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L’honnête homme au siècle classique

L’honnête homme au siècle classique

Il se définit à partir du terme clé de bienséance. Être bienséant au XVIIe siècle, c’est respecter les convenances sociales dans ses propos en fonction des circonstances. C’est se montrer policé dans une société où se côtoient les noblesses d’épée et de robe, c’est-à-dire l’aristocratie et les membres des Parlements, hauts personnages auxquels s’est jointe une bourgeoisie riche et éduquée en quête de reconnaissance.
Le terme d’« honnête homme » recouvre cependant deux domaines, celui du « monde » et celui de la morale. Molière a développé cette ambivalence dans Le Misanthrope, en opposant un Philinte épris de conciliation avec l’air du temps, et un Alceste qui campe dans sa morale intransigeante. Il faut admettre quand même que l’honnête homme est cousin du courtisan, tous deux sont l’expression d’une vie sociale raffinée promue par Baldassare Castiglione dans son Libro del Corteggiano (Le Livre du courtisan) de 1528, et codifiée par le Français Faret qui a repris les propos du diplomate italien en leur adjoignant quelques réflexions tirées des Essais de Montaigne dans L’Honnête Homme ou l’art de plaire à la Cour (1630).
« L’honnête homme » hérite des vertus courtoises : c’est un héros courageux, un amant fidèle, un bon chrétien. Il sait se maîtriser, s’adapter à la société mondaine qu’il fréquente.
Deux faits particuliers ont amplifié le phénomène en France :

  • À la suite des horreurs de la guerre civile, les hommes « bien nés » ont estimé qu’il était nécessaire de fonder un pacte de bonne conduite dans leurs relations sociales. Écrivains, salons littéraires, Cour ont alors prôné un type de comportement social et culturel qui a irrigué le siècle.
  • Louis XIV, enfant traumatisé par sa fuite lors de la Fronde, n’a eu de cesse que de mettre au pas son aristocratie turbulente en concentrant tous les pouvoirs à Versailles, à l’écart de la capitale. Il a contraint la noblesse à y séjourner si elle voulait obtenir des charges et maintenir ses privilèges, voire participer aux décisions politiques et économiques. De ce fait, rester sous le regard du roi et le flatter sont devenus une hantise peu compatible avec l’honnêteté morale.

Le courtisan prend l’habitude de dissimuler pour survivre socialement. Il cache la poursuite de ses intérêts derrière la politesse qui couvre à son tour des luttes sournoises pour retenir l’attention royale ou princière. Ce nouveau type a été peint par le chevalier de Méré dans Conversations (1668),  Discours (1677) et Lettres (1682). Ce courtisan brille par le « bel esprit », subtil alliance de légèreté et de virtuosité.
Comment concilier alors deux attitudes apparemment irréductibles : la sincérité et le compromis ?
Pour apprécier la théorie de l’honnêteté dans toute sa complexité, il faut se rappeler le précepte latin : Intus ut libet, foris ut moris est (A l’intérieur, fais comme il te plaît, à l’extérieur, agis selon la coutume). De nos jours où la sincérité (même dans l’erreur) est devenue une valeur normative indiscutable à l’heure de l’individualisme, l’affrontement potentiel entre la vie sociale et le for intérieur reste incompréhensible. Au XVIIe siècle, l’honnêteté constitue le socle d’une vie en société possible, sinon acceptable. Elle dénonce les emportements tout en affirmant que chacun reste libre de penser dans sa conscience.
Les conséquences de cette duplicité sont évidentes : la fuite intellectuelle, le conformisme apparent, voire l’hypocrisie sociale, tous maux dénoncés par les moralistes, et bien connus grâce aux comédies de Molière. Le monde devient un théâtre où l’on se dissimule derrière des masques et où l’on tente de briller par un art raffiné du langage, ce fameux « esprit » qui demande un goût irréprochable (on comprend la critique de la préciosité). « L’honnête homme » doit se montrer tolérant, ne pas choquer, ni même ennuyer. Il doit éviter l’érudition qui le ferait passer pour pédant. C’est un aimable touche-à-tout qui pratique l’esprit de « finesse » selon le terme pascalien. Sa foi chrétienne le rend sans illusion sur les faiblesses inhérentes à la nature pécheresse de la condition humaine. Dans cette entreprise, il faut de la mesure (un des sens du mot raison) et du naturel.
Cette conception du naturel a conduit les moralistes et les auteurs comiques à exercer une fonction morale de première importance, essayer de corriger les mœurs. Au nom du naturel, ils ont satirisé les passions, les vices, les manies et les impostures en les ridiculisant.

L’honnêteté a connu son accomplissement chez des personnes qui se sont senties différentes des mondains qu’elles côtoyaient. Chez elles, l’honnête homme n’a pas été le fruit de la naissance, mais bien le résultat d’une éducation qui a renforcé leurs propres mérites. L’honnête homme a préparé ainsi une génération qui allait pouvoir accueillir les Lumières.

Une fiche rédigée par Jean-Luc.
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