voltaire doit être soulignée ; ce dernier va transmettre ses idées (contre le cléricalisme et la théologie) à la cour de France. Mais Bolingbroke désire éviter l'athéisme après avoir rejeté le christianisme.
Certes, l'anticléricalisme ne sera jamais aussi répandu au XVIIIe en Allemagne qu'en France car trop de dynasties de penseurs descendent de pasteurs ou sont pasteurs eux-mêmes comme Herder, ecclésiastique à Weimar et Lessing, fils et petit-fils de pasteur, si bien que Bolingbroke et Voltaire seront pratiquement répudiés.
Par contre, la réaction contre les théologiens trouve un écho favorable en Allemagne en raison de leurs hautes positions, acquises bien souvent avec un manque évident d'habileté.
Enfin, cette position séduit de nombreux esprits à la manière de Spinoza qui sait éviter à la fois l'athéisme et le christianisme.
David Hume, plus jeune, meurt en 1776. Plusieurs de ses œuvres sont publiées à titre posthume ; notamment une Histoire naturelle de la religion. Ses essais moraux et politiques sur l'entendement humain sont connus en Allemagne. Son influence joue dans le sens du scepticisme : il lutte contre l'imagination et accorde le premier rôle à la logique. A ce rationalisme religieux s'ajoute un certain théisme : il ne nie pas l'existence d'un Dieu créateur mais il reste hostile aux forces affectives et sentimentales. Le Romantisme réagira avec ses excès.
B/ LES MORALISTES
Le premier est sans doute Pope avec son Essai sur l'homme paru en 1733-1734. Il est de confession catholique, chose rare en Angleterre. C'est d'abord un poète qui ne dispose pas de la puissance intellectuelle ou de l'analyse philosophique d'un Shaftesbury ou d'autres mais il exerce une influence diffuse et, comme tous les adeptes de Leibniz, pense que "tout ce qui est est bien." Sa pensée est conforme à la conception première de Dieu.
Son opinion sur l'homme diffère de celle de Shaftesbury en ce sens qu'elle est plus moraliste : il construit une échelle des valeurs (cette échelle est un topos du siècle avec Leibniz, Lessing, Nicolaï et Wieland), une hiérarchie représentant plus ou moins de perfections. Il est très proche de Leibniz mais sans la rigueur intellectuelle de ce dernier.
Un accrochage a lieu en 1756. Maupertuis propose comme sujet de concours : "Est-ce que l'expression de Pope est identique au "meilleur des mondes" de Leibniz? Quelles raisons s'y opposent ?" Certains dénoncent dans ce sujet une erreur fondamentale : assimiler un poète à un philosophe.
Mais la traduction partielle de l'Essai sur l'homme (effectuée par Mmes Wieland et Price) connaît un succès phénoménal en Allemagne et on invite l'auteur à Hambourg, Francfort, Altona, Halle, Leipzig et Berne.
Le moralisme de Pope va dans un sens optimiste, ce qu'on lui reproche à certains égards. Il rejoint ainsi le courant suscité par Shaftesbury.
Chesterfield, Hutcheson, Ferguson sont également lus avec la plus grande attention. Le jeune Schiller lit Ferguson à l'âge de dix-neuf ans.
C/ LES ECRIVAINS
Shakespeare n'est pas un événement purement littéraire : on réfléchit sur ses idées, sa conception de l'homme (différente de celle de Racine par exemple). Il est pratiquement inconnu en France et en Allemagne au début du XVIIIe siècle. Mais Voltaire, exilé en Angleterre, lit beaucoup et assiste à des représentations de Shakespeare. C'est lui aussi qui, dans ses Lettres philosophiques de 1734 va attirer l'attention des Français et des Allemands sur cet auteur ignoré, l'intention secrète de Voltaire étant de dénigrer le gouvernement français et donc d'exalter l'Angleterre.
En 1741 paraît la première traduction en allemand de Jules César. Elle incite un Allemand à faire une comparaison entre Shakespeare et Andreas Gryphius (auteur baroque) ; il s'agit de Johann Elias Schlegel, le premier Allemand qui ait consacré une étude à Shakespeare, même limitée, étude qui entraîne des débats et de vives discussions. Puis Mme Gottsched qui traduit en allemand les grandes revues anglaises comme The Guardian ou The Spectator exprime certaines considérations sur Le Songe d'une nuit d'été. Les débuts restent modestes.
En 1750, Lessing, qui a lu Voltaire et Schlegel, attire à nouveau l'attention sur Shakespeare en écrivant en substance que si la poésie dramatique allemande voulait suivre son propre naturel, elle ressemblerait à celle de Shakespeare. Ses propos ont un retentissement considérable car ils reposent sur l'idée que l'Allemand, en tant que caractère, est beaucoup plus proche d'un Anglais que d'un Français.
N'oublions pas qu'au XVIIIe siècle, un homme de lettres n'est pas uniquement que cela : la littérature pure (ce que l'on nommera plus tard l'art pour l'art) est rare. Une œuvre littéraire est chargée d'un message. Certes, Shakespeare n'écrit pas de littérature engagée mais il se greffe sur une grave question littéraire : francophobie et anglomanie.
