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  • L'influence mutuelle des trois romantismes nationaux

Est-ce que les 3 différents romantismes nationaux (Allemagne, Angleterre, France) se sont influencés l'un l'autre ?

Cet article (Gorodeisky, 2016) semble dire que le romantisme allemand a influencé les romantismes anglais et français (quoique ? je ne sais pas bien comment interpréter "German romanticism has a pride of place among the different national romanticisms") :

While the German, British and French romantics are all considered, the central protagonists in the following are the German romantics. Two reasons explain this focus: first, because it has paved the way for the other romanticisms, German romanticism has a pride of place among the different national romanticisms (cf. Lovejoy 1960 and Berlin 1999). Second, the aesthetic outlook that was developed in Germany roughly between 1796 and 1801–02—the period that corresponds to the heyday of what is known as “Early Romanticism” [Frühromantik][1]—offers the most philosophical expression of romanticism since it is grounded primarily in the epistemological, metaphysical, ethical, and political concerns that the German romantics discerned in the aftermath of Kant’s philosophy.[2] The entry elaborates on these concerns and explains how they shed light on the romantic understanding of beauty and art as fundamental in human life.

Mais cet autre article (Trawick 2017) semble dire qu'il n'y avait pas d'influence mutuelle tangible entre les 3 romantismes nationaux :

ALTHOUGH German and English literature between about 1790 and 1830 show remarkable parallels and similarities, literary historians have found little evidence of actual contact between writers of the two countries at the time. Rene Wellek, while maintaining his thesis that there is "a common core of Romantic thought and art throughout Europe," stated that "neither Blake nor Shelley nor Keats nor Lamb nor Hazlitt nor De Quincey had any German contacts," and "Blake, Wordsworth, Byron, Shelley and Keats knew nothing of German Romantic writing in our narrow sense." In Natural Supernaturalism M. H. Abrams points out striking parallels between the English Romantics and their German contemporaries, but does not trace influences one way or the other. Eudo C. Mason reaches similar conclusions in Deutsche und englische Romantik; the best he can come up with as a link between the two literatures is Henry Crabb Robinson, who indeed knew a remarkable number of writers in both languages, but who cannot be shown to have had much effect on their writings. Part of the explanation lies in parallel evolution from the same influences. There is no doubt that Shakespeare, Milton, Jacob Boehme, Shaftesbury, Edward Young, and Rousseau, for example, powerfully shaped the taste and thinking of young writers in both Germany and England toward the end of the eighteenth century. And, while significant dialogues between major writers of the two literatures were rare, there was a steady exchange of visitors on the fringes of the world of letters, and sufficient communication through translations and reports to provide mutual stimulation where similar inclinations already existed. Even though we can never unravel every thread of the intricate skein of influence in a literary movement, once we acknowledge its complexity, we can begin to see how the main strands run.
William Blake is a case in point. Usually considered the most intellectually isolated of the major Romantics, and ignorant of the German language, nevertheless he fits, as Eudo Mason has said, "into the German literature of his time as if he had been specially designed for it." This affinity has long been recognized: one of the earliest critical notices of Blake, in the London University Magazine in 1830, con1pares him with Novalis.2 Helene Richter outlined many resemblances between Hamann and Blake, while precluding any personal contact.

Cet article-ci (Gabriella 2001) parle d'une grande influence allemande sur les romantiques français :

En conclusion on ne peut qu’insister sur l’importance de l’influence allemande sur les écrivains français, jusque dans le domaine des théories du génie.

Références :

Gabriella, K. (2001). Théories du génie romantique français.

Gorodeisky, K. (2016). 19th century romantic aesthetics. Stanford Encyclopedia of Philosophy.

Trawick, L. M. (1977). William Blake's German Connection. Colby Quarterly, 13(4), 3.

    @Fleuve

    Influence du romantisme allemand sur la littérature française, quelques pistes

    Je laisse le soin à @[supprimé] qui connaît mieux que moi le sujet de le compléter, voire de le corriger. Tu pourras noter que le romantisme germanique a dépassé les strictes limites du romantisme français.

