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Versification : les groupements de vers et les formes fixes

Notions de versification française

Deuxième partie : les groupements de vers et les formes fixes

Une fiche de Jean-Luc.

La versification

La prosodie

Les groupements de vers

Si un poème est organisé horizontalement par une structure interne : mètre, césure, coupes, récurrences phoniques, il se déroule aussi selon un rythme vertical qui constitue une structuration externe : rimes, strophes…

La disposition des vers, les vers irréguliers ou le changement de mètre

La succession des vers peut être réalisée à mètre égal (on parlera alors de vers isométriques). Lorsque le poète utilise plus d’un mètre dans une pièce, on parle de vers irréguliers (ou de vers hétérométriques), mais dans ces mètres, les règles de la rime et de l’alternance du genre des rimes sont respectées. L’inégalité métrique peut se reproduire régulièrement (on parlera de strophe symétrique, par exemple : 12-12-6-12-12-6) ou irrégulièrement (on parlera de strophe asymétrique, par exemple : 12-12-12-12-12-6).

La Fontaine, friand du procédé, en a expliqué son choix dans la préface de ses premiers Contes : « L’auteur a voulu éprouver lequel caractère est le plus propre pour rimer des contes. Il a cru que les vers irréguliers ayant un air qui tient beaucoup de la prose, cette manière pourrait sembler la plus naturelle, et par conséquent la meilleure ». Molière a utilisé de tels vers dans son Amphitryon. Même Racine, avec Athalie, a mélangé les mètres parce que le dramaturge a utilisé un chœur nécessitant un accompagnement musical.

Lorsque le poète mélange des mètres pairs et impairs il ne doit pas utiliser des mètres qui présentent une seule syllabe de différence entre eux. En effet, l’un des deux paraîtrait faux.

Ce changement de mètre produit plusieurs effets :

  • variété :
    « Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
    Le Héron au long bec emmanché d’un long cou.
          II côtoyait une rivière,
    L’onde était transparente ainsi qu’aux plus beaux jours. »
    Jean de la Fontaine, Fables, VII. 4.
    Ici, l’emploi d’un octosyllabe entre deux alexandrins permet de mettre en valeur un élément du décor.
  • rupture :
    « Je peux me consumer de tout l’enfer du monde
    Jamais je ne perdrai cet émerveillement
          Du langage. »
    Louis Aragon, Les Poètes
    Les alexandrins chutent sur un vers de trois syllabes créant ainsi une rupture rythmique mettant en valeur le mot important pour le poète : la force et la beauté du langage.
  • amplification :
    « Si belles soyez-vous
    avec vos yeux de lacs et de lacs et de flammes
    avec vos yeux de pièges à loup
    avec vos yeux couleur de nuit de jour d’aube et de marjolaine. »
    Robert Desnos, Bagatelles
    Le recours à des mètres qui s’allongent (ici il s’agit plutôt de vers libres, voir plus bas) permet une accumulation des images pour célébrer la beauté du regard féminin.
  • balancement :
    « À te voir marcher en cadence
          Belle d’abandon
    On dirait un serpent qui danse
          Au bout d’un bâton. »
    Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « Le serpent qui danse »
    L’alternance régulière d’octosyllabes et de pentasyllabes souligne le déhanchement séducteur de la mulâtresse.

Les différents groupements de vers

La strophe est un groupement de 2 à 12 vers. Dans la page, la strophe est repérable par les blancs qui l’isolent. Ce groupe se répète habituellement dans le poème. La plupart du temps, une strophe constitue une unité de sens autonome.

Une strophe de 2 vers s’appelle un distique. Elle est construite sur une seule rime (AA) : elle est souvent isométrique, et assez rarement employée seule.

Une strophe de 3 vers s’appelle un tercet. Le tercet construit sur une seule rime (AAA) entre surtout dans la composition de certains poèmes à forme fixe.

Une strophe de 4 vers s’appelle un quatrain. Le quatrain construit sur deux rimes (ABAB ou ABBA) est beaucoup employé, il est rarement utilisé seul.

