Humanisme et Renaissance (XVIe siècle)
L’humanisme est un mouvement culturel et artistique européen de la Renaissance qui se caractérise par la foi en l’homme, par l’intérêt pour toutes les formes de la connaissance et par la redécouverte de la littérature de l’Antiquité.
Les thèmes essentiels de l’humanisme
- Le retour à la culture antique et le goût des idées : on redécouvre les textes grecs et latins de l’Antiquité apportés en Italie au XVe siècle par des savants grecs1. La découverte récente de l’imprimerie2 par Gutenberg (vers 1440-1450) et son développement permet une large diffusion des textes antiques et des savoirs dans toute l’Europe.
- La foi en l’Homme : les humanistes ont confiance dans la nature humaine et veulent rendre l’humanité meilleure. Grâce à ses connaissances et à sa curiosité, l’humaniste cherche à acquérir la sagesse.
- Une nouvelle pédagogie fondée sur l’imitation et sur la diversification des enseignements : les humanistes remettent en cause le système scolastique. En 1530, François Ier crée le Collège des lecteurs royaux (l’actuel Collège de France) où sont enseignées de nouvelles disciplines.
- La réflexion politique : les humanistes, qui sont des pacifistes, cherchent à construire une société idéale (Érasme, l’Utopie de Thomas More, Rabelais et Montaigne).
- Les débats religieux et le renouveau spirituel, par le retour au texte biblique3 : « […] Les humanistes s’intéressent aux premiers écrits chrétiens. Au lieu de s’en tenir aux commentateurs, ils veulent un contact direct avec le texte de la Bible et des Évangiles. »4
Auteurs humanistes
- Agrippa d’Aubigné (1552-1630)
- Guillaume Budé (1467-1540)
- Étienne Dolet (1509-1546)
- Du Bellay (1522-1560)
- Érasme (1469-1536)
- Lefèvre d’Étaples (vers 1450-1536)
- Clément Marot (1496-1544)
- Montaigne (1533-1592)
- Rabelais (vers 1494-1553)
Quelques textes humanistes
Érasme, Éloge de la folie (1509)
Toujours affamés et malpropres dans leurs écoles ; que dis-je, des écoles ? ce sont plutôt des laboratoires, ou mieux encore des galères et des prisons ; au milieu d’une cohue d’enfants, ils meurent de fatigue, sont assourdis par le vacarme, asphyxiés par la puanteur et l’infection, et cependant, grâce à moi, ils se croient les premiers des hommes. Sont-ils contents d’eux-mêmes quand, d’une voix et d’un air menaçants, ils épouvantent leurs marmots tremblants, qu’ils déchirent ces malheureux à coups de férule, de verges1 et de fouet, et qu’ils se livrent à mille accès de fureur !…
Mais la haute opinion qu’ils ont de leur savoir les rend encore bien plus heureux. Quoiqu’ils farcissent la tête des enfants de pures extravagances, ils se croient infiniment supérieurs aux Palémon et aux Donat2. Ils ensorcellent je ne sais comment les mères sottes et les pères idiots, qui les acceptent pour ce qu’ils se donnent.
Je connais un homme versé dans toutes les sciences, sachant le grec, le latin, les mathématiques, la philosophie, la médecine, et tout cela à fond ; il est presque sexagénaire, et, depuis plus de vingt ans, il a tout laissé pour se casser la tête dans l’étude de la grammaire. Tout son bonheur serait de pouvoir vivre assez longtemps pour établir au juste la distinction des huit parties du discours, chose que jusqu’à présent, ni chez les Grecs, ni chez les Latins, personne n’a su faire parfaitement. Comme si c’était un cas de guerre que de prendre une conjonction pour un adverbe !
Appelez cela insanité ou folie, comme vous voudrez, cela m’est égal, pourvu que vous reconnaissiez que, grâce à mes bienfaits, l’animal le plus malheureux de tous goûte un tel bonheur qu’il ne voudrait pas échanger son sort contre celui des rois de Perse.1 Baguette servant à frapper.
2 Grammairiens latins.Érasme, Éloge de la folie, 54, traduction de P. Mesnard, éd. Vrin.Érasme, De l’éducation des enfants (1529)
Tu vas me demander de t’indiquer les connaissances qui correspondent à l’esprit des enfants et qu’il faut leur infuser dès leur prime jeunesse. En premier lieu, la pratique des langues. Les tout-petits y accèdent sans aucun effort, alors que chez les adultes elle ne peut s’acquérir qu’au prix d’un grand effort. Les jeunes enfants y sont poussés, nous l’avons dit, par le plaisir naturel de l’imitation, dont nous voyons quelques traces jusque chez les sansonnets et les perroquets. Et puis — rien de plus délicieux — les fables des poètes. Leurs séduisants attraits charment les oreilles enfantines, tandis que les adultes y trouvent le plus grand profit, pour la connaissance de la langue autant que pour la formation du jugement et de la richesse de l’expression. Quoi de plus plaisant à écouter pour un enfant que les apologues d’Ésope qui, par le rire et la fantaisie, n’en transmettent pas moins des préceptes philosophiques sérieux ? Le profit est le même avec les autres fables des poètes anciens. L’enfant apprend que les compagnons d’Ulysse ont été transformés par l’art de Circé en pourceaux et en d’autres animaux. Le récit le fait rire mais, en même temps, il a retenu un principe fondamental de philosophie morale, à savoir : ceux qui ne sont pas gouvernés par la droite raison et se laissent emporter au gré de leurs passions ne sont pas des hommes mais des bêtes. Un stoïcien s’exprimerait-il plus gravement ? Et pourtant le même enseignement est donné par une fable amusante. Je ne veux pas te retenir en multipliant les exemples, tant la chose est évidente. Mais quoi de plus gracieux qu’un poème bucolique ? Quoi de plus charmant qu’une comédie ? Fondée sur l’étude des caractères, elle fait impression sur les non-initiés et sur les enfants. Mais quelle somme de philosophie y trouve-t-on en se jouant ! Ajoute mille faits instructifs que l’on s’étonne de voir ignorés même aujourd’hui par ceux qui sont réputés les plus savants. On y rencontre enfin des sentences brèves et attrayantes du genre des proverbes et des mots de personnages illustres, la seule forme sous laquelle autrefois la philosophie se répandait dans le peuple.