    L'un des principaux aspects de l'influence du romantisme allemand en France a été sa remise en question des normes et des valeurs établies. Les romantiques allemands ont rejeté les idées rationalistes des Lumières et ont cherché à explorer les émotions, l'imagination et l'individualité. Ces idées ont été accueillies avec enthousiasme en France, où elles ont contribué à remettre en question les conventions artistiques et littéraires traditionnelles.

    Les œuvres des écrivains romantiques allemands, tels que Johann Wolfgang von Goethe et Friedrich Schiller, ont été traduites en français et ont suscité un grand intérêt parmi les écrivains de notre pays. Les thèmes romantiques, comme l'amour passionné, la nature, la mélancolie et le surnaturel, ont été adoptés par les écrivains de chez nous, notamment Victor Hugo, Alfred de Musset et Théophile Gautier.

    L’onirisme du romantisme allemand a également eu une grande influence en France. Le mouvement romantique allemand a mis l'accent sur l'expression des émotions, l'imagination et la recherche de l'absolu. En France, Nerval, Hugo s’en sont inspirés.

    Les écrivains français, tels que Victor Hugo, Alfred de Musset et Charles Baudelaire, ont été profondément influencés par le romantisme allemand. Ils ont adopté l'esthétique romantique, qui se caractérise par une fascination pour le surnaturel, le mystère et le fantastique. Les thèmes du rêve, de l'inconscient et de l'irrationnel ont été explorés dans leurs œuvres.

    Le fantastique chez E.T.A. Hoffmann a eu une grande influence en France, notamment dans les domaines de la littérature, voir Nodier, Gautier, Balzac… Ses contes tels que "Le Marchand de sable" et "Le Roi des Aulnes", histoires, empreintes de mystère, de surnaturel et de folie, ont inspiré de nombreux écrivains français, tels que Charles Baudelaire et Guy de Maupassant. Baudelaire a d'ailleurs traduit et adapté plusieurs contes de Hoffmann, contribuant ainsi à sa popularité en France.

    Deux œuvres emblématiques :
    Werther et Faust de Goethe ont eu une influence significative en France.

    Werther a été publié en 1774 et a eu un profond impact sur la littérature française et la culture. Les thèmes de l'amour non partagé, la passion et la souffrance de l'âme sensible ont résonné en France. Voir Oberman Il a inspiré une vague d'imitations et de parodies, et a même conduit à un phénomène connu sous le nom de "Werther Fever", où de jeunes hommes s'habillaient comme le héros du roman. Certains ont même mis fin à leurs jours. L'influence du roman peut être observée dans les œuvres d'auteurs français tels que Stendhal, Victor Hugo et Gustave Flaubert.

    Faust, a été publié en deux parties en 1808 et 1832. La pièce explore les thèmes de la connaissance, de l'ambition et de la condition humaine. En France, Faust a eu un impact profond sur la littérature, le théâtre et la philosophie. Les écrivains et intellectuels français, dont Charles Baudelaire, Arthur Rimbaud et Paul Valéry, ont été influencés par l'œuvre de Goethe, jusqu'à "Faust au village" de Giono.

    • [supprimé]

    Je ne saurais mieux dire.

    Werther a eu un énorme succès en Allemagne, au point que l'ouvrage entraîna une vague de suicides. Les jeunes hommes s'habillaient comme Werther avec un frac bleu et de hautes bottes.

    Goethe avouait avoir été influencé par la lecture de La Nouvelle Héloïse (Rousseau).

    Comme je l'ai dit ailleurs, le romantisme allemand a commencé plus tôt qu'en France.

      Fleuve

      Concernant l'influence du romantisme anglais en France, quelques pistes :

      L'une des principales influences du romantisme anglais en France a été la poésie. Les poètes romantiques anglais tels que William Wordsworth, Samuel Taylor Coleridge et Lord Byron ont introduit de nouvelles formes d'expression poétique, comme la poésie lyrique et la nature en tant que source d'inspiration. Ces idées ont été adoptées par des poètes français comme Victor Hugo, Alfred de Musset et Théophile Gautier.

      Le roman gothique

      L'une des œuvres les plus célèbres du genre gothique anglais est "Le Château d'Otrante" de Horace Walpole, publiée en 1764. Ce roman a été traduit en français et a suscité un vif intérêt en France. Les écrivains français ont été inspirés par les éléments gothiques anglais, tels que les châteaux en ruine, les fantômes, les secrets familiaux et les atmosphères oppressantes. Ils ont intégré ces éléments dans leurs propres œuvres, créant ainsi un style unique de roman gothique français.