Une strophe de 5 vers, un quintil. Le quintil ou cinquain est construit sur deux rimes. (ABAAB ou AABAB ou ABBBA).

Une strophe de 6 vers, un sizain. Le sizain ou sixain est construit de préférence sur deux rimes (ABBABA), mais peut l’être également sur trois rimes (AABCCB).

Une strophe de 7 vers, un septain. Le septain est construit généralement sur trois rimes (ABABCCB ou ABBACAC ou AABCBCB ou ABBACCA).

Une strophe de 8 vers, un huitain. Le huitain est construit sur trois rimes (AAABCCCB). Une forme très classique présente huit décasyllabes selon le schéma ABABBCBC.

Une strophe de 9 vers, un neuvain. Le neuvain est construit sur trois ou quatre rimes selon le schéma à 3 rimes : ABABCBCBC ou ABABBBCBC, et AABCCBDDB pour 4 rimes.

Une strophe de 10 vers, un dizain. Le dizain est construit sur deux, quatre ou cinq rimes selon le schéma AAABBBAABB pour 2 rimes, ABABCBCDCD pour 4 rimes, ABBACCEDED pour 5 rimes. Deux formes très classiques nous offrent :

  • une strophe de dix vers de dix syllabes (schéma : ABABBCCDCD) ;
  • une strophe de dix vers de huit syllabes (schéma : ABABCCDEED).

Une strophe de 11 vers, un onzain. Le onzain est construit sur quatre rimes selon le schéma ABAABCCBDDB ou AABCCCBEEEB.

Une strophe de 12 vers, un douzain. Le douzain est construit sur quatre rimes selon le schéma AAABCCCBDDDB.

La répétition de ces strophes constitue une pièce en poésie.

Dans ce cas, cette répétition peut être symétrique (par exemple 12-12-6-12-12-6) ou asymétrique (par exemple 12-12-12-12-12-6).

Le genre de la rime qui commence une strophe doit être l’inverse de celui qui termine le dernier vers de la strophe précédente.

Dans une pièce de poésie, les strophes sont :

  • régulières : lorsqu’elles sont toutes semblables,
  • mixtes : lorsqu’elles alternent sous deux formes différentes,
  • irrégulières : lorsqu’elles n’ont point de ressemblance entre elles.

Les stances sont des strophes lyriques ou religieuses, organisées en groupements de 4, 5, 6 ou 8 vers « qui forment un sens complet, et qui sont assujettis, pour le genre de vers et pour la rime, à un certain ordre qui se répète dans toute la pièce. » Littré.

Le refrain1

Lorsqu’une même strophe revient régulièrement dans un poème, on parle alors de refrain comme dans une chanson. Cette répétition rythme la pièce et la structure d’autant plus que le refrain porte souvent l’essentiel du sens à accorder au poème.

Dans « La Rose et le Réséda » qui appartient à La Diane française, Louis Aragon utilise un refrain célèbre :
« Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas »

Grâce à cette reprise lancinante, le poète transforme son récit en chanson. Mais surtout il donne à son poème une force particulière pour appeler solennellement à l’unité en cette période difficile de l’Histoire de la France.

Les poèmes à forme fixe

Le rondel

Très gracieux, le rondel, appelé aussi rondeau ancien, est construit tout entier sur deux rimes (A et B), la première pouvant être indifféremment masculine ou féminine.

C’est un poème de treize vers le plus souvent octosyllabiques disposés en deux quatrains et un quintil. Les deux premiers vers du premier quatrain constituent un refrain et forment la seconde moitié du deuxième quatrain. Le premier vers forme aussi le treizième, soit le dernier du quintil selon le schéma : A1BBA – ABA1B – ABBAA1.

Les rimes sont embrassées dans le premier quatrain, croisées dans le deuxième quatrain, et de nouveau embrassées dans les quatre premiers vers du quintil.

Variante peu usitée : le quintil peut être remplacé par un sizain dont les deux derniers vers sont formés par le refrain complet : le rondel, dans ce cas, offre 14 vers selon le schéma : A1B1BA – ABA1B1 – ABBAA1B1.

Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye,
Et s’est vestu de brouderie,
De soleil luyant, cler et beau.

Il n’y a beste, ne oyseau,
Qu’en son jargon ne chant ou crie :
Le temps a laissié son manteau
De vent, de froidure et de pluye.

Riviere, fontaine et ruisseau
Portent, en livrée jolie,
Gouttes d’argent et d’orfaverie,
Chascun s’abille de nouveau.
Le temps a laissié son manteau.


Charles d’Orléans, « Le Printemps »

Le rondeau

Le rondeau est le fils du rondel. Il tient de son père le petit refrain en ritournelle, la disposition des rimes et des vers Le rondeau, ou rondeau nouveau, compte 13 octosyllabes ou décasyllabes, construits sur deux rimes (A et B). Il est composé de 2 strophes, mais la disposition graphique en présente trois.

La première strophe est un huitain, écrit sous la forme d’un quintil suivi d’un tercet : AABBA – AAB. La deuxième strophe, troisième dans la disposition graphique, est un quintil : AABBA.

De plus, les premiers mots du premier vers sont répétés sous forme de refrain en dehors des rimes, une fois à la fin du tercet et une fois à la fin du dernier quintil selon le schéma : AABBA – AAB refrain – AABBA refrain.

Ma foi, c’est fait de moi, car Isabeau
M’a commandé de lui faire un rondeau.
Cela me met en une peine extrême.
Quoi ! treize vers, huit en eau, cinq en ême !
Je lui ferais aussi tôt un bateau.

En voilà cinq pourtant en un monceau.
Formons-en huit en invoquant Brodeau ;
Et puis mettons, par quelque stratagème,
Ma foi, c’est fait.

Si je pouvais encor de mon cerveau
Tirer cinq vers, l’ouvrage serait beau.
Mais cependant me voilà dans l’onzième ;
Et si je crois que je fais le douzième ;
En voilà treize ajustés au niveau.
Ma foi, c’est fait.


Voiture, « Rondeau »

Le rondeau redoublé

Très peu usité, il n’est écrit que sur deux rimes, comme le rondeau ordinaire.

Il est composé de six quatrains d’octosyllabes à rimes croisées. Les vers du premier quatrain forment successivement le dernier vers des quatrains suivants. Les premiers mots du premier vers sont répétés, en refrain, tout à fait à la fin, en dehors des rimes ce qui donne le schéma suivant : A1B1A2B2 – BABA1 – ABAB1 – BABA2 – ABAB2 – BABA – Refrain.

Si l’on en trouve, on n’en trouvera guère
De ces rondeaux qu’on nomme redoublés,
Beaux et tournés d’une fine manière,
Si qu’à bon droit la plupart sont sifflés.

A six quatrains les vers en sont réglés
Sur double rime et d’espèce contraire.
Rimes où soient douze mots accouplés,
Si l’on en trouve, on n’en trouvera guère.

Doit au surplus fermer son quaternaire
Chacun des vers au premier assemblés,
Pour varier toujours l’intercadaire
De ces rondeaux qu’on nomme redoublés.

Puis par un tour, tour des plus endiablés,
Vont à pieds joints, sautant la pièce entière,
Les premiers mots qu’au bout vous enfilez,
Beaux et tournés d’une fine manière.

Dame Paresse, à parler sans mystère,
Tient nos rimeurs de sa cape affublés :
Tout ce qui gène est sûr de leur déplaire,
Si qu’à bon droit la plupart sont sifflés.

Ceux qui de gloire étaient jadis comblés,
Par beau labeur en gagnaient le salaire :
Ces forts esprits aujourd’hui cherchez-les ;
Signe de croix on aura lieu de faire,
Si l’on en trouve.


Auteur anonyme

Le lai

Le lai est une des plus anciennes formes de la poésie française. Il n’est presque plus pratiqué de nos jours.

