Malherbe (1555-1628), Consolation à M. Du Périer (1598)
Strophes 1 à 7
Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle,
Et les tristes discours
Que te met en l’esprit l’amitié paternelle
L’augmenteront toujours !
Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale, où ta raison perdue
Ne se retrouve pas ?
Je sais de quels appas son enfance était pleine,
Et n’ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.
Mais elle était du monde où les plus belles choses
Ont le pire destin,
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L’espace d’un matin.
Puis quand ainsi serait que selon ta prière,
Elle aurait obtenu
D’avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu’en fût-il advenu ?
Penses-tu que, plus vieille, en la maison céleste
Elle eût eu plus d’accueil ?
Ou qu’elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil ?
Non, non, mon Du Périer, aussitôt que la Parque
Ôte l’âme du corps,
L’âge s’évanouit au deçà de la barque,
Et ne suit point les morts.
Pour le commentaire…
Une consolation tantôt réconfortante tantôt choquante liée à l’évocation imagée ou réaliste de la mort
- Les nombreux euphémismes atténuent l’évocation de la mort.
- Aux vers 5, 21, 23, 24, etc., le poète évoque de manière réaliste la mort.
- Le poète a écrit cette consolation pour consoler et faire réagir un ami qui a perdu sa fille.
- La mort est évoquée au moyen d’euphémismes, de métaphores, afin de ménager le destinataire de la consolation : comparaison fille / rose (métaphore strophe 4 → l’évocation de la mort est adoucie par « elle a vécu », « le pire destin », « terminé sa carrière » (= sa vie), « maison céleste », « Parque » (= déesse de la mort), « barque » (= barque de Charon, qui transporte les morts sur la rive des Enfers) → références mythologiques.
- La mort est aussi présentée sous ses traits les plus frappants (c’est typiquement baroque) : champ lexical de la mort, absence de sentimentalisme, les strophes 2, 5 et 6 sont marquées par des interrogations qui examinent froidement la situation afin de redonner du courage à Du Périer.
- Alliance très étroite entre la vie et la mort, l’évocation du concret de l’abstrait, notamment au moyen de la métaphore de la rose.
L’homme face à la mort
- Il y a différentes réactions de l’homme face à la mort : Du Périer souffre (cf. champ lexical), il a perdu la raison (strophes 2, 5 et 6), il veut retourner en arrière afin de changer le destin → c’est un père effondré par la mort de sa fille.
- Devant la mort, l’homme se sent perdu, comme dans un labyrinthe (strophe 2 : « dédale », « ta raison perdue », « ne se retrouve pas »). L’errance est renforcée par la syntaxe (strophe 2) : rejet du verbe à la fin du vers → l’esprit humain divague devant la douleur de la mort. On remarque le champ lexical de la douleur et l’évocation de la nostalgie (strophes 5 et 6 : conditionnel et subjonctif → développement de l’irréel).
Le lyrisme
- Genre du texte : il s’agit d’une consolation adressée à un ami qui témoigne de la délicatesse du poète, d’un signe d’amitié sincère, sous une apparente froideur.
- Le tutoiement et « mon Du Perier » et « injurieux ami » prouvent la réelle amitié qui lie les deux hommes. Dans la dernière expression mentionnée, le poète reconnaît sa sévérité, sa dureté.
- Le discours tenu par le poète : refus des illusions (vers 25 : « non, non ») → sous une dureté apparente, se cache une volonté de faire réagir un ami, un appel à la raison. « Commun trépas » relève d’un certain stoïcisme : il faut accepter sa condition de mortel et ne pas se montrer trop sensible pour éviter de souffrir.
- La comparaison de la jeune fille avec la rose est empruntée à Pétrarque (cf. Ronsard). La métaphore de la strophe 4 fait référence à l’éphémérité.
- Musicalité du texte : du point de vue des sonorités, la strophe 4 reflète l’ensemble de la construction du poème : chiasme, antithèses, épanadiplose, alternance du pluriel et du singulier. Il y a aussi une alternance entre alexandrins et hexasyllabes. Les rimes masculines et féminines participent d’un équilibre harmonieux entre la douceur et la force → il s’agit du rythme du distique élégiaque latin (cf. l’élégie latine).