      Le vampirisme et le satanisme

      Parmi les écrivains français influencés par le roman gothique anglais, on peut citer François Guillaume Ducray-Duminil, Charles Nodier et Théophile Gautier. Leurs œuvres, telles que Le Vampire (1820) de Ducray-Duminil et La Ménagerie de Monsieur Quinquet (1827) de Nodier, ont contribué à populariser le genre gothique en France. Voir Balzac avec son Melmoth réconcilié, Dumas et sa Pauline, La Morte amoureuse de Gautier...

      L'influence du roman gothique anglais en France s'est également étendue au théâtre. Voir le mélodrame. Les décors et les costumes gothiques ont été utilisés dans les productions théâtrales françaises, voir Hugo.

      Une place particulière au Frankenstein de Maria Shelley, initiateur des romans transgressifs. Voir le cas particulier de L'Eve future de Villiers de l'Isle-Adam.

        Jean-Luc Je ne sais pas bien comment réagir parce que je ne m’attendais pas à avoir une (deux) réponses aussi exhaustives. Ça va me prendre beaucoup de temps pour bien classer ça dans mes notes etc., d’autant qu’il y ait fait référence à plusieurs choses avec lesquelles je ne suis pas du tout familier (le gothisme par exemple). Merci beaucoup.

        Du coup c’est seulement les romantiques anglais qui n’avaient pas de contacts avec le romantisme allemand ? Les français avaient des contacts réciproques avec les Allemands et les Anglais ? C’est pas étonnant comme situation ?

        [supprimé] Et apparemment le romantisme a pris plus de temps à s’installer en France, de par la longue et profonde influence qu’y avait le classicisme

          • [supprimé]

          Fleuve

          On peut dire cela.

          Fleuve, je suis très intéressée par ta démarche d'apprentissage de la littérature. Laisse un peu tomber Wikipédia, trouve-toi un bon bouquin d'histoire littéraire et fais des fiches.

          Un autre conseil : n'étudie pas à la fois la littérature française, anglaise et allemande même si la littérature comparée est passionnante. Mais il faut bien comprendre chacune d'entre elles séparément avant d'y voir des convergences, différences et autres influences.

          Jean-Luc te donne d'excellents points de départ. Courage ! 😉

          Jean-Luc

          Jean-Luc Ne pas oublier la parenthèse révolutionaire et ses turbulences.

          D'accord.

          Pardon, je reproduis ma question qui a été ensevelie : du coup c’est seulement les romantiques anglais qui n’avaient pas de contacts avec le romantisme allemand ? Les Français avaient des contacts réciproques avec les Allemands et les Anglais ? C’est pas étonnant comme situation ?

            Fleuve

            Je ne suis pas spécialiste de ces romantismes.
            Mais on peut affirmer qu'ils ont échangé.

            Les contacts entre les romantismes anglais et allemand ont été importants.

            Un exemple notable est la traduction des œuvres de Shakespeare en allemand par August Wilhelm Schlegel, qui a contribué à populariser le dramaturge anglais en Allemagne auprès de Johann Wolfgang von Goethe et Friedrich Schiller.

            Des écrivains anglais comme Lord Byron et Percy Bysshe Shelley ont été admirés et étudiés par les romantiques allemands, ils les ont influencés par leur style lyrique et leur exploration des thèmes de la nature, de l'amour et de la liberté.

            Les échanges entre les romantiques anglais et allemands ont également été facilités par des correspondances et des rencontres personnelles. Par exemple, le poète anglais Samuel Taylor Coleridge a rencontré les frères Schlegel lors de son voyage en Allemagne.

              Jean-Luc Mais alors pourquoi l’article que j’ai cité (Trawick 1977) affirme qu’il n’y avait pas de contact entre les Anglais et les Allemands ? C’est bizarre.

                • [supprimé]

                • Modifié

                Fleuve

                J'ai parcouru l'article que tu cites (avec mes connaissances en anglais un peu oubliées). Il me semble bien qu'à un moment, Trawick évoque les contacts entre Anglais et Allemands :

                ... there was a steady exchange of visitors on the fringes of the world of letters, and sufficient communication through translations and reports to provide mutual stimulation where similar inclinations already existed.