Ce poème narratif était à l’origine écrit en octosyllabes. Puis il est devenu lyrique. Au XIVe siècle, Guillaume de Machaut précise ses règles : division en deux parties de huit vers, chaque huitain se divisant lui-même en deux parties qui forment un quart de la strophe. Chaque quart de strophe, à rimes embrassées, est hétérométrique, c’est-à-dire constitué de vers de longueur différente (sept et quatre syllabes le plus souvent).

Les vers les plus courts, n’étant pas écrits en retrait mais à partir du début de la ligne, il a été surnommé « arbre fourchu ».

Le nombre de couplets est indéterminé. Le nombre de vers par couplet n’est pas fixé.

Longuement me sui tenus
De faire lais,
Car d’amours estoie nus ;
Mais dès or mais
Feray chans et virelais :
G’i sui tenus,
Qu’en amours me sui rendus
A tous jours mais.

S’un petit ay esté mus,
Je n’en puis mais,
Car pris sui et retenus
Et au cuer trais
Tout en un leu de ij trais
D’un yex fendus,
Varis, dous, poingnans, ses et agus,
Rians et gais.


Guillaume de Machaut, Début du « Lay de Bonne Esperance »

Le virelai

Dans sa forme la plus simple, le virelai se compose d’un distique suivi d’un refrain à reprendre en chœur, le tout sur deux rimes. Le terme vient du mot virer (tourner) et évoque la répétition des formules ou les figures de la danse. Il existe aussi des formes plus complexes qui mélangent plusieurs mètres. Il peut aussi commencer comme un rondeau, par une strophe et une formule refrain qui est reprise à distance régulière (tous les huit vers, toutes les deux ou trois strophes).

Quant je sui mis au retour de veoir ma Dame,
Il n’est peinne ne dolour que j’aie, par m’ame.
Dieus ! c’est drois que je l’aim, sans blame de loial amour

Sa biauté, sa grant doucour d’amoureuse flame,
Par souvenir, nuit et jour m’espient et enflame
Dieus ! c’est drois que je l’aim, sans blame de loial amour

Et quant sa haute valour mon fin cuer entame,
Servir la weil sans fotour penser ne diffame.
Dieus ! c’est drois que je l’aim, sans blame de loial amour.


Guillaume de Machaut

La ballade

La ballade est un poème de trois strophes suivies d’un envoi. Le dernier vers de la première strophe revient à la fin des deux autres strophes et de l’envoi, ce vers joue donc le rôle d’un refrain. Les strophes sont soit des dizains, soit des huitains. L’envoi est égal à une demi-strophe. Il débute toujours par une invocation : Prince, Sire, etc.

Si la ballade utilise des dizains, elle comptera 35 vers décasyllabiques (10+10+10+5) à césure classique (4-6). Si elle emploie des huitains, on dénombrera 28 vers octosyllabiques (8+8+8+4). La ballade en dizains est construite sur quatre rimes, celle en huitains sur trois rimes.

Le retour des rimes et leur alternance sont d’une rigueur complexe.

Frères humains qui apres nous vivez
N’ayez les cuers contre nous endurciz,
Car, se pitié de nous pauvres avez,
Dieu en aura plus tost de vous merciz.
Vous nous voyez cy attachez cinq, six
Quant de la chair, que trop avons nourrie,
Elle est pieça devoree et pourrie,
Et nous les os, devenons cendre et pouldre.
De nostre mal personne ne s’en rie :
Mais priez Dieu que tous nous veuille absouldre !

Se frères vous clamons, pas n’en devez
Avoir desdain, quoy que fusmes occiz
Par justice. Toutesfois, vous savez
Que tous hommes n’ont pas le sens rassiz ;
Excusez nous, puis que sommes transis,
Envers le filz de la Vierge Marie,
Que sa grâce ne soit pour nous tarie,
Nous préservant de l’infernale fouldre.
Nous sommes mors, ame ne nous harie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre !

La pluye nous a débuez et lavez,
Et le soleil desséchez et noirciz :
Pies, corbeaulx nous ont les yeulx cavez
Et arraché la barbe et les sourciz.
Jamais nul temps nous ne sommes assis ;
Puis ça, puis la, comme le vent varie,
A son plaisir sans cesser nous charie,
Plus becquetez d’oiseaulx que dez à couldre.
Ne soyez donc de nostre confrarie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre !

Prince Jhesus, qui sur tous a maistrie,
Garde qu’Enfer n’ait de nous seigneurie :
A luy n’avons que faire ne que souldre.
Hommes, icy n’a point de mocquerie ;
Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre.


François Villon, « Ballade des pendus »

La villanelle

La villanelle est une forme poétique pastorale d’origine italienne chargée d’évoquer la douceur. Elle est bâtie au moyen de tercets en nombre impair et d’un quatrain final.
Le mètre est l’heptasyllabe. La villanelle est écrite sur deux rimes avec des rimes féminines dominantes pour apporter la fluidité propre à cette forme. La rime masculine se trouve au deuxième vers de chaque tercet et du quatrain final.
Le premier et le troisième vers du premier tercet sont repris chacun à tour de rôle à la fin de chaque autre tercet puis ensemble à la fin du quatrain final. Le quatrain final se compose d’un vers féminin et d’un vers masculin, suivis des premier et troisième vers du premier tercet.
Le schéma d’ensemble de la villanelle est donc le suivant : A1 B A2 – A B A1 – A B A2 – A B A1 A2.

J’ay perdu ma tourterelle ;
Est-ce point elle que j’oy ?
Je veux aller après elle.

Tu regrettes ta femelle ;
Hélas ! aussy fay-je, moy,
J’ay perdu ma tourterelle.

Si ton amour est fidèle,
Aussy est ferme ma foy :
Je veux aller après elle.

Mort que tant de fois j’appelle,
Prends ce qui se donne à toy !
J’ay perdu ma tourterelle,
Je veux aller après elle.


Passerat, La Tourterelle envolée

Le triolet

Le triolet est composé de trois strophes. Ce nombre peut parfois être réduit ou augmenté.
Chaque strophe compte huit octosyllabes. Le triolet est construit sur deux rimes distribuées en A1 B1 A A1 A B A1 B1.
Le quatrième vers répète le premier, et les deux derniers répètent les deux premiers.

Le sonnet

Des poèmes à forme fixe, le sonnet, d’origine italienne, est le plus connu.

Il compte quatorze mètres (le plus souvent des alexandrins, mais aussi parfois des décasyllabes et plus rarement des octosyllabes) répartis en deux quatrains, construits sur deux rimes embrassées (ABBA) ou parfois croisées (ABAB), et un sixain formant deux tercets, construit sur trois rimes.

Le sonnet a été sans doute la forme la plus employée en raison de ses étonnantes ressources de symétrie et de contraste. Le contenu des deux quatrains s’oppose à celui des deux tercets (sizain) dans le contraste de la parité (2 fois 4 mètres) avec l’imparité (2 fois 3 mètres). Ce contraste formel relaie les jeux sur le sens. Jakobson a relevé trois grandes structures significatives dénommées par analogie aux types de rimes :

  • « disposition plate » où quatrains et tercets s’opposent ;
  • « disposition croisée » où les strophes impaires s’opposent aux strophes paires ;
  • « disposition embrassée » où le 1er quatrain et le 2e tercet s’opposent au 2e quatrain et au 1er tercet.

Notons enfin que le dernier vers du sonnet doit proposer une pointe ou une chute qui rassemble la visée du poème, ou souligne un détail formant contraste, ou crée un effet inattendu.

Le sonnet français est représenté par deux schémas fondamentaux. C’est la forme du sizain qui détermine celle du sonnet. Les deux structures traditionnelles sont donc :

  • le sonnet marotique ou forme ancienne : ABBA – ABBA – CCD – EED,
  • le sonnet à forme française ou forme nouvelle : ABBA – ABBA – CCD – EDE. Cette dernière forme est la plus usitée.

Dans la forme classique et traditionnelle, il est prescrit de n’employer qu’une seule fois chaque mot à l’exception des mots outils.

