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Victor Hugo, Les Voix intérieures

Victor Hugo (1802-1885)

Les Voix intérieures (1837), XXVII

« Après une lecture de Dante »

Victor Hugo Quand le poète peint l’enfer, il peint sa vie :
Sa vie, ombre qui fuit de spectres poursuivie ;
Forêt mystérieuse où ses pas effrayés
S’égarent à tâtons hors des chemins frayés ;
Noir voyage obstrué de rencontres difformes ;
Spirale aux bords douteux, aux profondeurs énormes,
Dont les cercles hideux vont toujours plus avant
Dans une ombre où se meut l’enfer vague et vivant !
Cette rampe se perd dans la brume indécise ;
Au bas de chaque marche une plainte est assise,
Et l’on y voit passer avec un faible bruit
Des grincements de dents blancs dans la sombre nuit.
Là sont les visions, les rêves, les chimères ;
Les yeux que la douleur change en sources amères,
L’amour, couple enlacé, triste, et toujours brûlant,
Qui dans un tourbillon passe une plaie au flanc ;
Dans un coin la vengeance et la faim, sœurs impies,
Sur un crâne rongé côte à côte accroupies ;
Puis la pâle misère, au sourire appauvri ;
L’ambition, l’orgueil, de soi-même nourri,
Et la luxure immonde, et l’avarice infâme,
Tous les manteaux de plomb dont peut se charger l’âme !
Plus loin, la lâcheté, la peur, la trahison
Offrant des clefs à vendre et goûtant du poison ;
Et puis, plus bas encore, et tout au fond du gouffre,
Le masque grimaçant de la Haine qui souffre !

Oui, c’est bien là la vie, ô poète inspiré,
Et son chemin brumeux d’obstacles encombré.
Mais, pour que rien n’y manque, en cette route étroite
Vous nous montrez toujours debout à votre droite
Le génie au front calme, aux yeux pleins de rayons,
Le Virgile serein qui dit : Continuons !

6 août 1836

Pour le commentaire…

Trois "voix" donnent leur titre au recueil poétique de 1837, Les Voix intérieures, et tissent « le chant qui répond en nous au chant que nous entendons hors de nous » : la voix de l’Histoire, des événements qui la font ou la défont ; celle de la Nature, où l’écrivain pressent d’obscurs messages ; celle enfin de l’Homme parlant au "cœur" de l’homme, du père ou du frère disparus, de la femme et des enfants si proches et si lointains à la fois.
Forme du poème : 32 vers, rimes plates.
Par le titre du poème, on se situe dans le "commentaire" du texte de Dante ; il s’agit d’une relecture libre. Il nous faut savoir en quoi la perspective de Hugo diffère de celle de Dante. En fait, Hugo crée ici sa propre vision de l’enfer. Le poème est signé du 6 août 1836 : Hugo va vers ses 35 ans, et c’est également l’âge que se donne Dante au début de La Divine comédie. Dante donne une importance au chiffre sept : c’est le chiffre des âges de la vie. Ainsi, toujours chez Dante, 70 ans est l’âge de la mort. Tout cela pour dire que 35 ans est l’âge où le poète est à la moitié de sa vie, c’est-à-dire le moment de faire un bilan. Et on sait que sur le plan de sa vie personnelle, le bilan de Hugo n’est pas très bon, et il y a donc quelque chose de confidentiel dans ce poème, avec une mise en valeur constante du poids pour l’âme que représentent les vices.

Œuvres principales de Victor Hugo
Poésie

1826 Odes et Ballades
1831 Les Feuilles d’automne
1835 Les Chants du crépuscule
1837 Les Voix intérieures
1840 Les Rayons et les Ombres
1853 Les Châtiments
1856 Les Contemplations
1859-1883 La Légende des siècles

Théâtre

1827 Cromwell
1830 Hernani
1832 Le Roi s’amuse
1833 Lucrèce Borgia
1838 Ruy Blas

Roman

1831 Notre-Dame de Paris
1862 Les Misérables
1866 Les Travailleurs de la mer
1869 L’Homme qui rit
1874 Quatrevingt-Treize

Voir aussi :