Le succès énorme de la culture française en Allemagne, notamment le théâtre, entraîne une réaction de rejet bien normale. On joue trop souvent les auteurs français, même ceux de second ordre. Cette réaction légitime s'associe à une prise de position qui va en profondeur ; en 1750, Lessing parle du caractère propre à un peuple.
En 1759, voici le deuxième jalon de ce plaidoyer en faveur de Shakespeare : Lessing, Mendelssohn et Nicolaï publient leurs Lettres sur la Littérature sous anonymat et avec le nom de l'imprimeur falsifié. C'est une plaisanterie car les auteurs ne risquent pas d'ennuis pour les problèmes littéraires. C'est dans ces Lettres que l'on trouve le fameux texte concernant l'apostrophe célèbre de Lessing à Gottsched plus précisément dans la Lettre du 16 février 1759 (dix-septième lettre), texte auquel il faut se référer si l'on veut comprendre la réaction contre le théâtre français et l'introduction de Shakespeare en Allemagne. Cependant, ce n'est point Lessing mais Voltaire qui fait découvrir Shakespeare aux Allemands. Lessing s'en prend au théâtre allemand de l'époque, accusant injustement Gottsched d'être le responsable de sa décadence ; certes, Gottsched aime la France mais vers 1750, aucun théâtre véritablement allemand n'existe et les auteurs se contentent de copier des personnages de servantes du théâtre de Molière, gardant même leurs noms. Mais Lessing, lui, aime l'Angleterre, ce qui peut expliquer sa mauvaise foi.
Il reproche au théâtre français son côté maniéré, voire sucré, songeant à Marivaux qui représente une France aimable, délicate et tendre qui lui paraît tomber en décadence. Dans leurs tragédies, les Allemands veulent voir et penser davantage que les tragédies françaises ne le permettent : le Français est superficiel, l'Allemand aime ce qui est mélancolique, grand, terrifiant, effroyable et démesuré, à l'image de Shakespeare qui n'est pas sans rappeler le théâtre grec. L'Allemagne est lasse de la trop grande simplicité du répertoire classique français et lui préfère une intrigue plus complexe. Cette simplicité, affichée par Racine dans ses Préfaces à Britannicus et Bérénice, est proche de l'idéal de Flaubert dans une lettre à Louise Collet où il écrit que les "grands bonshommes" affichent des ambitions modestes pour arriver à des chefs-d'œuvre.
L'élan est désormais donné.
Wieland s'attache à la traduction intégrale des œuvres de Shakespeare de 1762 à 1766 ; il traduit en huit volumes vingt-deux drames. Natif de Biberach dans le Wurtemberg, il monte aussi dans cette ville des adaptations de pièces de Shakespeare. La traduction de Wieland connaît un grand succès et est épuisée dès 1773. Il se tourne alors vers Eschenburg, un grand angliciste, qui l'aide à proposer une édition améliorée de douze volumes parus de 1775 à 1777, en pleine époque du Sturm und Drang. Un éditeur réédite sans permission à Strasbourg cette traduction aux améliorations indiscutables qui jouit également d'une grande réussite.
A la fin du siècle, en 1796, alors que désormais Goethe et Schiller appartiennent au mouvement dit "classique", Eschenburg fait paraître une nouvelle édition des œuvres de Shakespeare qui remportent toujours le même succès.
Après avoir lu Lessing, Herder s'enthousiasme et incite Goethe à lire à son tour Shakespeare. Le jeune Goethe en tire le goût de la complication théâtrale. Son Götz von Berlichingen est une gloire à la démesure et à la passion, ne respecte ni les unités de temps et de lieu ; aujourd'hui, les représentations sont données en pleine nature.
Le Premier Faust est rédigé dans une langue tumultueuse et archaïsante et Goethe opte pour la grandeur, le terrifiant, la complexité et la mélancolie, s'opposant ainsi à la délicatesse du théâtre français. Il est difficilement jouable.
Shakespeare fascine Goethe comme tous comme les autres Stürmer. Mais on note un certain décalage par rapport à Schiller qui a dix ans de moins et sacrifie au culte shakespearien au moment où Goethe s'oriente déjà vers son classicisme en écrivant Egmont et Iphigénie en Tauride, bien qu'il continue à s'intéresser au dramaturge anglais.
La démesure de Schiller se remarque dans Les Brigands, Cabale et Amour. L'équilibre du classicisme français (celui du XVIIe siècle) disparaît totalement : on veut émouvoir et secouer les spectateurs jusqu'à atteindre un pathos outrancier dont on prendra vite conscience : un assagissement relatif se fait jour.
Après Shakespeare, les écrivains anglais les plus représentatifs sont Swift, Young, Sterne et Macpherson.
Jonathan Swift (1667-1745) apporte en Allemagne un élément nouveau : l'ironie caustique qui sait être redoutable car elle joue sur le ridicule. En France, elle déteint sur Voltaire. En Allemagne, on retrouvera cette ironie chez Heine (beaucoup plus influencés par les auteurs anglais qu'allemands). Swift donne des Ecrits satiriques et sérieux traduits à plusieurs reprises en Allemagne (1751, 1756, 1758) ; le texte anglais est disponible dès le début du XVIIIe siècle, notamment le célèbre Conte du Tonneau.