Le genre (masculin ou féminin) de la rime du dernier vers est opposé au genre de la rime du premier vers. Tout sonnet construit selon un autre schéma, une autre disposition des rimes, ou avec des vers autres que des alexandrins, est dit irrégulier2.

Les poèmes à formes fixes étrangères

La terza rima

Ce poème également d’origine italienne, est composé de tercets dont le nombre n’est pas déterminé. Le premier vers de chaque tercet rime avec le deuxième vers du tercet précèdent.

Il se termine par un seul vers qui rime avec le deuxième vers du dernier tercet.

Ce poème utilise des alexandrins.

Les rimes de la terza-rima sont distribuées en ABA – BCB – CDC – DEC – YZY – Z.

Voir un exemple de terza rima dans la disposition des rimes à la rubrique rimes tiercées.

Le pantoum

Le pantoum ou pantoun, d’origine malaise, peu usité, est proche des poèmes fantaisistes.

Il se compose de six quatrains à rimes croisées.

Le deuxième et le quatrième vers de chacun d’eux deviennent le premier et le troisième vers du quatrain suivant. De plus, le premier vers du premier quatrain forme le dernier vers du dernier quatrain.

Il peut se lire de haut en bas et de bas en haut.

L’originalité du pantoum réside dans le sens : il développe dans chaque strophe, tout au long du poème, deux idées différentes, l’une contenue dans les 2 premiers vers de chaque strophe, l’autre contenue dans les 2 derniers vers de chaque strophe.

Il utilise plutôt des alexandrins ou des décasyllabes. Le même mètre est conservé dans tout le poème. Les rimes sont distribuées en A1B1AB2 – B1C1B2C2 – C1D1C2D2 – D1E1D2E2 – E1F1E2F2 – F1A1F2A1

Un exemple : le dernier des cinq Pantouns malais de Leconte de Lisle :

Ô mornes yeux ! Lèvre pâlie !
J’ai dans l’âme un chagrin amer.
Le vent bombe la voile emplie,
L’écume argente au loin la mer.

J’ai dans l’âme un chagrin amer :
Voici sa belle tête morte !
L’écume argente au loin la mer,
Le praho rapide m’emporte.

Voici sa belle tête morte !
Je l’ai coupée avec mon kriss.
Le praho rapide m’emporte
En bondissant comme l’axis.

Je l’ai coupée avec mon kriss ;
Elle saigne au mât qui la berce.
En bondissant comme l’axis
Le praho plonge ou se renverse.

Elle saigne au mât qui la berce ;
Son dernier râle me poursuit.
Le praho plonge ou se renverse,
La mer blême asperge la nuit.

Son dernier râle me poursuit.
Est-ce bien toi que j’ai tuée ?
La mer blême asperge la nuit,
L’éclair fend la noire nuée.

Est-ce bien toi que j’ai tuée ?
C’était le destin, je t’aimais !
L’éclair fend la noire nuée,
L’abîme s’ouvre pour jamais.

C’était le destin, je t’aimais !
Que je meure afin que j’oublie !
L’abîme s’ouvre pour jamais.
Ô mornes yeux ! Lèvre pâlie !

On pourrait citer « Harmonie du soir » de Baudelaire, mais ce poème est un pantoum irrégulier car son dernier vers diffère du premier.

Le haï-kaï

Ce poème, d’origine japonaise, très court, doit être extrêmement concis.

Il ne contient que 17 syllabes au total, réparties en 3 vers de 5 – 7 et 5 syllabes.

Pas de règles en ce qui concerne les rimes.

Le tanka

Autre poème d’origine japonaise, il contient 31 syllabes réparties en 5 vers de 5-7-5-7 et 7 syllabes.

Pas de règles en ce qui concerne les rimes.

Le ghazel

Le ghazel est un court poème lyrique de la poésie turque et persane. Ce poème est un dizain d’alexandrins construit sur trois rimes et divisé en trois strophes de 2 – 4 et 4 vers.

En principe, les deux premiers vers sont à rimes masculines.

Les rimes sont distribuées en AA – BBBA – CCCA.