                N'oublions pas l'Europe des Lumières, la République des Lettres et le fameux "Grand Tour" entrepris par de nombreux Anglais aisés : visite de la France, de l'Italie, de l'Allemagne aussi.

                Bref, une élite assez restreinte était au courant des diverses productions étrangères.

                Pour revenir un peu en arrière,, c'est Voltaire qui fit connaître Shakespeare en France (Lettres Anglaises)

                Est-il fait référence aux auteurs romantiques directement, ou à des sources culturelles diverses communes... Autrement, cette phrase me semble contredire le paragraphe qui la précède

                  • [supprimé]

                  Fleuve
                  Je ne comprends pas ce que tu veux dire.
                  Je te fais un copier-coller d'un de mes premiers cours de de fac sur l'influence des idées Angleterre / Allemagne. C'est un peu long. Mais on a besoin de savoir ce qui précède.


                  PREMIERE ANNEE DE LICENCE D'ALLEMAND
                  HISTOIRE DES IDEES de 1715 à 1815

                  "L'influence anglaise en Allemagne"

                  Elle s'exerce dans différents domaines : la religion, la littérature et la morale. La Franc-maçonnerie fera l'objet d'un autre développement.

                  Les influences anglaises, déjà confirmées dans la première moitié du XVIIIe siècle, ne cessent de s'accroître.

                  A/ LE RATIONALISME RELIGIEUX

                  Locke, mort en 1704 exerce un pouvoir considérable notamment par ses Lettres sur la Tolérance. Son Essai sur l'entendement humain fait l'objet de traductions dans la deuxième moitié du siècle. Il prêche la tolérance et défend le christianisme en tant que religion satisfaisant aux règles de la raison mais la foi est pour lui un assentiment qu'on donne à toute proposition qui n'est pas fondée sur des déductions de la raison mais sur le crédit de celui qui les propose. Il ne veut pas être suspecté d'indulgence à l'égard des "exaltés".

                  John Leland se fait connaître dans la seconde moitié du siècle, vers 1754-1755. Il publie un ouvrage en deux volumes consacré aux principaux auteurs déistes. Paru à Londres, il est immédiatement traduit en Allemagne. C'est un ouvrage typique du XVIIIe siècle, répondant à la méthode de l'époque : on expose les idées de ceux qu'on désapprouve, on les réfute ensuite. En 1764, il en est à sa quatrième édition en Angleterre. L'auteur évoque surtout Chesbury, Hobbes, Shaftesbury, Tindal, Bolingbroke et Hume.

                  Lesquels va-t-on retenir en Allemagne ?

                  D'abord Shaftesbury (1671-1713). Le penseur le plus louangeur à son égard est Wieland (un des meilleurs connaisseurs de l'Angleterre) qui est séduit, pas immédiatement d'ailleurs, par la notion de "virtuose." Shaftesbury réagit très fortement contre tout ce qui relève de l'enthousiasme dont il dira plus tard que c'est "une véritable maladie." D'autre part, il s'élève contre les exigences dogmatiques en parfait représentant du déisme. Il propose de revenir à la pensée antique : pour lui, l'homme de l'Antiquité est un homme harmonieux, ayant confiance dans la nature et se laissant porter par elle. Harmonie extérieure et intérieure qui suscite en lui le sentiment du Beau (ou un sentiment esthétique). Bien sûr, son interprétation de l'Antiquité est fausse, il suffit de relire la légende des Atrides ou d'Oreste pour s'en convaincre. Il faudra attendre Nietzsche qu sera le premier à souligner cette erreur dans La Naissance de la tragédie en opposant Dionysos à Apollon. Toujours est-il que Shaftesbury est adopté grâce à cet idéal de l'humanité. On peut se demander dans quelle mesure l'Iphigénie de Goethe s'explique par cette idée d'humanité idéale. Le Beau et le Bien sont indissociables ; le sentiment esthétique est mis au service de la religion. Ainsi naît l'homme sans conflits, harmonieux tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