Edward Young (1683-1765) relève déjà d'un certain romantisme avant la lettre ; son influence est plus profonde et plus vaste que celle de Swift. Pour l'Allemagne de la seconde moitié du siècle, il préfigure notre Musset. Ses Nuits (dont le titre exact est Complainte ou Pensées nocturnes sur la vie, la mort et l'immortalité) parues de 1742 à 1745 baignent dans une poésie mélancolique d'où la mort n'est pas absente. Cette œuvre est traduite par Ebert (c'est un professeur qui connaît bien la littérature anglaise et enseigne au Kollegium Karolinum de Brunswick), Klopstock (à Leipzig), Cramer et Zacharie (à Brême), et les deux Suisses Haller et Bodmer.
Qui dit succès et traduction dit imitation et la seconde moitié du siècle se heurte au problème de l'originalité ; à cet égard paraît en 1759 en Angleterre un ouvrage de type doctrinal Conjectures sur une composition originale, traduit, médité et commenté en Allemagne.
Lawrence Sterne (1713-1768) est lié à toutes sortes d'éléments hétéroclites et se trouve involontairement responsable du mot allemand "empfindsam" (sensible et / ou sentimental). Il écrit en effet Un voyage sentimental ; pour rendre la nuance du mot anglais ("sentimental"), il n'y a rien à cette époque, "empfindlich" ne satisfaisant pas.
Durant cette période, on voit ressurgir des mots appartenant au vocabulaire du Moyen Age et se forger en même temps des vocables entièrement nouveaux, formés sur des racines germaniques. Notons ici que le degré de civilisation d'une nation correspond à la richesse de son vocabulaire. Dans les élites cultivées, on utilise le latin pour les communications savantes et le français ; rappelons à cet égard la réplique de Frédéric II : "Je ne parle allemand qu'à mes chevaux." Ce Voyage sentimental est un genre nouveau, en tout cas, le type de relation l'est : il s'agit d'un récit de voyage certes mais avec d'autres considérations.
Cette œuvre influence Nicolaï, Wieland, Jean-Paul et, plus tard, Heine avec ses Images de voyage et Raabe.
Sterne a un succès immédiat, notamment auprès de Hamann, Herder et Goethe. N'oublions pas non plus son œuvre monumentale en neuf volumes : La Vie et les Opinions de Tristram Shandy.
James Macpherson (1736-1796) est l'auteur du plus beau canular de l'époque. Avec un don très prononcé de l'imitation littéraire, il rédige un poème "La Mort d'Oscar" dans le style de la vieille poésie écossaise. Il se prend à son propre jeu, le communique à Home (dramaturge écossais) en disant que c'est un poème qu'il vient de traduire de la langue gaélique du vieux poète écossais Ossian (que personne ne connaît du reste très bien). Home le croit, tout comme Blair, professeur à Edimbourg. Le poème est publié en 1760 sous l'anonymat comme des fragments de poésie ancienne traduits du gaélique. Ouvrons ici une parenthèse : Arnim et Brentano, avec Le Cor merveilleux du jeune garçon, font la même chose, mêlant à des chants populaires authentiques des morceaux écrits par eux-mêmes. En 1765 paraissent les Poèmes d'Ossian. Le succès de cette poésie à la sentimentalité larmoyante dépasse toutes ses prévisions (le personnage de Werther verse des larmes au seul énoncé du nom d'Ossian). Chateaubriand s'en inspirera : rêveries mélancoliques et cheveux au vent, la nuit et la chouette. Voilà l'auteur dans une situation bien délicate car il ne croit pas qu'il y ait jamais eu une poésie ossianique. Mais Home et Blair y croient, eux, et le poussent à publier tout ce qu'il trouve. Il parcourt ainsi les hauts plateaux de l'Ecosse et publie Fingal en 1762 puis Temora, des soi-disant poèmes épiques écrits par Ossian. Bien que David Hume flaire la supercherie, Macpherson s'enfonce plus encore dans le mensonge et meurt sans reconnaître sa tromperie ni ses collaborateurs.
Ce n'est qu'en 1805 qu'on peut faire une mise au point : très peu de vers peuvent finalement être attribués au fameux barde irlandais. Qu'importe : Ossian-Macpherson connaît le triomphe en Angleterre, en France, en Allemagne, en Italie. Cet engouement coïncide avec la poésie "primitive" du courant rousseauiste. Klopstock et le cercle de Göttingen, puis tous les Stürmer se passionnent pour cette poésie même lorsqu'ils flairent la supercherie.
Voilà bien un exemple éloquent de la force de ce courant de retour aux primitifs que Fichte abordera plus tard avec la notion de "peuple originel", soit "Urvolk", le préfixe laudatif concernant la philosophie, la civilisation et autres.
Toutes ces influences modèlent le goût littéraire allemand mais aussi les esprits.