Les formes fantaisistes

Certaines formes fantaisistes sont employées plutôt pour le divertissement. Elles expriment souvent une virtuosité gratuite. Parmi elles figurent les acrostiches, les contrerimes et les pantorimes.

Majuscule et acrostiche

Le vers, formant un tout, commence toujours par une majuscule.

Cette règle est indispensable à la beauté de la mise en page du poème. La majuscule contribue aussi à la lisibilité du vers et distingue l’énoncé poétique de la prose.

Dans certaines compositions, et tout particulièrement dans les acrostiches, elle acquiert encore une autre valeur expressive. Cette forme poétique est composée de telle façon que la lecture, dans le sens vertical, de la première lettre de chaque vers donne un mot, souvent le sujet de ce poème. Apollinaire en a dédié à Lou3. Arvers en a dissimulé un dans son fameux sonnet.

Contrerime

La contrerime est un poème assez court de trois à cinq quatrains bâtis sur une alternance d’octosyllabe et d’hexasyllabe. Elle a été employée par Leconte de Lisle et surtout Paul-Jean Toulet. Cette alternance des mètres se combine avec des rimes embrassées (ABBA). Cette forme dégage un effet de claudication caractéristique. La rigueur de sa construction et sa forme ramassée auraient dû la rattacher à la poésie classique. Mais ce déhanchement et cette brièveté peu favorables au lyrisme n’ont pas trouvé de nombreux illustrateurs si bien que la contrerime est restée un genre en marge.

Pâle matin de Février
      Couleur de tourterelle
Viens, apaise notre querelle,
      Je suis las de crier ;

Las d’avoir fait saigner pour elle
      Plus d’un noir encrier…
Pâle matin de Février
      Couleur de tourterelle.


Paul-Jean Toulet, Contrerimes

Pantorimes ou homorimes, …

Les pantorimes sont des vers qui riment intégralement. On parle aussi de vers holorimes (ou olorimes). Voir plus bas les rimes « milliardaires ». Alphonse Allais en a produit de superbes. En voici un exemple de Maurice Siegward :

MUSE
Demoiselle "conte"
De moi zèle conte.
Amoureusement
Amoureuse ment :
Sans doute ma muse
Message vint ! Cœur.
Mais, sage vainqueur,
L’amante fidèle
L’amant te fit d’elle.

Le vers libre ou libéré

Traditionnellement on attribue l’invention du vers libre ou vers libéré à deux poètes du XIXe siècle, Aloysius Bertrand, dans son Gaspard de la nuit (1842), puis Rimbaud, avec les Illuminations. Ils ont voulu s’affranchir des règles de la métrique traditionnelle pour trouver une forme nouvelle convenant mieux à leur projet poétique. En fait il faudrait remonter à Blaise de Vigenère (1523-1596), secrétaire de Henri III, et à son « Psaultier de David torné en prose mesurée ou vers libres », en 1588 pour trouver une première attestation explicite d’un tel vers. C’est pourtant le XIXe siècle qui s’est montré soucieux de libérer le vers de ses règles jugées trop contraignantes. Les poètes se sont alors trouvés à l’étroit dans une métrique ou des formes qui ne leur permettaient pas d’inventer de nouvelles voies d’expressivité. On oublie les contributions de Charles Baudelaire4 comme son « Épilogue » inachevé aux Fleurs du Mal pour acclimater le vers libre dans une production assez classique et lui donner ainsi un début de succès auprès du grand public, ce que n’avait pas réussi Aloysius Bertrand.

Émile Verhaeren explique le besoin de cette mutation : « Le rythme est le mouvement même de la pensée […] la poétique nouvelle supprime les formes fixes, confère à l’idée-image le droit de se créer sa forme en se développant, comme le fleuve crée son lit. »

Un vers libre est un vers qui n’obéit à aucune structure régulière : ni mètre, ni rimes, ni strophes. Cependant, le vers libre conserve certaines caractéristiques du vers traditionnel :

  • la présence d’alinéas d’une longueur inférieure à la phrase ;
  • la présence de majuscules en début de ligne, mais pas toujours ;
  • des blancs encadrant largement et irrégulièrement le poème ;
  • des groupes de vers de différentes longueurs séparés par un saut de ligne ;
  • des longueurs métriques variables mais repérables ;
  • des enjambements ;
  • des échos sonores ;
  • des anaphores…

Dans cet aperçu sur le vers libre, il faudrait mentionner spécialement le verset.

