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Discours sur l’origine de l’inégalité

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778)

Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (1755)

Jean-Jacques Rousseau Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique ; en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons, et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature, et continuèrent à jouir entre eux des douceurs d’un commerce indépendant : mais dès l’instant qu’un homme eut besoin du secours d’un autre ; dès qu’on s’aperçut qu’il était utile à un seul d’avoir des provisions pour deux, l’égalité disparut, la propriété s’introduisit, le travail devint nécessaire, et les vastes forêts se changèrent en des campagnes riantes qu’il fallut arroser de la sueur des hommes, et dans lesquelles on vit bientôt l’esclavage et la misère germer et croître avec les moissons.

   La métallurgie et l’agriculture furent les deux arts dont l’invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c’est l’or et l’argent, mais pour le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes, et perdu le genre humain ; aussi l’un et l’autre étaient-ils inconnus aux sauvages de l’Amérique qui pour cela sont toujours demeurés tels ; les autres peuples semblent même être restés barbares tant qu’ils ont pratiqué l’un de ces arts sans l’autre ; et l’une des meilleures raisons peut-être pourquoi l’Europe a été, sinon plus tôt, du moins plus constamment, et mieux policée que les autres parties du monde, c’est qu’elle est à la fois la plus abondante en fer et la plus fertile en blé.

Rousseau, Discours sur l’origine de l’inégalité, seconde partie.

Éléments pour commenter le texte

Cette étude a été rédigée par Oregann.

Présentation

  • Auteur : Jean-Jacques Rousseau, philosophe et écrivain français.
  • De nombreuses publications, fort esprit des Lumières.
  • Thème : en 1753, un problème est posé par l’Académie de Dijon : « quelle est l’origine de l’inégalité des conditions parmi les hommes ; et si elle est autorisée par la loi naturelle ». Rousseau décide, pour y répondre, de reconstituer l’histoire humaine.
  • Voir les caractéristiques de l’essai.

Étude

  • Les caractéristiques de l’essai
    • Les affirmations sont sans preuves, nous sommes totalement dans l’opinion → emploi de l’indicatif : « ils vécurent libres », « la métallurgie et l’agriculture furent… », « l’égalité disparut… ».
    • Modalisateurs d’opinion : « semblent », dimension appréciative du discours (jugement subjectif).
    • Opposition préhistoire (positif : lexique laudatif, mélioratif) // civilisation (négatif : lexique péjoratif).
  • La construction du texte
    • Le premier paragraphe est une très longue phrase :
      • Description de la situation au début de l’Humanité (accumulation / anaphore / résumé → « en un mot » : le tout est très positif).
      • Connecteur d’opposition « mais » : apparition d’un événement dangereux + conséquences : négatif.
    • Le second paragraphe est constitué de plusieurs phrases :
      • D’abord une hypothèse explicative.
      • Puis une justification logique (comparaison du développement de divers peuples).
  • La thèse :

Elle est représentée par les grandes idées de Rousseau : le mythe du bon sauvage et la perversion de la société : « tant que les hommes se contentèrent […] ils vécurent libres […] [dès que la civilisation apparut,] l’égalité disparut ».

  • Les paradoxes
    • Rousseau a une vision positive d’un passé « rustique » et « grossier ».
    • Il parle de « douceurs », mais il est également question d’« arcs » et de « flèches ».
    • Il parle de « campagnes riantes », mais la vision est en réalité négative puisqu’il parle de « sueur des hommes ».
    • Enfin, les hommes ont été « civilisé[s] » mais ont « perdu le genre humain ».
  • Modalités verbales
    • Passé simple : récit sommaire de l’évolution de l’humanité.
      • Situation initiale : les sauvages vivaient bien.
      • Élément perturbateur : la civilisation.
      • Situation finale : l’homme est perverti.
    • Passé composé : passé moins lointain, qui a des conséquences dans le présent.
    • Présent de vérité générale : les idées du poète et du philosophe au sujet de l’évolution.

Pour conclure

Rousseau dénonce la civilisation et persiste dans son célébrissime « mythe du bon sauvage ».

Voir aussi :