Rabelais, Gargantua (1534), chapitre 57 – « L’abbaye de Thélème »
Toute leur vie était ordonnée non selon des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur bon vouloir et leur libre arbitre. Ils se levaient quand bon leur semblait, buvaient, mangeaient, travaillaient, et dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les réveillait, nul ne les contraignait à boire, à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Pour toute règle, il n’y avait que cette clause, Fais ce que tu voudras ; parce que les gens libres, bien nés et bien éduqués, vivant en bonne compagnie, ont par nature un instinct, un aiguillon qui les pousse toujours à la vertu et les éloigne du vice, qu’ils appelaient honneur. Ces gens-là, quand ils sont opprimés et asservis par une honteuse sujétion et par la contrainte, détournent cette noble inclination par laquelle ils tendaient librement à la vertu, vers le rejet et la violation du joug de servitude ; car nous entreprenons toujours ce qui nous est interdit et nous convoitons ce qui nous est refusé.
C’est cette liberté même qui les poussa à une louable émulation : faire tous ce qu’ils voyaient faire plaisir à un seul. Si l’un ou l’une d’entre eux disait : « Buvons », ils buvaient tous ; s’il disait : « Jouons », tous jouaient ; s’il disait : « Allons nous ébattre aux champs », tous y allaient. S’il s’agissait de chasser à courre ou au vol, les dames, montées sur de belles haquenées1 suivies du palefroi de guerre, portaient sur leur poing joliment gantelé un épervier, un laneret ou un émerillon2. Les hommes portaient les autres oiseaux.
Ils étaient si bien éduqués qu’il n’y avait parmi eux homme ni femme qui ne sût lire, écrire, chanter, jouer d’instruments de musique, parler cinq ou six langues et y composer, tant en vers qu’en prose.1 Cheval ou jument de taille moyenne.
2 Oiseaux de proie.Traduction en français moderne de M.-M. Fragonard, éd. Pocket.Montaigne, Essais (1580-1588-1592), I, 26 – « De l’institution des enfants »
Pour tout ceci, je ne veux pas qu’on emprisonne ce garçon. Je ne veux pas qu’on l’abandonne à l’humeur mélancolique d’un furieux maître d’école. Je ne veux pas corrompre son esprit à le tenir à la géhenne1 et au travail, à la mode des autres, quatorze ou quinze heures par jour, comme un portefaix. Ni ne trouverais bon, quand par quelque complexion2 solitaire et mélancolique on le verrait adonné d’une application trop indiscrète3 à l’étude des livres, qu’on la lui nourrît ; cela les rend ineptes à la conversation civile et les détourne de meilleures occupations. Et combien ai-je vu de mon temps d’hommes abêtis par téméraire avidité de science ? Carnéade s’en trouva si affolé qu’il n’eut plus de loisir de se faire le poil et les ongles. Ni ne veux gâter ses mœurs généreuses par l’incivilité et barbarie d’autrui. La sagesse française a été anciennement en proverbe, pour une sagesse qui prenait de bonne heure, et n’avait guère de tenue. À la vérité, nous voyons encore qu’il n’est rien si gentil que les petits enfants en France ; mais ordinairement ils trompent l’espérance qu’on en a conçue, et, hommes faits, on n’y voit aucune excellence. J’ai ouï tenir à gens d’entendement que ces collèges où on les envoie, de quoi ils ont foison, les abrutissent ainsi.
Au nôtre, un cabinet, un jardin, la table et le lit, la solitude, la compagnie, le matin et le vêpre4, toutes les heures lui seront unes, toutes places lui seront étude : car la philosophie, qui, comme formatrice des jugements et des mœurs, sera sa principale leçon, a ce privilège de se mêler partout. […]
Les jeux mêmes et les exercices seront une bonne partie de l’étude : la course, la lutte, la musique, la danse, la chasse, le maniement des chevaux et des armes. Je veux que la bienséance extérieure, et l’entregent5, et la disposition de la personne, se façonne quant et quant à l’âme6. Ce n’est pas une âme, ce n’est pas un corps qu’on dresse, c’est un homme ; il n’en faut pas faire à deux. Et, comme dit Platon, il ne faut pas les dresser l’un sans l’autre, mais les conduire également, comme un couple de chevaux attelés à même timon.1 Torture appliquée aux criminels.
2 Humeur, caractère.
3 Effrénée, excessive.
4 Le soir.
5 Adresse à se conduire en société.
6 Avec, en même temps que l’âme.
Citation
« L’humanisme est une éthique de confiance en la nature humaine. Orienté à la fois vers l’étude et la vie, il prescrit pour but et pour règle, à l’individu comme à la société, de tendre sans cesse vers une existence plus haute. »
A. Renaudet, Dictionnaire des lettres françaises – XVIe siècle, « Humanisme ».
Testez vos connaissances sur les mouvements littéraires !
Notes
1 Voir l’article « Chute de Constantinople » sur Wikipédia.
2 Voir l’article « La naissance de l’imprimerie ».
3 Voir l’article « Évangélisme de la Renaissance » sur Wikipédia.
4 X. Darcos, Histoire de la littérature française, Hachette, page 76.