                  Puis vient Bolingbroke (1678-1751), moins connu en France, sauf par ceux qui ont étudié les Lettres philosophiques de Voltaire. Ses œuvres sont essentiellement connus après sa mort. Son influence sur Voltaire doit être soulignée ; ce dernier va transmettre ses idées (contre le cléricalisme et la théologie) à la cour de France. Mais Bolingbroke désire éviter l'athéisme après avoir rejeté le christianisme.
                  Certes, l'anticléricalisme ne sera jamais aussi répandu au XVIIIe en Allemagne qu'en France car trop de dynasties de penseurs descendent de pasteurs ou sont pasteurs eux-mêmes comme Herder, ecclésiastique à Weimar et Lessing, fils et petit-fils de pasteur, si bien que Bolingbroke et Voltaire seront pratiquement répudiés.
                  Par contre, la réaction contre les théologiens trouve un écho favorable en Allemagne en raison de leurs hautes positions, acquises bien souvent avec un manque évident d'habileté.
                  Enfin, cette position séduit de nombreux esprits à la manière de Spinoza qui sait éviter à la fois l'athéisme et le christianisme.

                  David Hume, plus jeune, meurt en 1776. Plusieurs de ses œuvres sont publiées à titre posthume ; notamment une Histoire naturelle de la religion. Ses essais moraux et politiques sur l'entendement humain sont connus en Allemagne. Son influence joue dans le sens du scepticisme : il lutte contre l'imagination et accorde le premier rôle à la logique. A ce rationalisme religieux s'ajoute un certain théisme : il ne nie pas l'existence d'un Dieu créateur mais il reste hostile aux forces affectives et sentimentales. Le Romantisme réagira avec ses excès.

                  B/ LES MORALISTES

                  Le premier est sans doute Pope avec son Essai sur l'homme paru en 1733-1734. Il est de confession catholique, chose rare en Angleterre. C'est d'abord un poète qui ne dispose pas de la puissance intellectuelle ou de l'analyse philosophique d'un Shaftesbury ou d'autres mais il exerce une influence diffuse et, comme tous les adeptes de Leibniz, pense que "tout ce qui est est bien." Sa pensée est conforme à la conception première de Dieu.
                  Son opinion sur l'homme diffère de celle de Shaftesbury en ce sens qu'elle est plus moraliste : il construit une échelle des valeurs (cette échelle est un topos du siècle avec Leibniz, Lessing, Nicolaï et Wieland), une hiérarchie représentant plus ou moins de perfections. Il est très proche de Leibniz mais sans la rigueur intellectuelle de ce dernier.
                  Un accrochage a lieu en 1756. Maupertuis propose comme sujet de concours : "Est-ce que l'expression de Pope est identique au "meilleur des mondes" de Leibniz? Quelles raisons s'y opposent ?" Certains dénoncent dans ce sujet une erreur fondamentale : assimiler un poète à un philosophe.
                  Mais la traduction partielle de l'Essai sur l'homme (effectuée par Mmes Wieland et Price) connaît un succès phénoménal en Allemagne et on invite l'auteur à Hambourg, Francfort, Altona, Halle, Leipzig et Berne.
                  Le moralisme de Pope va dans un sens optimiste, ce qu'on lui reproche à certains égards. Il rejoint ainsi le courant suscité par Shaftesbury.

                  Chesterfield, Hutcheson, Ferguson sont également lus avec la plus grande attention. Le jeune Schiller lit Ferguson à l'âge de dix-neuf ans.

                  C/ LES ECRIVAINS

                  Shakespeare n'est pas un événement purement littéraire : on réfléchit sur ses idées, sa conception de l'homme (différente de celle de Racine par exemple). Il est pratiquement inconnu en France et en Allemagne au début du XVIIIe siècle. Mais Voltaire, exilé en Angleterre, lit beaucoup et assiste à des représentations de Shakespeare. C'est lui aussi qui, dans ses Lettres philosophiques de 1734 va attirer l'attention des Français et des Allemands sur cet auteur ignoré, l'intention secrète de Voltaire étant de dénigrer le gouvernement français et donc d'exalter l'Angleterre.
                  En 1741 paraît la première traduction en allemand de Jules César. Elle incite un Allemand à faire une comparaison entre Shakespeare et Andreas Gryphius (auteur baroque) ; il s'agit de Johann Elias Schlegel, le premier Allemand qui ait consacré une étude à Shakespeare, même limitée, étude qui entraîne des débats et de vives discussions. Puis Mme Gottsched qui traduit en allemand les grandes revues anglaises comme The Guardian ou The Spectator exprime certaines considérations sur Le Songe d'une nuit d'été. Les débuts restent modestes.
                  En 1750, Lessing, qui a lu Voltaire et Schlegel, attire à nouveau l'attention sur Shakespeare en écrivant en substance que si la poésie dramatique allemande voulait suivre son propre naturel, elle ressemblerait à celle de Shakespeare. Ses propos ont un retentissement considérable car ils reposent sur l'idée que l'Allemand, en tant que caractère, est beaucoup plus proche d'un Anglais que d'un Français.