Cette forme poétique issue de la Bible est une incantation, une célébration. Elle recourt à un langage mystique, mélodieux s’appuyant sur les reprises anaphoriques, les exclamations…. pour produire le chant sacré de l’invocation. Le verset se distingue de la prose poétique par des structures strophiques et surtout le retour à la ligne, usage qui caractérise essentiellement la poésie, par le rythme particulier déclamatoire qu’il confère au texte. Paul Claudel et Saint-John Perse s’y sont illustrés.

Ah, je suis ivre ! ah, je suis livré au dieu ! j’entends une voix en moi et la mesure qui s’accélère, le mouvement de la joie,
L’ébranlement de la cohorte Olympique, la marche divinement tempérée !
Que m’importent tous les hommes à présent ! Ce n’est pas pour eux que je suis fait, mais pour le
Transport de cette mesure sacrée !
Ô le cri de la trompette bouchée ! ô le coup sourd sur la tonne orgiaque !
Que m’importe aucun d’eux ? Ce rythme seul ! Qu’ils me suivent ou non ? Que m’importe qu’ils m’entendent ou pas ?
Voici le dépliement de la grande Aile poétique !
Que me parlez-vous de la musique ? laissez-moi seulement mettre mes sandales d’or !
Je n’ai pas besoin de tout cet attirail qu’il lui faut. Je ne demande pas que vous bouchiez les yeux.
Les mots que j’emploie,
Ce sont les mots de tous les jours, et ce ne sont point les mêmes !
Vous ne trouverez point de rimes dans mes vers ni aucun sortilège. Ce sont vos phrases mêmes. Pas aucune de vos phrases que je ne sache reprendre !
Ces fleurs sont vos fleurs et vous dites que vous ne les reconnaissez pas.
Et ces pieds sont vos pieds, mais voici que je marche sur la mer et que je foule les eaux de la mer en triomphe !


Paul Claudel, Cinq grandes odes, « Quatrième ode »


Notes

1 Une forme particulière du refrain est les rimes en kyrielle lorsqu’un même vers est répété périodiquement :
« Tout à l’entour de nos remparts
Les ennemis sont en furie :
Sauvez nos tonneaux, je vous prie !
Prenez plus tost de nous, soudards,
Tout ce dont vous aurez envie :
Sauvez nos tonneaux, je vous prie. »
Basselin 
2 Au titre de ces sonnets irréguliers, on peut citer :

  • Des rimes croisées dans les quatrains comme chez Nerval dans les Chimères (« El Desdichado », « Artémis »…) ou chez Baudelaire dans les Fleurs du Mal (« La Muse malade », « L’ennemi »…).
  • Le sonnet « renversé », « inversé » ou « à rebours » qui place les tercets avant les quatrains comme « Le crapaud » des Amours jaunes de Corbière,
  • Le sonnet « polaire » qui intercale les tercets entre les quatrains comme dans « L’avertisseur » des Fleurs du Mal de Baudelaire. 

3 Adieu
L’amour est libre il n’est jamais soumis au sort
O Lou le mien est plus fort encore que la mort
Un cœur le mien te suit dans ton voyage au Nord

Lettres Envoie aussi des lettres ma chérie
On aime en recevoir dans notre artillerie
Une par jour au moins une au moins je t’en prie

Lentement la nuit noire est tombée à présent
On va rentrer après avoir acquis du zan
Une deux trois À toi ma vie À toi mon sang 
4 On assimile plus facilement Baudelaire à la prose poétique du Spleen de Paris (ou Petits poèmes en prose), tentative pourtant assez différente du vers libre. 

Voir aussi :

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