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Goffette, « Maintenant c’est le noir »

Guy Goffette (né en 1947), Solo d’ombres (1983)

« Maintenant c’est le noir »

Maintenant c’est le noir
Les mots c’était hier
dans le front de la pluie
à la risée des écoliers qui
5 traversent l’automne et la
littérature
comme l’enfer et le paradis
des marelles

Tu prêchais la conversion pénible
10 des mesures agraires
à des souliers vernis
des sabreuses de douze ans
qui pincent le nez des rues
et giflent la pudeur
15 des campagnes étroites

Tu prêchais dans les flammes
du bouleau du tilleul
à des glaciers qui n’ont
pas vu la mer encore
20 et qui la veulent tout de suite
et qui la veulent maintenant

Maintenant c’est le noir tu
changes un livre de place
comme s’il allait dépendre
25 de ce geste risible en soi
que le chant1 te revienne
et détourne enfin
avec la poigne de la nuit
le cours forcé
30 de ta biographie


1 Hyperbole de la poésie → « maintenant c’est le noir » → impuissance créatrice, d’où l’hésitation entre poésie et prose.

Forme du texte

Il s’agit ici de vers libres. Certains vers sont des hexasyllabes. On constate l’absence de rimes. Quelques homophonies sont observables (assonances). Il n’y pas de ponctuation, mais les majuscules sont présentes.

Les parallélismes

  • Le parallélisme désigne tout système d’équivalences à l’intérieur d’une structure poétique. Dans la poésie moderne, il s’agit du retour des structures : vers 1 et 22, vers 9 et 16. Aux vers 1 et 2, on observe un chiasme (« maintenant » et « hier ») et un polyptote (« c’est » et « c’était »).
  • « Tu prêchais […] à des souliers vernis […] à des glaciers » : les destinataires de la parole ne la comprennent pas.
  • L’évocation du « noir » signale l’absence de mots ; il s’agit de la métaphore du vide, de la stérilité poétique.
  • On trouve une isotopie du langage avec « les mots  », « littérature », « livre » et « prêchais ».

La syllepse

  • « traversent l’automne et la littérature » (5-6) : « automne » est à rapprocher de « l’enfer » et la « littérature » du « paradis » (zeugma). → La littérature est une saison (l’automne).
  • « prêchais » fait référence à la parole du prêtre ; l’enseignement de la littérature est à rapprocher de la religion.
  • « flammes » / « glaciers » : l’isotopie religieuse se poursuit ; il y a superposition de réseaux sémantiques. Le poème, fondé sur des antithèses, reconstruit la présence du monde des écoliers.

Le système de l’énonciation

L’emploi de la deuxième personne fait-il référence à un « tu » lié au passé ? Il semblerait que le tu soit le substitut du je qui ne peut pas (plus) chanter.

« Texte d’André Breton Texte de Senghor »

Voir aussi :