                  N'oublions pas qu'au XVIIIe siècle, un homme de lettres n'est pas uniquement que cela : la littérature pure (ce que l'on nommera plus tard l'art pour l'art) est rare. Une œuvre littéraire est chargée d'un message. Certes, Shakespeare n'écrit pas de littérature engagée mais il se greffe sur une grave question littéraire : francophobie et anglomanie.
                  Le succès énorme de la culture française en Allemagne, notamment le théâtre, entraîne une réaction de rejet bien normale. On joue trop souvent les auteurs français, même ceux de second ordre. Cette réaction légitime s'associe à une prise de position qui va en profondeur ; en 1750, Lessing parle du caractère propre à un peuple.
                  En 1759, voici le deuxième jalon de ce plaidoyer en faveur de Shakespeare : Lessing, Mendelssohn et Nicolaï publient leurs Lettres sur la Littérature sous anonymat et avec le nom de l'imprimeur falsifié. C'est une plaisanterie car les auteurs ne risquent pas d'ennuis pour les problèmes littéraires. C'est dans ces Lettres que l'on trouve le fameux texte concernant l'apostrophe célèbre de Lessing à Gottsched plus précisément dans la Lettre du 16 février 1759 (dix-septième lettre), texte auquel il faut se référer si l'on veut comprendre la réaction contre le théâtre français et l'introduction de Shakespeare en Allemagne. Cependant, ce n'est point Lessing mais Voltaire qui fait découvrir Shakespeare aux Allemands. Lessing s'en prend au théâtre allemand de l'époque, accusant injustement Gottsched d'être le responsable de sa décadence ; certes, Gottsched aime la France mais vers 1750, aucun théâtre véritablement allemand n'existe et les auteurs se contentent de copier des personnages de servantes du théâtre de Molière, gardant même leurs noms. Mais Lessing, lui, aime l'Angleterre, ce qui peut expliquer sa mauvaise foi.
                  Il reproche au théâtre français son côté maniéré, voire sucré, songeant à Marivaux qui représente une France aimable, délicate et tendre qui lui paraît tomber en décadence. Dans leurs tragédies, les Allemands veulent voir et penser davantage que les tragédies françaises ne le permettent : le Français est superficiel, l'Allemand aime ce qui est mélancolique, grand, terrifiant, effroyable et démesuré, à l'image de Shakespeare qui n'est pas sans rappeler le théâtre grec. L'Allemagne est lasse de la trop grande simplicité du répertoire classique français et lui préfère une intrigue plus complexe. Cette simplicité, affichée par Racine dans ses Préfaces à Britannicus et Bérénice, est proche de l'idéal de Flaubert dans une lettre à Louise Collet où il écrit que les "grands bonshommes" affichent des ambitions modestes pour arriver à des chefs-d'œuvre.

                  L'élan est désormais donné.

                  Wieland s'attache à la traduction intégrale des œuvres de Shakespeare de 1762 à 1766 ; il traduit en huit volumes vingt-deux drames. Natif de Biberach dans le Wurtemberg, il monte aussi dans cette ville des adaptations de pièces de Shakespeare. La traduction de Wieland connaît un grand succès et est épuisée dès 1773. Il se tourne alors vers Eschenburg, un grand angliciste, qui l'aide à proposer une édition améliorée de douze volumes parus de 1775 à 1777, en pleine époque du Sturm und Drang. Un éditeur réédite sans permission à Strasbourg cette traduction aux améliorations indiscutables qui jouit également d'une grande réussite.
                  A la fin du siècle, en 1796, alors que désormais Goethe et Schiller appartiennent au mouvement dit "classique", Eschenburg fait paraître une nouvelle édition des œuvres de Shakespeare qui remportent toujours le même succès.

