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Musset, Lorenzaccio, acte I, scène 4

Musset (1810-1857), Lorenzaccio (1834)

Acte I, scène 4

Alfred de Musset Alexandre, duc de Florence, est le compagnon de débauche de son cousin Lorenzo.
Au début de la scène 4 de l’acte I, le duc reçoit la visite du cardinal Valori, du cardinal Cibo et de Sire Maurice qui sont venus le mettre en garde contre Lorenzo. Valori et sire Maurice portent des accusations contre Lorenzo (qui a décapité les statues de l’Arc de Constantin « un jour d’ivresse »). Lorenzo provoque sire Maurice, lequel lui propose alors un duel. Lorenzo le refuse, et s’évanouit en voyant l’épée qu’on lui présente…

Lire le début de la scène.


Sire Maurice. Votre esprit est une épée acérée, mais flexible. C’est une arme trop vile ; chacun fait usage des siennes. (Il tire son épée.)
Valori. Devant le duc, l’épée nue !
Le Duc, riant. Laissez faire, laissez faire. Allons, Renzo, je veux te servir de témoin ; qu’on lui donne une épée !
Lorenzo. Monseigneur, que dites-vous là ?
Le Duc. Eh bien ! ta gaieté s’évanouit si vite ? Tu trembles, cousin ? Fi donc ! tu fais honte au nom des Médicis. Je ne suis qu’un bâtard, et je le porterais mieux que toi, qui es légitime ? Une épée, une épée ! un Médicis ne se laisse point provoquer ainsi. Pages, montez ici ; toute la cour le verra, et je voudrais que Florence entière y fût.
Lorenzo. Son Altesse se rit de moi.
Le Duc. J’ai ri tout à l’heure, mais maintenant je rougis de honte. Une épée ! (Il prend l’épée d’un page et la présente à Lorenzo.)
Valori. Monseigneur, c’est pousser trop loin les choses. Une épée tirée en présence de Votre Altesse est un crime punissable dans l’intérieur du palais.
Le Duc. Qui parle ici, quand je parle ?
Valori. Votre Altesse ne peut avoir eu autre dessein que celui de s’égayer un instant, et sire Maurice lui-même n’a point agi dans une autre pensée.
Le Duc. Et vous ne voyez pas que je plaisante encore ? Qui diable pense ici à une affaire sérieuse ? Regardez Renzo, je vous en prie ; ses genoux tremblent, il serait devenu pâle, s’il pouvait le devenir. Quelle contenance, juste Dieu ! je crois qu’il va tomber. (Lorenzo chancelle ; il s’appuie sur la balustrade et glisse à terre tout d’un coup.)
Le Duc, riant aux éclats. Quand je vous le disais ! personne ne le sait mieux que moi ; la seule vue d’une épée le fait trouver mal. Allons, chère Lorenzetta1, fais-toi emporter chez ta mère. (Les pages relèvent Lorenzo.)
Sire Maurice. Double poltron ! fils de catin !
Le Duc. Silence ! sire Maurice ; pesez vos paroles ; c’est moi qui vous le dis maintenant. Pas de ces mots-là devant moi.
Valori. Pauvre jeune homme ! (Sire Maurice et Valori sortent.)
Le Cardinal, resté seul avec le duc. Vous croyez à cela, monseigneur ?
Le Duc. Je voudrais bien savoir comment je n’y croirais pas.
Le Cardinal. Hum ! c’est bien fort.
Le Duc. C’est justement pour cela que j’y crois. Vous figurez-vous qu’un Médicis se déshonore publiquement, par partie de plaisir ? D’ailleurs ce n’est pas la première fois que cela lui arrive ; jamais il n’a pu voir une épée.
Le Cardinal. C’est bien fort. C’est bien fort ! (Ils sortent.)

1 Lorenzetta : diminutif féminin de Lorenzo.

Éléments pour le commentaire de la scène

Alexandre : une attitude ambiguë à l’égard de Lorenzo

Un comportement ambigu : alors que Lorenzo est son protégé, Alexandre lui fournit une épée pour se battre contre sire Maurice.

Alexandre défend Lorenzo face aux accusations de sire Maurice :

  • « Il n’a jamais offensé de pape » ;
  • « […] à propos de ce pauvre Renzo » et « […] des désordres de ce pauvre Renzo » (diminutif familier) ;
  • « J’aime Lorenzo, moi, et, par la mort de Dieu ! il restera ici. » ;
  • « Tout ce que je sais de ces damnés bannis, de tous ces républicains entêtés qui complotent autour de moi, c’est par Lorenzo que je le sais. » ;
  • « Silence, sire Maurice ; pesez vos paroles, c’est moi qui vous le dis maintenant ; pas de ces mots-là devant moi. » (en réponse aux injures proférées par sire Maurice contre Lorenzo).

Mais il humilie également son cousin :

  • « Renzo, un homme à craindre ! le plus fieffé poltron ! une femmelette, l’ombre d’un ruffian énervé ! un rêveur qui marche nuit et jour sans épée, de peur d’en apercevoir l’ombre à son côté ! » ;
  • « Regardez-moi ce petit corps maigre, ce lendemain d’orgie ambulant. Regardez-moi ces yeux plombés, ces mains fluettes et maladives, à peine assez fermes pour soutenir un éventail, ce visage morne, qui sourit quelquefois, mais qui n’a pas la force de rire. » ;
  • « Eh bien ! ta gaieté s’évanouit si vite ? Tu trembles, cousin ? Fi donc ! tu fais honte au nom des Médicis. » ;
  • « Regardez Renzo, je vous en prie : ses genoux tremblent ; il serait devenu pâle, s’il pouvait le devenir. » ;
  • « Allons, chère Lorenzetta, fais-toi emporter chez ta mère. »

Personnages

  • Valori (envoyé par le pape Paul III), sire Maurice et Cibo sont des ennemis de Lorenzo.
  • Valori réclame la bienséance : un duel dans le palais ducal est un « crime punissable ».
  • Le cardinal Cibo, quant à lui, est spectateur : il reste silencieux.
  • Lorenzo incarne la débauche, le libertinage. Il est athée et iconoclaste. En face de lui, donc, des représentants du pouvoir religieux. Est-il un pleutre ? Joue-t-il la comédie dans cette scène ? Feint-il la défaillance lorsqu’on lui présente l’épée ? Sa faiblesse est-elle un masque ? Son but est-il d’endormir la méfiance de l’entourage d’Alexandre ? Seul le cardinal doute : « C’est bien fort. C’est bien fort ! »
Voir aussi :