                  Après avoir lu Lessing, Herder s'enthousiasme et incite Goethe à lire à son tour Shakespeare. Le jeune Goethe en tire le goût de la complication théâtrale. Son Götz von Berlichingen est une gloire à la démesure et à la passion, ne respecte ni les unités de temps et de lieu ; aujourd'hui, les représentations sont données en pleine nature.
                  Le Premier Faust est rédigé dans une langue tumultueuse et archaïsante et Goethe opte pour la grandeur, le terrifiant, la complexité et la mélancolie, s'opposant ainsi à la délicatesse du théâtre français. Il est difficilement jouable.

                  Shakespeare fascine Goethe comme tous comme les autres Stürmer. Mais on note un certain décalage par rapport à Schiller qui a dix ans de moins et sacrifie au culte shakespearien au moment où Goethe s'oriente déjà vers son classicisme en écrivant Egmont et Iphigénie en Tauride, bien qu'il continue à s'intéresser au dramaturge anglais.
                  La démesure de Schiller se remarque dans Les Brigands, Cabale et Amour. L'équilibre du classicisme français (celui du XVIIe siècle) disparaît totalement : on veut émouvoir et secouer les spectateurs jusqu'à atteindre un pathos outrancier dont on prendra vite conscience : un assagissement relatif se fait jour.

                  Après Shakespeare, les écrivains anglais les plus représentatifs sont Swift, Young, Sterne et Macpherson.

                  Jonathan Swift (1667-1745) apporte en Allemagne un élément nouveau : l'ironie caustique qui sait être redoutable car elle joue sur le ridicule. En France, elle déteint sur Voltaire. En Allemagne, on retrouvera cette ironie chez Heine (beaucoup plus influencés par les auteurs anglais qu'allemands). Swift donne des Ecrits satiriques et sérieux traduits à plusieurs reprises en Allemagne (1751, 1756, 1758) ; le texte anglais est disponible dès le début du XVIIIe siècle, notamment le célèbre Conte du Tonneau.

                  Edward Young (1683-1765) relève déjà d'un certain romantisme avant la lettre ; son influence est plus profonde et plus vaste que celle de Swift. Pour l'Allemagne de la seconde moitié du siècle, il préfigure notre Musset. Ses Nuits (dont le titre exact est Complainte ou Pensées nocturnes sur la vie, la mort et l'immortalité) parues de 1742 à 1745 baignent dans une poésie mélancolique d'où la mort n'est pas absente. Cette œuvre est traduite par Ebert (c'est un professeur qui connaît bien la littérature anglaise et enseigne au Kollegium Karolinum de Brunswick), Klopstock (à Leipzig), Cramer et Zacharie (à Brême), et les deux Suisses Haller et Bodmer.
                  Qui dit succès et traduction dit imitation et la seconde moitié du siècle se heurte au problème de l'originalité ; à cet égard paraît en 1759 en Angleterre un ouvrage de type doctrinal Conjectures sur une composition originale, traduit, médité et commenté en Allemagne.

                  Lawrence Sterne (1713-1768) est lié à toutes sortes d'éléments hétéroclites et se trouve involontairement responsable du mot allemand "empfindsam" (sensible et / ou sentimental). Il écrit en effet Un voyage sentimental ; pour rendre la nuance du mot anglais ("sentimental"), il n'y a rien à cette époque, "empfindlich" ne satisfaisant pas.
                  Durant cette période, on voit ressurgir des mots appartenant au vocabulaire du Moyen Age et se forger en même temps des vocables entièrement nouveaux, formés sur des racines germaniques. Notons ici que le degré de civilisation d'une nation correspond à la richesse de son vocabulaire. Dans les élites cultivées, on utilise le latin pour les communications savantes et le français ; rappelons à cet égard la réplique de Frédéric II : "Je ne parle allemand qu'à mes chevaux." Ce Voyage sentimental est un genre nouveau, en tout cas, le type de relation l'est : il s'agit d'un récit de voyage certes mais avec d'autres considérations.
                  Cette œuvre influence Nicolaï, Wieland, Jean-Paul et, plus tard, Heine avec ses Images de voyage et Raabe.
                  Sterne a un succès immédiat, notamment auprès de Hamann, Herder et Goethe. N'oublions pas non plus son œuvre monumentale en neuf volumes : La Vie et les Opinions de Tristram Shandy.

                  James Macpherson (1736-1796) est l'auteur du plus beau canular de l'époque. Avec un don très prononcé de l'imitation littéraire, il rédige un poème "La Mort d'Oscar" dans le style de la vieille poésie écossaise. Il se prend à son propre jeu, le communique à Home (dramaturge écossais) en disant que c'est un poème qu'il vient de traduire de la langue gaélique du vieux poète écossais Ossian (que personne ne connaît du reste très bien). Home le croit, tout comme Blair, professeur à Edimbourg. Le poème est publié en 1760 sous l'anonymat comme des fragments de poésie ancienne traduits du gaélique. Ouvrons ici une parenthèse : Arnim et Brentano, avec Le Cor merveilleux du jeune garçon, font la même chose, mêlant à des chants populaires authentiques des morceaux écrits par eux-mêmes. En 1765 paraissent les Poèmes d'Ossian. Le succès de cette poésie à la sentimentalité larmoyante dépasse toutes ses prévisions (le personnage de Werther verse des larmes au seul énoncé du nom d'Ossian). Chateaubriand s'en inspirera : rêveries mélancoliques et cheveux au vent, la nuit et la chouette. Voilà l'auteur dans une situation bien délicate car il ne croit pas qu'il y ait jamais eu une poésie ossianique. Mais Home et Blair y croient, eux, et le poussent à publier tout ce qu'il trouve. Il parcourt ainsi les hauts plateaux de l'Ecosse et publie Fingal en 1762 puis Temora, des soi-disant poèmes épiques écrits par Ossian. Bien que David Hume flaire la supercherie, Macpherson s'enfonce plus encore dans le mensonge et meurt sans reconnaître sa tromperie ni ses collaborateurs.
                  Ce n'est qu'en 1805 qu'on peut faire une mise au point : très peu de vers peuvent finalement être attribués au fameux barde irlandais. Qu'importe : Ossian-Macpherson connaît le triomphe en Angleterre, en France, en Allemagne, en Italie. Cet engouement coïncide avec la poésie "primitive" du courant rousseauiste. Klopstock et le cercle de Göttingen, puis tous les Stürmer se passionnent pour cette poésie même lorsqu'ils flairent la supercherie.
                  Voilà bien un exemple éloquent de la force de ce courant de retour aux primitifs que Fichte abordera plus tard avec la notion de "peuple originel", soit "Urvolk", le préfixe laudatif concernant la philosophie, la civilisation et autres.

                  Toutes ces influences modèlent le goût littéraire allemand mais aussi les esprits.



                  Merci pour ces informations

                  Le romantisme est né en Allemagne (Cercle d'Iéna), et ce qui m'étonne c'est que, selon (Trawick 1977), il semble que les romantiques anglais et français n'avaient pas de contact avec ces romantiques allemands du Cercle d'Iéna, comme si ces trois romantismes nationaux avaient développé les mêmes thèmes et principes littéraires (absolu insondable, sublime, primauté de l'esthétique, idéalisation de la nature, etc.) indépendamment, peut-être partaient-ils de sources antérieures communes (Shakespeare, Rousseau, etc.)... mais quand même

                  • [supprimé]

                  Mais qui est donc ce Trawick ???

                  Jean-Luc et moi-même t'avons donné des infos fiables.

                  Il est prof et chercheur en littérature, directeur du centre de poésie de son université, et écrivain

                  TRAWICK, Leonard M. American, b. 1933.
                  Genres: Poetry, Songs/Lyrics and libretti, Literary criticism and history, Poetry.
                  Career:
                  _Columbia University, New York City
                  assistant professor of English, 1961-69;
                  _Cleveland State University, Cleveland, OH
                  associate professor, 1969-71,
                  professor of English and editor for Poetry Center, 1971-98,
                  director of Poetry Center, 1990-91,
                  professor emeritus, 1998-; writer.

                  https://www.encyclopedia.com/arts/culture-magazines/trawick-leonard-m

                  Il y a une interview de lui ici : https://clevelandvoices.org/items/show/2569

                   

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